CAA de PARIS, 8ème chambre, 07/12/2017, 16PA01061, Inédit au recueil Lebon
- Date :
- 07-12-2017
- Taille :
- 6 pages
- Section :
- Jurisprudence
- Numéro :
- 16PA01061
- Formation :
- 8ème chambre
Texte original :
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Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 3 décembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 19B de l'unité territoriale de Paris de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a refusé de l'autoriser à licencier Mme D... B..., ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1512661/3-2 du 27 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les décisions attaquées et a, d'autre part, enjoint à l'inspecteur du travail de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 mars 2016, 22 mai 2017 et 17 juillet 2017, Mme A... B..., représentée par Me Bessis, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1512661/3-2 du 27 janvier 2016 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par la CPAM de Paris devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de condamner la CPAM de Paris à lui verser la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de la CPAM de Paris la somme de 6 000 euros HT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ainsi que l'a considéré l'inspecteur du travail, les règles applicables à son contrat de travail n'ont pas été respectées, dès lors que l'article R. 4127-249 du code de la santé publique fait obstacle à l'utilisation de normes de rentabilité ou de rendement, que le " tableau de synthèse " évaluant les temps de travail ne pouvait servir de référence pour justifier son licenciement pour faute, dès lors qu'il n'a pas été validé par l'ordre des chirurgiens-dentistes, qu'il n'a aucune valeur scientifique, qu'il n'a pas été préalablement soumis pour information au comité d'entreprise en méconnaissance de l'article L. 2323-32 du code du travail et qu'il n'a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés en méconnaissance de l'article L. 122-8 du même code ;
- le moyen de preuve utilisé par son employeur ne lui est pas opposable, dès lors qu'il a consisté en l'utilisation de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et est par suite illicite et déloyal ;
- les faits qui lui sont reprochés étaient prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
- ainsi que l'a considéré l'inspecteur du travail, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 juin 2016, 19 juin 2017 et 19 juillet 2017 à 11 h 39, appuyés de pièces complémentaires enregistrées au greffe de la Cour le 17 mai 2017, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris, représentée par Me Duprey, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros lui soit allouée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions en litiges sont insuffisamment motivées en méconnaissance des dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, dès lors, d'une part, que l'inspecteur du travail n'a pas statué sur la totalité des griefs reprochés à Mme A... B... et, d'autre part, que la décision implicite du ministre n'est pas motivée ;
- ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreurs de droit, dès lors que le tableau de synthèse des temps de référence de réalisation des soins dentaires ne constitue ni une norme de productivité ou de rendement prohibée par l'article R. 4127-249 du code de la santé publique ni un moyen de contrôle de l'activité des salariés devant être préalablement soumis au comité d'entreprise en vertu de l'article L. 2323-32 du code du travail ;
- ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreurs d'appréciation, dès lors que le président du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'a pas rendu d'avis sur le tableau de synthèse, qu'il a été tenu compte des particularités de l'exercice professionnel et de l'expérience de Mme A... B..., qu'il était inutile de procéder à des contrôles sur les patients et que les griefs reprochés à Mme A... B... sont matériellement établis, Mme A... B... ayant d'ailleurs été ultérieurement sanctionnée par le conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France ;
- les moyens soulevés par Mme A... B... tirés, d'une part, de la prescription des faits fautifs et, d'autre part, de l'illégalité de l'utilisation par son employeur de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la CNIL sont inopérants, dès lors que la décision de l'inspecteur du travail n'est pas fondée sur de tels motifs ; qu'au surplus, ces moyens ne sont pas fondés ;
- les conclusions indemnitaires de Mme A... B... sont présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que cette demande nouvelle est en outre irrecevable et mal fondée.
Par un mémoire, enregistré le 14 juin 2017, la ministre du travail indique qu'elle s'en remet à la sagesse de la juridiction quant à l'appréciation des suites à donner au présent recours.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de Mme A... B... tendant à la condamnation de la CPAM de Paris, personne privée, à lui verser une somme à titre de dommages et intérêts.
Par ordonnance du 19 juin 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 19 juillet 2017 à 12 h.
Vu les pièces produites pour la CPAM de Paris le 21 novembre 2017, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bernard,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- les observations de Me Bessis, avocat de Mme A... B...,
- et les observations de Me Duprey, avocat de la CPAM de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a été engagée par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris en janvier 1989 en qualité de chirurgien-dentiste salarié. Elle exerçait, quatre jours par semaine, au sein de deux centres de santé dentaire. Elle avait par ailleurs été élue déléguée du personnel titulaire en décembre 2013. Par la présente requête, Mme A... B... demande l'annulation du jugement du 27 janvier 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 décembre 2014 refusant d'autoriser son licenciement pour faute, ainsi que la décision implicite du ministre chargé du travail rejetant le recours hiérarchique de la CPAM de Paris.
Sur les conclusions de Mme A... B... tendant à l'annulation du jugement :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour les besoins d'une étude tendant à rechercher les raisons du déséquilibre financier affectant ses centres de santé dentaire, la CPAM de Paris a analysé l'ensemble des données de facturation des chirurgiens-dentistes travaillant dans ces centres. Elle a alors découvert plusieurs anomalies, caractérisées par la facturation, par certains de ses salariés, d'un nombre d'actes par séance très élevé, la répétition d'actes sur des mêmes dents ou sur une même série de dents et un nombre d'actes réalisés par jour très important. Elle a alors sollicité la direction de l'audit, du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) pour l'aider à analyser ces données. Celle-ci lui a transmis un " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " et a répondu à ses questions sur les anomalies relevées. C'est sur la base de l'ensemble de ces éléments que la CPAM de Paris a demandé l'autorisation de licencier Mme A... B... pour faute, au motif que celle-ci pratiquait des facturations abusives d'actes dentaires, méconnaissant ainsi ses obligations contractuelles et, plus particulièrement, ses obligations de loyauté et de probité.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courriel de transmission de la CNAMTS, que le " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " se borne à recenser les temps de travail nécessaires à la réalisation d'une douzaine d'actes d'odontologie tels qu'évalués par un groupe d'experts chirurgiens-dentistes. Les durées figurant dans ce tableau n'ont ainsi qu'un caractère purement indicatif. En outre, ce tableau n'a été utilisé que comme élément de référence pour contrôler la régularité de la facturation établie par certains salariés, dont Mme A... B.... A cet égard, pour tenir compte des particularités du travail dans les centres de santé, de l'évolution des pratiques et de la grande expérience professionnelle de Mme A... B..., la CPAM de Paris a d'ailleurs divisé par deux les durées mentionnées dans ce tableau. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé l'inspecteur du travail, ce tableau ne présente pas le caractère d'une norme de productivité ou de rendement prohibée par l'article R. 4127-249 du code de la santé publique et ne méconnaît pas l'indépendance professionnelle de l'intéressée. Le présent litige n'entre d'ailleurs pas dans le champ d'application de cet article, lequel est relatif à la fixation de la rémunération des chirurgiens-dentistes salariés. Par ailleurs, le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne ou externe à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite. C'est donc à tort que l'inspecteur du travail a considéré que ledit tableau, qui n'avait pas la nature d'un dispositif de collecte d'information sur les salariés, aurait préalablement dû être porté à la connaissance de Mme A... B... en vertu de l'article L. 1222-4 du code du travail ou soumis au comité d'entreprise en vertu de l'article L. 2323-32 du même code. C'est par suite à bon droit que le Tribunal a jugé que l'inspecteur du travail avait entaché sa décision d'erreurs de droit.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des relevés d'activité des dentistes exerçant dans les centres de santé dentaire de la CPAM de Paris, du " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " transmis par la CNAMTS et de l'analyse des facturations de Mme A... B... réalisée tant par la CPAM de Paris que par la CNAMTS, que Mme A... B... facturait un nombre d'actes particulièrement élevé. Ainsi, sur l'ensemble de la période analysée, Mme A... B... a facturé 156 529 actes pour un chiffre d'affaires horaire de 285 euros, alors que ses quatre confrères non visés par une procédure de licenciement travaillant le même nombre de jours qu'elle dans un centre de soins dentaires de la CPAM de Paris n'ont facturé, en moyenne, que 83 396 actes pour un chiffre d'affaires horaire moyen de 160 euros. En outre, Mme A... B... a facturé jusqu'à sept détartrages en un an à plusieurs patients. Mme A... B... a également pu facturer jusqu'à onze actes au cours d'une même séance. Or, les explications données par Mme A... B... pour justifier de la réalisation d'un si grand nombre d'actes pendant la durée d'ouverture des centres de santé dentaire ne sont pas suffisamment sérieuses. En effet, les propres évaluations de la requérante du temps nécessaire à la réalisation des soins (environ 8 minutes hors anesthésie pour un soin conservateur sur cavité composée intéressant deux faces, coté " SC12 ", ou trois faces et plus, coté " SC17 ", au lieu des 15 minutes retenues par la CPAM) ne permettent pas, dans plusieurs cas, de justifier de la réalisation effective de la totalité des soins facturés dans le laps de temps séparant deux facturations ou sur une journée entière. Ainsi, par exemple, au cours de la journée du 4 avril 2012, Mme A... B... a facturé un total de vingt-trois soins cotés " SC17 " et quatorze soins cotés " SC12 ", outre quatorze divers autres soins et une simple consultation. Selon les propres évaluations de la requérante, les trente-sept soins cotés " SC17 " ou " SC12 " ne peuvent être réalisés en moins de cinq heures. Il faut y ajouter le temps de réalisation des quatorze autres actes facturés durant cette même journée, l'accueil, l'installation et la facturation des patients, ainsi que le changement des plateaux techniques entre chaque patient. Or, les centres dentaires ne sont ouverts que pendant une plage horaire de 8 heures 15 maximum, de laquelle il faut retrancher la durée de la pause déjeuner. Dans ces conditions, la réalisation effective de l'ensemble des soins facturés le 4 avril 2012 apparaît impossible. Il en est de même, là encore par exemple, des journées des 6 décembre 2012 et 25 février 2013 au cours desquelles Mme A... B... a facturé, à chaque fois, un total de quarante-trois soins cotés " SC17 " ou " SC12 " outre plusieurs divers autres soins et simples consultations. Mme A... B... a d'ailleurs reconnu, au cours de l'entretien préalable avec son employeur et lors de son audition par le comité d'entreprise, qu'elle facturait en " SC17 " des actes plus simples et plus rapides, non remboursés par la sécurité sociale. Enfin, en dix-huit mois, Mme A... B... a facturé jusqu'à douze fois les mêmes actes sur les mêmes dents, voire sur des séries identiques de dents (jusqu'à trois reprises sur les cinq mêmes dents ou quatre reprises sur les trois mêmes dents), sans fournir aucune explication sérieuse à un tel taux de reprise. Par suite, ainsi que l'a jugé le Tribunal, c'est à tort que l'inspecteur du travail a considéré que les faits de surfacturation reprochés à Mme A... B... n'étaient pas matériellement établis.
6. En dernier lieu, les moyens soulevés par Mme A... B... tirés, d'une part, de la prescription des faits fautifs et, d'autre part, de l'illégalité de l'utilisation par son employeur de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sont inopérants dès lors que la décision de l'inspecteur du travail n'est pas fondée sur de tels motifs.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 décembre 2014 refusant d'autoriser son licenciement, ainsi que la décision implicite du ministre chargé du travail rejetant le recours hiérarchique de la CPAM de Paris.
Sur les conclusions indemnitaires de Mme A... B... :
8. Mme A... B... demande la condamnation de la CPAM de Paris à lui verser la somme de 700 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral. Il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des conclusions indemnitaires d'un salarié dirigées contre son employeur, personne privée. Par suite, lesdites conclusions doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CPAM de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... B... le versement de la somme que la CPAM de Paris demande sur le fondement des mêmes dispositions. Les conclusions présentées par la CPAM de Paris sont, au surplus, irrecevables, dès lors qu'elles ne sont dirigées contre aucune des parties à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions indemnitaires de Mme A... B... sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la CPAM de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- Mme Julliard, premier conseiller,
- Mme Bernard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2017.
Le rapporteur,
A. BERNARDLe président,
I. LUBEN
Le greffier,
A. CLEMENTLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01061
Procédure contentieuse antérieure :
La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision en date du 3 décembre 2014 par laquelle l'inspecteur du travail de la section 19B de l'unité territoriale de Paris de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a refusé de l'autoriser à licencier Mme D... B..., ainsi que la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1512661/3-2 du 27 janvier 2016, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les décisions attaquées et a, d'autre part, enjoint à l'inspecteur du travail de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 mars 2016, 22 mai 2017 et 17 juillet 2017, Mme A... B..., représentée par Me Bessis, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1512661/3-2 du 27 janvier 2016 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par la CPAM de Paris devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de condamner la CPAM de Paris à lui verser la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de la CPAM de Paris la somme de 6 000 euros HT au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ainsi que l'a considéré l'inspecteur du travail, les règles applicables à son contrat de travail n'ont pas été respectées, dès lors que l'article R. 4127-249 du code de la santé publique fait obstacle à l'utilisation de normes de rentabilité ou de rendement, que le " tableau de synthèse " évaluant les temps de travail ne pouvait servir de référence pour justifier son licenciement pour faute, dès lors qu'il n'a pas été validé par l'ordre des chirurgiens-dentistes, qu'il n'a aucune valeur scientifique, qu'il n'a pas été préalablement soumis pour information au comité d'entreprise en méconnaissance de l'article L. 2323-32 du code du travail et qu'il n'a pas été préalablement porté à la connaissance des salariés en méconnaissance de l'article L. 122-8 du même code ;
- le moyen de preuve utilisé par son employeur ne lui est pas opposable, dès lors qu'il a consisté en l'utilisation de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et est par suite illicite et déloyal ;
- les faits qui lui sont reprochés étaient prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;
- ainsi que l'a considéré l'inspecteur du travail, les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 juin 2016, 19 juin 2017 et 19 juillet 2017 à 11 h 39, appuyés de pièces complémentaires enregistrées au greffe de la Cour le 17 mai 2017, la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris, représentée par Me Duprey, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 500 euros lui soit allouée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les décisions en litiges sont insuffisamment motivées en méconnaissance des dispositions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, dès lors, d'une part, que l'inspecteur du travail n'a pas statué sur la totalité des griefs reprochés à Mme A... B... et, d'autre part, que la décision implicite du ministre n'est pas motivée ;
- ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreurs de droit, dès lors que le tableau de synthèse des temps de référence de réalisation des soins dentaires ne constitue ni une norme de productivité ou de rendement prohibée par l'article R. 4127-249 du code de la santé publique ni un moyen de contrôle de l'activité des salariés devant être préalablement soumis au comité d'entreprise en vertu de l'article L. 2323-32 du code du travail ;
- ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal, la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'erreurs d'appréciation, dès lors que le président du conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'a pas rendu d'avis sur le tableau de synthèse, qu'il a été tenu compte des particularités de l'exercice professionnel et de l'expérience de Mme A... B..., qu'il était inutile de procéder à des contrôles sur les patients et que les griefs reprochés à Mme A... B... sont matériellement établis, Mme A... B... ayant d'ailleurs été ultérieurement sanctionnée par le conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes d'Ile-de-France ;
- les moyens soulevés par Mme A... B... tirés, d'une part, de la prescription des faits fautifs et, d'autre part, de l'illégalité de l'utilisation par son employeur de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la CNIL sont inopérants, dès lors que la décision de l'inspecteur du travail n'est pas fondée sur de tels motifs ; qu'au surplus, ces moyens ne sont pas fondés ;
- les conclusions indemnitaires de Mme A... B... sont présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que cette demande nouvelle est en outre irrecevable et mal fondée.
Par un mémoire, enregistré le 14 juin 2017, la ministre du travail indique qu'elle s'en remet à la sagesse de la juridiction quant à l'appréciation des suites à donner au présent recours.
Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions de Mme A... B... tendant à la condamnation de la CPAM de Paris, personne privée, à lui verser une somme à titre de dommages et intérêts.
Par ordonnance du 19 juin 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 19 juillet 2017 à 12 h.
Vu les pièces produites pour la CPAM de Paris le 21 novembre 2017, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bernard,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- les observations de Me Bessis, avocat de Mme A... B...,
- et les observations de Me Duprey, avocat de la CPAM de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... a été engagée par la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Paris en janvier 1989 en qualité de chirurgien-dentiste salarié. Elle exerçait, quatre jours par semaine, au sein de deux centres de santé dentaire. Elle avait par ailleurs été élue déléguée du personnel titulaire en décembre 2013. Par la présente requête, Mme A... B... demande l'annulation du jugement du 27 janvier 2016 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 décembre 2014 refusant d'autoriser son licenciement pour faute, ainsi que la décision implicite du ministre chargé du travail rejetant le recours hiérarchique de la CPAM de Paris.
Sur les conclusions de Mme A... B... tendant à l'annulation du jugement :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour les besoins d'une étude tendant à rechercher les raisons du déséquilibre financier affectant ses centres de santé dentaire, la CPAM de Paris a analysé l'ensemble des données de facturation des chirurgiens-dentistes travaillant dans ces centres. Elle a alors découvert plusieurs anomalies, caractérisées par la facturation, par certains de ses salariés, d'un nombre d'actes par séance très élevé, la répétition d'actes sur des mêmes dents ou sur une même série de dents et un nombre d'actes réalisés par jour très important. Elle a alors sollicité la direction de l'audit, du contrôle contentieux et de la lutte contre la fraude de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) pour l'aider à analyser ces données. Celle-ci lui a transmis un " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " et a répondu à ses questions sur les anomalies relevées. C'est sur la base de l'ensemble de ces éléments que la CPAM de Paris a demandé l'autorisation de licencier Mme A... B... pour faute, au motif que celle-ci pratiquait des facturations abusives d'actes dentaires, méconnaissant ainsi ses obligations contractuelles et, plus particulièrement, ses obligations de loyauté et de probité.
4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du courriel de transmission de la CNAMTS, que le " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " se borne à recenser les temps de travail nécessaires à la réalisation d'une douzaine d'actes d'odontologie tels qu'évalués par un groupe d'experts chirurgiens-dentistes. Les durées figurant dans ce tableau n'ont ainsi qu'un caractère purement indicatif. En outre, ce tableau n'a été utilisé que comme élément de référence pour contrôler la régularité de la facturation établie par certains salariés, dont Mme A... B.... A cet égard, pour tenir compte des particularités du travail dans les centres de santé, de l'évolution des pratiques et de la grande expérience professionnelle de Mme A... B..., la CPAM de Paris a d'ailleurs divisé par deux les durées mentionnées dans ce tableau. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé l'inspecteur du travail, ce tableau ne présente pas le caractère d'une norme de productivité ou de rendement prohibée par l'article R. 4127-249 du code de la santé publique et ne méconnaît pas l'indépendance professionnelle de l'intéressée. Le présent litige n'entre d'ailleurs pas dans le champ d'application de cet article, lequel est relatif à la fixation de la rémunération des chirurgiens-dentistes salariés. Par ailleurs, le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne ou externe à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite. C'est donc à tort que l'inspecteur du travail a considéré que ledit tableau, qui n'avait pas la nature d'un dispositif de collecte d'information sur les salariés, aurait préalablement dû être porté à la connaissance de Mme A... B... en vertu de l'article L. 1222-4 du code du travail ou soumis au comité d'entreprise en vertu de l'article L. 2323-32 du même code. C'est par suite à bon droit que le Tribunal a jugé que l'inspecteur du travail avait entaché sa décision d'erreurs de droit.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des relevés d'activité des dentistes exerçant dans les centres de santé dentaire de la CPAM de Paris, du " tableau des temps minimum pour les soins dentaires " transmis par la CNAMTS et de l'analyse des facturations de Mme A... B... réalisée tant par la CPAM de Paris que par la CNAMTS, que Mme A... B... facturait un nombre d'actes particulièrement élevé. Ainsi, sur l'ensemble de la période analysée, Mme A... B... a facturé 156 529 actes pour un chiffre d'affaires horaire de 285 euros, alors que ses quatre confrères non visés par une procédure de licenciement travaillant le même nombre de jours qu'elle dans un centre de soins dentaires de la CPAM de Paris n'ont facturé, en moyenne, que 83 396 actes pour un chiffre d'affaires horaire moyen de 160 euros. En outre, Mme A... B... a facturé jusqu'à sept détartrages en un an à plusieurs patients. Mme A... B... a également pu facturer jusqu'à onze actes au cours d'une même séance. Or, les explications données par Mme A... B... pour justifier de la réalisation d'un si grand nombre d'actes pendant la durée d'ouverture des centres de santé dentaire ne sont pas suffisamment sérieuses. En effet, les propres évaluations de la requérante du temps nécessaire à la réalisation des soins (environ 8 minutes hors anesthésie pour un soin conservateur sur cavité composée intéressant deux faces, coté " SC12 ", ou trois faces et plus, coté " SC17 ", au lieu des 15 minutes retenues par la CPAM) ne permettent pas, dans plusieurs cas, de justifier de la réalisation effective de la totalité des soins facturés dans le laps de temps séparant deux facturations ou sur une journée entière. Ainsi, par exemple, au cours de la journée du 4 avril 2012, Mme A... B... a facturé un total de vingt-trois soins cotés " SC17 " et quatorze soins cotés " SC12 ", outre quatorze divers autres soins et une simple consultation. Selon les propres évaluations de la requérante, les trente-sept soins cotés " SC17 " ou " SC12 " ne peuvent être réalisés en moins de cinq heures. Il faut y ajouter le temps de réalisation des quatorze autres actes facturés durant cette même journée, l'accueil, l'installation et la facturation des patients, ainsi que le changement des plateaux techniques entre chaque patient. Or, les centres dentaires ne sont ouverts que pendant une plage horaire de 8 heures 15 maximum, de laquelle il faut retrancher la durée de la pause déjeuner. Dans ces conditions, la réalisation effective de l'ensemble des soins facturés le 4 avril 2012 apparaît impossible. Il en est de même, là encore par exemple, des journées des 6 décembre 2012 et 25 février 2013 au cours desquelles Mme A... B... a facturé, à chaque fois, un total de quarante-trois soins cotés " SC17 " ou " SC12 " outre plusieurs divers autres soins et simples consultations. Mme A... B... a d'ailleurs reconnu, au cours de l'entretien préalable avec son employeur et lors de son audition par le comité d'entreprise, qu'elle facturait en " SC17 " des actes plus simples et plus rapides, non remboursés par la sécurité sociale. Enfin, en dix-huit mois, Mme A... B... a facturé jusqu'à douze fois les mêmes actes sur les mêmes dents, voire sur des séries identiques de dents (jusqu'à trois reprises sur les cinq mêmes dents ou quatre reprises sur les trois mêmes dents), sans fournir aucune explication sérieuse à un tel taux de reprise. Par suite, ainsi que l'a jugé le Tribunal, c'est à tort que l'inspecteur du travail a considéré que les faits de surfacturation reprochés à Mme A... B... n'étaient pas matériellement établis.
6. En dernier lieu, les moyens soulevés par Mme A... B... tirés, d'une part, de la prescription des faits fautifs et, d'autre part, de l'illégalité de l'utilisation par son employeur de données à caractère personnel sans déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sont inopérants dès lors que la décision de l'inspecteur du travail n'est pas fondée sur de tels motifs.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 décembre 2014 refusant d'autoriser son licenciement, ainsi que la décision implicite du ministre chargé du travail rejetant le recours hiérarchique de la CPAM de Paris.
Sur les conclusions indemnitaires de Mme A... B... :
8. Mme A... B... demande la condamnation de la CPAM de Paris à lui verser la somme de 700 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral. Il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître des conclusions indemnitaires d'un salarié dirigées contre son employeur, personne privée. Par suite, lesdites conclusions doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CPAM de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... B... le versement de la somme que la CPAM de Paris demande sur le fondement des mêmes dispositions. Les conclusions présentées par la CPAM de Paris sont, au surplus, irrecevables, dès lors qu'elles ne sont dirigées contre aucune des parties à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions indemnitaires de Mme A... B... sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la CPAM de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :
- M. Luben, président,
- Mme Julliard, premier conseiller,
- Mme Bernard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 décembre 2017.
Le rapporteur,
A. BERNARDLe président,
I. LUBEN
Le greffier,
A. CLEMENTLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16PA01061