Loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers

Date :
19-01-2006
Taille :
22 pages
Section :
Législation
Source :
2005-532
Résultat :
Non conformité partielle

Texte original :

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Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, le 23 décembre 2005, par M. Jean-Pierre BEL, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, Bertrand AUBAN, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, MM. Yannick BODIN, Didier BOULAUD, Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Yolande BOYER, Nicole BRICQ, MM. Jean-Louis CARRÈRE, Bernard CAZEAU, Michel CHARASSE, Pierre-Yves COLLOMBAT, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Bernard DUSSAUT, Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Mme Odette HERVIAUX, MM. Yves KRATTINGER, Serge LAGAUCHE, Louis LE PENSEC, André LEJEUNE, Roger MADEC, Jacques MAHÉAS, François MARC, Jean-Pierre MASSERET, Marc MASSION, Pierre MAUROY, Jean-Luc MÉLENCHON, Louis MERMAZ, Jean-Pierre MICHEL, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Thierry REPENTIN, Roland RIES, Gérard ROUJAS, Mme Patricia SCHILLINGER, MM. Michel SERGENT, Jacques SIFFRE, René-Pierre SIGNÉ, Jean-Pierre SUEUR, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, André VANTOMME et Richard YUNG, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code des douanes ;
Vu le code pénal ;
Vu le code des postes et des communications électroniques ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 modifiée, d'orientation et de programmation relative à la sécurité ;
Vu la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 modifiée, pour la sécurité intérieure ;
Vu la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 modifiée, pour la confiance dans l'économie numérique ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 10 janvier 2006 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;1. Considérant que les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; qu'ils contestent la conformité à la Constitution de ses articles 6 et 8 ; qu'ils font également valoir que le Parlement aurait adopté des dispositions n'ayant pas leur place dans la loi déférée ;
- SUR L'ARTICLE 6 :
2. Considérant que le I de l'article 6 de la loi déférée insère dans le code des postes et des communications électroniques un nouvel article L. 34-1-1 qui institue, " afin de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme ", une procédure de réquisition administrative de données techniques de connexion ; que cette procédure sera mise en oeuvre par des " agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de ces missions " ; qu'elle s'appliquera à toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public une connexion permettant une communication en ligne par l'intermédiaire d'un accès au réseau ; qu'elle sera limitée " aux données techniques relatives à l'identification des numéros d'abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l'ensemble des numéros d'abonnement ou de connexion d'une personne désignée, aux données relatives à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu'aux données techniques relatives aux communications d'un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications " ; qu'elle sera subordonnée à un accord préalable d'une personnalité désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ; qu'elle sera soumise au contrôle de cette commission, laquelle adressera des recommandations au ministre de l'intérieur lorsqu'elle constatera " un manquement aux règles édictées par le présent article ou une atteinte aux droits et libertés " ; qu'elle ouvrira droit à une compensation financière des surcoûts consécutifs aux demandes d'information ;
3. Considérant que le II de ce même article 6 complète l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 susvisée par un II bis qui, " afin de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme ", étend cette procédure de réquisition aux fournisseurs d'accès et d'hébergement ;
4. Considérant que les requérants font valoir que cette nouvelle procédure est destinée non seulement à la prévention des délits et des crimes terroristes mais aussi à leur répression ; qu'ils en déduisent que, dès lors qu'elle n'est pas placée sous la surveillance de l'autorité judiciaire, elle méconnaît tant la liberté individuelle que le droit à la vie privée ; qu'ils dénoncent en outre une atteinte au droit au recours ;
5. Considérant que les données techniques que l'article 6 de la loi déférée autorise les services de police et de gendarmerie à requérir peuvent déjà être obtenues, en application des dispositions du code de procédure pénale, dans le cadre d'opérations de police judiciaire destinées à constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves ou à en rechercher les auteurs ; que, pour leur part, les réquisitions de données permises par les nouvelles dispositions constituent des mesures de police purement administrative ; qu'elles ne sont pas placées sous la direction ou la surveillance de l'autorité judiciaire, mais relèvent de la seule responsabilité du pouvoir exécutif ; qu'elles ne peuvent donc avoir d'autre finalité que de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions ; que, dès lors, en indiquant qu'elles visent non seulement à prévenir les actes de terrorisme, mais encore à les réprimer, le législateur a méconnu le principe de la séparation des pouvoirs ;
6. Considérant qu'il y a lieu, par suite, de déclarer contraires à la Constitution les mots : " et de réprimer " figurant au deuxième alinéa du I de l'article 6 de la loi déférée, ainsi qu'au deuxième alinéa de son II ; que demeure néanmoins l'obligation qui incombe à toute autorité administrative, lorsqu'elle acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en aviser l'autorité judiciaire ;
7. Considérant que les mots ainsi déclarés contraires à la Constitution sont séparables des autres dispositions de l'article 6 de la loi déférée ; qu'il y a lieu, en conséquence, de poursuivre l'examen de la conformité de ces dernières aux règles et principes de valeur constitutionnelle ;
8. Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution, aux termes duquel : " Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ", ne saurait être méconnu par une disposition qui se borne à instaurer une procédure de réquisition de données techniques ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent le respect de la vie privée et la liberté d'entreprendre, respectivement protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
10. Considérant, en l'espèce, que le législateur a assorti la procédure de réquisition de données techniques qu'il a instituée de limitations et précautions, précisées ci-dessus, propres à assurer la conciliation qui lui incombe entre, d'une part, le respect de la vie privée des personnes et la liberté d'entreprendre des opérateurs, et, d'autre part, la prévention des actes terroristes, à laquelle concourt ladite procédure ;
11. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;
12. Considérant, en l'espèce, que les personnes ayant un intérêt à agir ne sont pas privées par la disposition critiquée des garanties juridictionnelles de droit commun dont sont assorties les mesures de police administrative ; que leur droit au recours n'est donc pas méconnu ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'à l'exception des mots : " et de réprimer " figurant aux deuxièmes alinéas du I et du II de l'article 6 de la loi déférée, celui-ci n'est pas contraire à la Constitution ;
- SUR L'ARTICLE 8 :
14. Considérant que l'article 8 de la loi déférée donne une nouvelle rédaction à l'article 26 de la loi du 18 mars 2003 susvisée ; qu'il permet aux services de police, de gendarmerie ou des douanes de mettre en oeuvre " des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, en tous points appropriés du territoire..." ; qu'il prévoit que " l'emploi de tels dispositifs est également possible par les services de police et de gendarmerie nationales, à titre temporaire, pour la préservation de l'ordre public, à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes, par décision de l'autorité administrative " ; qu'il précise que les données ainsi collectées peuvent faire l'objet de traitements automatisés ; qu'il détermine les conditions de leur exploitation et de leur conservation, en fonction du résultat du rapprochement effectué avec les traitements automatisés de données relatifs aux véhicules volés ou signalés ;
15. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions, en organisant " un système généralisé de contrôle " qui s'étend aux personnes occupant les véhicules concernés, méconnaissent l'article 66 de la Constitution, la liberté d'aller et venir, ainsi que le respect de la vie privée ; qu'ils soutiennent également qu'elles sont entachées d'incompétence négative ;
16. Considérant, en premier lieu, que, par sa nature même, la procédure de recueil automatisé de données relatives aux véhicules instituée par l'article 8 de la loi déférée ne saurait porter atteinte ni à la règle, posée par l'article 66 de la Constitution, selon laquelle nul ne peut être arbitrairement détenu, ni à la liberté d'aller et venir protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 ;
17. Considérant, en deuxième lieu, que le dispositif en cause peut être utilisé tant pour des opérations de police administrative que pour des opérations de police judiciaire ; qu'il se trouve placé, à ce dernier titre, sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; qu'ainsi, en assignant à ce dispositif la mission de faciliter la répression des infractions, l'article contesté, à la différence de l'article 6 précédemment examiné, ne porte pas atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ;
18. Considérant, en troisième lieu, qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche d'auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure le respect de la vie privée ;
19. Considérant qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d'une part, prévenir et réprimer le terrorisme et les infractions qui lui sont liées, d'autre part, faciliter la constatation des crimes, des infractions liées à la criminalité organisée, du vol et recel de véhicules et de certains délits douaniers ; qu'il leur a également assigné comme finalité la recherche des auteurs de ces infractions ;
20. Considérant que les enregistrements seront effacés au bout de huit jours si les caractéristiques permettant l'identification des véhicules, ainsi collectées, ne figurent ni dans le fichier national des véhicules volés ou signalés, ni dans la partie du système d'information Schengen relative aux véhicules ; que les critères de cette recherche seront les caractéristiques des véhicules et non les images des passagers ; que les données n'ayant pas fait l'objet d'un " rapprochement positif " ne pourront être consultées pendant ce délai, sous réserve des besoins résultant d'une procédure pénale ; que seules les données ayant fait l'objet de ce rapprochement seront conservées ; que la durée de cette conservation ne pourra alors excéder un mois, sauf pour les besoins d'une procédure pénale ou douanière ; que seuls auront accès au dispositif, dans les limites ci-dessus décrites, des agents des services de la police et de la gendarmerie nationales individuellement désignés et dûment habilités ; que les traitements automatisés des données recueillies seront soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ;
21. Considérant qu'eu égard aux finalités que s'est assignées le législateur et à l'ensemble des garanties qu'il a prévues, les dispositions contestées sont propres à assurer, entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l'ordre public, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée ;
22. Considérant que les griefs dirigés contre l'article 8, lequel n'est pas entaché d'incompétence négative, doivent être rejetés ;
- SUR LA PLACE DE CERTAINES DISPOSITIONS DANS LA LOI DÉFÉRÉE :
23. Considérant que, selon les requérants, la loi déférée comporte " de nombreuses dispositions étrangères à la répression du terrorisme " ; qu'ils estiment que ces dispositions, issues d'amendements adoptés au cours du débat parlementaire, n'ont pas leur place dans ladite loi et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
24. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale... " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 34 de la Constitution : " La loi est votée par le Parlement " ; qu'aux termes du premier alinéa de son article 39 : " L'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement " ; que le droit d'amendement que la Constitution confère aux parlementaires et au Gouvernement est mis en oeuvre dans les conditions et sous les réserves prévues par ses articles 40, 41, 44, 45, 47 et 47-1 ;
25. Considérant, d'une part, qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le droit d'amendement qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ;
26. Considérant, d'autre part, qu'il ressort également de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de son premier alinéa aux termes duquel : " Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique ", que, comme le rappellent d'ailleurs les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat, les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion ; que, toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle ;
27. Considérant, par suite, que doivent être regardées comme adoptées selon une procédure irrégulière les adjonctions ou modifications apportées à un projet ou à une proposition de loi dans des conditions autres que celles précisées ci-dessus ;
28. Considérant, en l'espèce, que la loi déférée n'a fait l'objet que d'une lecture par chacune des deux assemblées avant la réunion de la commission mixte paritaire ; que, dès lors, les dispositions qui ont été introduites au cours du débat parlementaire doivent satisfaire aux conditions applicables aux amendements adoptés durant la première lecture, notamment à la nécessité de ne pas être dépourvues de tout lien avec l'objet initial du projet de loi ;
29. Considérant que l'article 19 de la loi déférée, issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, insère, après le quatrième alinéa de l'article 19 de la loi du 21 janvier 1995 susvisée, un alinéa ainsi rédigé : " La représentation syndicale au sein des commissions administratives paritaires compétentes pour les corps de fonctionnaires actifs des services de la police nationale peut déroger au statut général de la fonction publique afin d'adapter et de simplifier la gestion de ces personnels. A ce titre, les gardiens de la paix et les brigadiers de police constituent un collège électoral unique au sein des commissions administratives paritaires nationales et interdépartementales représentant le corps d'encadrement et d'application de la police nationale " ;
30. Considérant que, contrairement aux autres dispositions de la loi déférée, l'article 19 précité est dépourvu de tout lien avec un projet de loi qui, lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, première assemblée saisie, comportait exclusivement des mesures relatives à la lutte contre le terrorisme, à la sécurité et aux contrôles aux frontières ; qu'il suit de là que cet article 19 a été adopté selon une procédure contraire à la Constitution ;
31. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,Décide :
Article premier.- Sont déclarés contraires à la Constitution :
- les mots : " et de réprimer " figurant aux deuxièmes alinéas du I et du II de l'article 6 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers,
- l'article 19 de la même loi.
Article 2.- Le surplus de l'article 6 et l'article 8 de la même loi ne sont pas contraires à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 19 janvier 2006, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE et Valéry GISCARD d'ESTAING, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER, M. Pierre STEINMETZ et Mme Simone VEIL.

# SAISINES:
Paris, le 10 janvier 2006
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
SUR LE RECOURS DIRIGE CONTRE LA LOI RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET PORTANT DISPOSITIONS DIVERSES RELATIVES A LA SECURITE ET AUX CONTROLES FRONTALIERS
La loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, adoptée le 22 décembre 2005, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs qui critiquent, en particulier, ses articles 6 et 8.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
***
I / Sur l'article 6
A/ L'article 6 de la loi déférée, modifiant le code des postes et des communications électroniques et la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, prévoit, à fin de prévenir et de réprimer des actes de terrorisme, que des agents habilités des services de police et de gendarmerie peuvent requérir la communication de certaines données conservées et traitées par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d'accès à des services de communication en ligne et les opérateurs qui assurent le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services.
Les sénateurs requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient l'article 66 de la Constitution ainsi que les termes des articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
B/ Le Gouvernement considère que de telles critiques ne sont pas fondées.
Les dispositions critiquées de l'article 6 de la loi déférée visent à renforcer les moyens juridiques d'action des services engagés dans la lutte anti-terroriste, en prévoyant la possibilité pour ces services d'obtenir, en amont des procédures judiciaires, certaines informations qui peuvent s'avérer décisives pour la prévention d'actes de terrorisme.
En effet, les réseaux terroristes utilisent de manière intensive les procédés de communication modernes, qui leur permettent d'échanger des informations de façon rapide, discrète et furtive. L'identification des membres de ces réseaux et des menaces terroristes peut être grandement facilitée par l'exploitation de données se rapportant à l'usage de ces procédés de communication, comme les données d'abonnement ou de connexion ou celles permettant de localiser les terminaux utilisés.
C'est dans ce contexte que le législateur a décidé d'adopter l'article 6, qui complète la législation en vigueur afin d'instituer une procédure de réquisition administrative permettant aux services de police et de gendarmerie spécialisés dans la lutte contre le terrorisme de se faire communiquer certaines des données techniques conservées et traitées par des opérateurs et prestataires mentionnés au I de l'article L 34-1 du code des postes et des communications électroniques ainsi que par des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I de l'article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cette nouvelle procédure, destinée à la prévention des actes de terrorisme, s'inscrit dans un cadre de police administrative, en amont de toute procédure judiciaire.
L'article 6 institue ainsi, dans un cadre administratif préventif, un dispositif de réquisition analogue au dispositif de réquisition judiciaire de ces mêmes données techniques, déjà organisé par les articles 60-1 et 99-3 du code de procédure pénale et par l'article L 34-1 du code des postes des communications électroniques. A ces possibilités de réquisitions relevant de la police judiciaire, ordonnées dans le cadre des procédures judiciaires ouvertes en vue de réprimer des infractions déterminées, l'article 6 ajoute une possibilité de réquisition administrative en amont susceptible d'être mise en oeuvre par les services spécialisés dans la lutte anti-terroriste avant que ne soient engagées des procédures judiciaires.
1/ Ces dispositions de l'article 6 de la loi déférée ne sauraient être jugées contraires à l'article 66 de la Constitution.
a) A cet égard, on se doit de remarquer que les auteurs du recours se méprennent sur la portée de la notion de liberté individuelle, au sens où l'entend l'article 66 de la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L'article 66 de la Constitution dispose que " nul ne peut être arbitrairement détenu " et que " l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ". Ces dispositions confient un rôle éminent à l'autorité judiciaire pour la protection de la liberté individuelle et elles ont pour effet d'imposer au législateur de soumettre à l'intervention ou au contrôle du juge judiciaire les mesures mettant en cause cette liberté.
Mais la liberté individuelle, au sens de l'article 66 de la Constitution, n'inclut pas tous les aspects des différentes libertés de la personne qui sont garanties par les textes et principes de valeur constitutionnelle. Elle vise, dans la ligne du premier alinéa de l'article 66, la liberté de ne pas être arbitrairement détenu ; elle concerne, en conséquence, les mesures qui conduisent à s'assurer physiquement des personnes. Mais elle n'englobe pas d'autres libertés de la personne, comme la liberté d'aller et venir ou le respect de la vie privée ou encore la liberté de se marier : si ces libertés bénéficient évidemment d'une protection constitutionnelle, elles n'ont pas pour fondement constitutionnel l'article 66 de la Constitution, mais d'autres dispositions constitutionnelles, en particulier les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est aujourd'hui fermement engagée en ce sens (décision n°99-411 DC du 16 juin 1999 ; décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999 ; décision n°2002-461 DC du 29 août 2002 ; décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003 ; décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003 ; décision n°2004-492 DC du 2 mars 2004 ; décision n°2004-499 DC du 29 juillet 2004). Il s'ensuit que les exigences constitutionnelles tenant à la protection de ces libertés n'imposent pas l'intervention du juge judiciaire, alors que l'article 66 de la Constitution l'impose pour ce qui concerne la liberté individuelle.
Au cas présent, l'obtention par certaines services de police ou de gendarmerie de données techniques se rapportant à des communications électroniques ne traduit aucune contrainte sur des personnes ; cette mesure ne saurait, en conséquence, être regardée comme portant atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. Sans doute l'obtention de ces informations peut-elle être de nature à affecter le respect de la vie privée ; mais les exigences résultant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'impliquent pas que l'obtention de ces données soit subordonnée à l'intervention ou au contrôle de l'autorité judiciaire. On ne peut, par suite, soutenir que l'article 6 de la loi déférée serait contraire à l'article 66 de la Constitution parce qu'il ne prévoirait pas l'intervention du juge judiciaire dans cette procédure administrative visant à l'obtention de certaines données de connexion.
b) Par ailleurs, le Gouvernement considère que la circonstance que le législateur ait antérieurement institué un dispositif de réquisition judiciaire aux articles 60-1 et 99-3 du code de procédure pénale ne s'oppose pas à ce qu'il puisse décider, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, de mettre en place un dispositif parallèle de réquisition administrative, dès lors que ces deux dispositifs répondent à des finalités distinctes. De fait, le dispositif de réquisition judiciaire vise la poursuite et la répression d'infractions dans le cadre d'opérations de police judiciaire placées sous le contrôle ou la direction de l'autorité judiciaire ; le dispositif administratif institué par la loi déférée vise, en amont de toute procédure judiciaire, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, qui relève de l'autorité administrative.
Il est vrai, comme le relève la saisine, que l'article 6 mentionne que ce dispositif est institué " afin de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme ". Cette rédaction, qui comporte par rapport à la rédaction initiale du projet de loi un ajout mentionnant la " répression " des actes de terrorisme, résulte des travaux parlementaires.
Mais cet ajout, aux yeux du Gouvernement, ne saurait avoir pour effet de modifier la nature administrative de la mesure instituée par l'article 6. En particulier, le Gouvernement considère que l'ajout des termes " et réprimer " n'a ni pour objet ni pour effet de permettre d'utiliser la procédure de l'article 6 lorsqu'une procédure judiciaire est ouverte et qu'est applicable la procédure de réquisition judiciaire organisée par le code de procédure pénale ; dans ce cas, la procédure judiciaire est seule susceptible d'être mise en oeuvre.
Le souci du Parlement a été de manifester que le dispositif de l'article 6 s'inscrit dans une démarche globale de lutte contre le terrorisme intégrant une dimension de prévention et une dimension de répression et de souligner l'importance d'une correcte articulation entre les différents dispositifs. Les travaux parlementaires ont souligné la nécessité, dans le cadre de la lutte anti-terroriste, de disposer d'un outil administratif adapté, permettant de prévenir des atteintes à la sécurité des personnes alors même qu'aucune infraction n'a encore été commise. Il a aussi été souligné qu'il importait que l'autorité judiciaire soit avisée par l'autorité administrative chaque fois que les opérations de police administrative conduisent à identifier une infraction et qu'elle soit rendue destinataire des éléments qui s'y rapportent et qui ont été obtenus dans le cadre préalable de la police administrative. De ce point de vue, la mention introduite à l'article 6 se borne à faire référence aux situations dans lesquelles les agents des services spécialisés peuvent saisir l'autorité judiciaire des éléments qu'ils ont obtenus dans l'exercice de leurs missions de police administrative, permettant de constater ou d'identifier des situations susceptibles de constituer des infractions dont la poursuite et la sanction relève de la seule compétence de l'autorité judiciaire.
2/ Compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur et des différentes garanties qu'il a précisément instituées, les dispositions de l'article 6 de la loi déférée ne portent pas d'atteinte excessive au droit au respect de la vie privée résultant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
On doit, d'une part, relever que le dispositif institué par l'article 6 n'est susceptible d'être mis en oeuvre que dans le cadre de la lutte contre les actes de terrorisme, à l'exclusion de toute autre finalité, c'est-à-dire à l'égard d'actes constituant une menace d'une particulière gravité pour la sauvegarde de l'ordre public.
Il faut, d'autre part, souligner que l'atteinte susceptible d'être portée à la vie privée en vertu de l'article 6 de la loi déférée demeure limitée. En effet, seules peuvent être obtenues, dans ce cadre de police administrative, des données techniques relatives à l'utilisation de procédés de communications électroniques, comme des numéros d'abonnement ou de connexions, la date ou la durée des communications, la localisation des dispositifs utilisés. En revanche, le dispositif de l'article 6 ne permet, en aucun cas, aux services de police et de gendarmerie de connaître le contenu des messages échangés. Il n'a, ainsi, pas du tout la même portée que les interceptions de sécurité régies par la loi n°91-646 du 10 juillet 1991.
En outre, le législateur a veillé à instituer des garanties appropriées pour encadrer la mise en oeuvre de ce dispositif de réquisition administrative.
Ainsi, le droit de réquisition n'est ouvert qu'à certains agents limitativement énumérés. Ces agents devront appartenir aux services de police et de gendarmerie spécialement chargés des missions de lutte contre le terrorisme ; la liste des services de police et de gendarmerie nationales spécialement chargés de ces missions sera, conformément à l'article 33 de la loi déférée, fixée par arrêté interministériel. Ces agents devront, en outre, être individuellement désignés et habilités dans des conditions prévues par des actes réglementaires qui seront pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en application de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
On peut indiquer, à cet égard, que les agents désignés relèveront des unités ou services directement affectés à la lutte anti-terroriste de la direction de la surveillance du territoire, de la direction centrale des renseignements généraux, de la direction centrale de la police judiciaire, de l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste, de la direction générale de la gendarmerie nationale ainsi que, à Paris, de la direction régionale des renseignements généraux de la préfecture de police et de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police.
De plus, les données techniques susceptibles d'être obtenues sont limitativement énumérées par la loi. Il s'agit des données permettant l'identification des numéros d'abonnement ou de connexion d'une personne désignée, des données de localisation des équipements terminaux, des données techniques relatives aux destinataires, à la durée et à la date des communications d'un abonné. La loi exclut que puissent être communiquées des données qui seraient relatives au contenu des communications.
En outre, la loi précise les modalités de mise en oeuvre du dispositif. Les demandes de communication doivent être motivées et soumises à la décision d'une personne qualifiée, placée auprès du ministre de l'intérieur, désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante instituée par la loi n°91-646 du 10 juillet 1991. Cette instance peut, à tout moment, procéder à des contrôles et lorsqu'elle constate un manquement aux règles définies ou une atteinte aux droits et libertés, elle saisit le ministre d'une recommandation.
A cet égard, on ne saurait tirer argument, pour contester la conformité à la Constitution de la loi déférée, de ce que des modalités de contrôle différentes ont été instituées par le législateur pour ce qui concerne les interceptions de sécurité. On doit rappeler, à cet égard, que le dispositif de l'article 6 n'a pas la même portée que les interceptions de sécurité, en ce qu'il ne permet pas d'obtenir d'informations sur le contenu des messages échangés. S'agissant de la communication de données techniques relatives aux communications téléphoniques ou électroniques, les dispositions édictées au cas présent par le législateur sont adaptées et apportent des garanties suffisantes. Le mécanisme protecteur institué par le législateur prévoit ainsi l'intervention préalable d'une personnalité qualifiée et le contrôle de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. Pour sa part, l'article 3 de la loi du 10 juillet 1991 précise que les autorisations d'interception de sécurité sont données par décision du Premier ministre, que leur nombre peut être contingenté, que la Commission nationale de contrôle veille au respect de la réglementation applicable et peut lorsqu'elle estime qu'une interception a été autorisée en méconnaissance de la loi adresser une recommandation tendant à ce que cette interception soit interrompue.
On doit observer que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité est appelée à assurer un contrôle réel du dispositif. La Commission dispose d'un véritable pouvoir de désignation de la personnalité qualifiée chargée de décider des réquisitions, sur la base d'une liste d'au moins trois noms proposée par le ministre de l'intérieur. La Commission est investie, en outre, d'un pouvoir de contrôle qu'elle pourra mettre en oeuvre de sa propre initiative ou sur la base d'une réclamation d'une personne y ayant un intérêt direct et personnel. Ces contrôles seront d'ailleurs facilités par le fait que les demandes de communication de données, accompagnées de leurs motifs font l'objet d'un enregistrement et sont communiquées à la Commission.
Sans doute le législateur n'a-t-il pas confié à la Commission un pouvoir de décision lorsqu'elle constate un manquement à la réglementation. Elle n'en dispose d'ailleurs pas davantage à l'égard des interceptions de sécurité. Mais ce pouvoir de recommandation n'est pas limité par la loi et il implique, pour le ministre de l'intérieur, de prendre position et de faire connaître à la Commission, dans un délai de quinze jours, les mesures prises suite à une recommandation. Un tel mode de contrôle exercé par une autorité administrative indépendante apparaît adapté aux particularités de la matière.
II/ Sur l'article 8
A/ L'article 8 de la loi déférée, modifiant l'article 26 de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003, détermine les conditions de mise en oeuvre de dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, aux fins de prévenir et de réprimer le terrorisme et de faciliter la constatation de certaines infractions criminelles.
Les sénateurs auteurs de la saisine invoquent les termes de l'article 66 de la Constitution et de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour soutenir que les dispositions de l'article 8 porteraient une atteinte excessive à la liberté d'aller et venir et au respect de la vie privée. Ils font valoir, en outre, que les dispositions critiquées seraient entachées d'incompétence négative et méconnaîtraient l'article 34 de la Constitution.
B/ De tels griefs ne pourront qu'être écartés.
L'article 8 a pour objet de compléter les dispositions relatives au contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules, résultant de l'article 26 de la loi du 18 mars 2003, en vue de rendre ce dispositif plus opérationnel et de l'adapter aux nécessités de la lutte contre le terrorisme et certaines formes de délinquance et de criminalité organisée. L'article 8 détermine, de façon précise, les garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre de ce dispositif.
L'article 26 de la loi du 18 mars 2003, dans sa rédaction initiale, autorisait déjà la mise en place en tout point approprié du territoire, de dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules permettant une consultation systématique au du fichier des véhicules volés. Il prévoyait aussi que ces dispositifs pourraient être mis en place, de manière temporaire, pour la préservation de l'ordre public à l'occasion d'événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes.
L'article 8 de la loi déférée complète ces dispositions sur trois points. En premier lieu, il précise et élargit les finalités de ce dispositif de contrôle : la loi énonce qu'il vise à permettre la constatation des infractions de vol et de recel des véhicules volés, la prévention et la répression d'actes de terrorisme, la constatation des infractions criminelles ou liées à la criminalité organisée mentionnées à l'article 706-73 du code de procédure pénale, la constatation d'infractions commises en bande organisée prévues par l'article 414 du code des douanes ainsi que de certaines infractions prévues par l'article 415 du même code ; en outre, la loi conserve les finalités de police administrative prévues au 2ème alinéa de l'article 26. En deuxième lieu, l'article 8 prévoit que la prise de vue des occupants du véhicule est autorisée. Il précise, en troisième lieu, les modalités de traitement, de consultation et de conservation des données.
1/ Comme précédemment, le grief tiré de l'article 66 de la Constitution ne pourra qu'être écarté. Pas davantage que pour l'article 6, la mise en oeuvre du dispositif de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules régi par l'article 8 ne se traduit par des mesures de contrainte conduisant à s'assurer physiquement de personnes. Ainsi, elle ne met pas en cause la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution. On ne peut, par suite, se référer à cet article 66 pour soutenir que la mise en place de ce dispositif de contrôle devrait être subordonnée à l'intervention ou au contrôle de l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, aucune autre règle constitutionnelle n'impose, que ce dispositif de contrôle automatisé soit, à raison de sa nature même, placé sous le contrôle du juge judiciaire.
On doit insister, à cet égard, sur les différentes finalités qui sont assignées par la loi à cet instrument de contrôle particulier. Ces finalités peuvent être, selon les cas et les informations recueillies, soit de nature administrative et viser à la prévention des troubles de l'ordre public, sous le contrôle de la juridiction administrative (prévention du terrorisme, préservation de l'ordre public à l'occasion de certains événements particuliers), soit de nature judiciaire et viser à la constatation et à la répression de certaines infractions énumérées, sous le contrôle exclusif de l'autorité judiciaire et dans le respect des principes de la procédure pénale.
Aucun principe de valeur constitutionnelle ne s'oppose à ce qu'un instrument unique soit mis en place afin de répondre à différentes finalités d'ordre administratif ou judiciaire. Le droit français connaît déjà des exemples de dispositifs automatisés qui peuvent avoir à la fois une finalité judiciaire et une finalité administrative : il en va ainsi pour certains fichiers, comme le système de traitement des infractions constatées (STIC) ou le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS). Le STIC a une double finalité, inscrite dans la loi, et peut être consulté à des fins de police administrative en application de l'article 25 de la loi n°2003-239 du 18 mars 2003 et en matière de police judiciaire en vertu de l'article 21 de la même loi. Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de ces dispositions de la loi du 18 mars 2003 (décision n°2003-467 DC du 13 mars 2003). De même, le FIJAIS, qui a été institué par la loi du 9 mars 2004, peut être interrogé par les autorités judiciaires et les officiers de police judiciaire dans le cadre de certaines procédures judiciaires et être consulté par les préfets et certaines administrations pour l'exercice de missions relevant de sa compétence. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution (décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004).
Il en va encore de même pour les systèmes de vidéosurveillance assurant la transmission et l'enregistrement d'images prises sur la voie publique, qui peuvent être mis en oeuvre à des fins administratives, comme celle d'assurer la protection des bâtiments et installations publiques, et des fins judiciaires, comme celles de constater des infractions aux règles de circulation (V. la décision n°94-352 DC du 18 janvier 1995).
2/ Les dispositions de l'article 8 de la loi déférée ne portent pas d'atteinte excessive aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
a) D'une part, on observera que, contrairement à ce qui est soutenu, la liberté d'aller et venir n'est nullement affectée par les dispositions critiquées, puisque le dispositif passif de contrôle automatisé n'a ni pour objet ni pour effet d'entraver les déplacements des personnes et de limiter la liberté de circuler. Le grief tiré de l'atteinte à la liberté d'aller et de venir ne pourra, en conséquence, qu'être écarté comme manquant en fait.
b) D'autre part, il faut souligner que l'atteinte portée au droit au respect de la vie privée demeure limitée et qu'elle est justifiée par les impératifs de sauvegarde de l'ordre public. Il faut aussi relever que le dispositif adopté par le législateur comporte de nombreuses garanties.
Il faut rappeler, en particulier, que les données à caractère personnel qui seront collectées seront soumises aux dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les garanties de la loi de 1978 seront pleinement applicables.
On peut observer, en outre, que la loi détermine des modalités précises de consultation, de traitement et de conservation des données recueillies. Elle détermine de façon limitative avec quels fichiers les informations recueillies pourront être comparées : il s'agit exclusivement du traitement automatisé des données relatives aux véhicules volés ou signalés et des données du système d'information Schengen (SIS) relatives aux véhicules volés ou signalés. La loi précise aussi que l'accès aux traitements est réservé, lorsqu'il s'agit de prévention et de répression de terrorisme à des agents individuellement désignés et dûment habilités des services de police et de gendarmerie spécialement chargés de ces missions. De plus et de façon générale, les actes réglementaires d'application préciseront, conformément à la loi du 6 janvier 1978, les modalités d'habilitation des personnels ayant accès aux traitements : l'accès sera et subordonné à des habilitations individuelles et respectera les conditions posées par la loi du 6 janvier 1978.
La loi a, par ailleurs, déterminé la durée de conservation des données collectées, en la limitant à huit jours, durée au-delà de laquelle les données seront effacées. Pendant cette période, la loi interdit la consultation des données n'ayant pas fait l'objet d'un rapprochement positif avec le fichier des véhicules volés et le système d'information Schengen, sauf nécessité pour les besoins d'une procédure pénale. Ce n'est que dans le cas où les données auraient fait l'objet d'un rapprochement positif qu'elles seront conservées pour une durée d'un mois, à l'expiration de laquelle elles seront effacées, sauf nécessité de leur conservation pour les besoins d'une procédure pénale.
Il faut, enfin, souligner que le traitement de ces données sera effectué exclusivement à partir des données signalétiques de la plaque d'immatriculation du véhicule. Les photographies prises à cette occasion ne pourront être exploitées que si le traitement du numéro d'immatriculation fait apparaître un rapprochement positif, auquel cas la photographie pourra être utilisée en vue de faciliter l'identification de l'auteur de l'infraction en cause ou au contraire afin de disculper le conducteur du véhicule.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le dispositif institué par le législateur, compte tenu des finalités auxquelles il obéit et de ses modalités de mise en oeuvre, ne porte pas une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
3/ Les dispositions adoptées par le législateur ne sont, enfin, pas entachées d'incompétence négative. Elles ne sont pas imprécises et ne manquent pas au principe de clarté de la loi résultant de l'article 34 de la Constitution.
Les buts dans lesquels peuvent être mis en oeuvre ces contrôles, en application du 1er alinéa de l'article 26 modifié par la loi déférée, sont précisément énumérés ; ils recouvrent des infractions d'une particulière gravité et correspondant précisément à des situations dans lesquelles le contrôle automatisé prévu est adapté et pertinent.
Les buts dans lesquels ces contrôles peuvent être mis en place à des fins administratives en vertu du second alinéa de l'article 26 sont également prévus de manière limitative, d'une part, dans le temps " à titre temporaire ", d'autre part dans des circonstances particulières, lorsque est en cause la préservation de l'ordre public à l'occasion d' " événements particuliers ou de grands rassemblements de personnes ". Ces notions, qui renvoient à des concepts utilisés de manière habituelle par l'autorité administrative dans l'exercice de ses missions de police administrative, ont été illustrées lors des travaux parlementaires. Il peut s'agir de rencontres ou de compétitions sportives de haut niveau, de voyages de personnalités ou de sommets internationaux, ou encore de manifestations à risque par leur ampleur ou leur nature. Ces notions ne sont pas imprécises ; elles peuvent d'ailleurs trouver leur origine dans des textes anciens toujours en vigueur : ainsi, par exemple, de la notion de " grands rassemblements d'hommes " figurant aujourd'hui à l'article L 2212-2 du code général des collectivités territoriales relatif à la police municipale.
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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs du recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.
23 décembre 2005
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75001 Paris.
Monsieur le Président, Mesdames, et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers telle qu'adoptée par le Parlement.
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I. Afin d'éviter toute mauvaise compréhension de la saisine, ses auteurs entendent rappeler leur attachement républicain à la poursuite des objectifs de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, essentiels à toute société démocratique. Qu'il en va particulièrement ainsi en matière de lutte contre les actes de terrorisme, qu'il s'agisse de la prévention ou de la répression de ces crimes odieux. Mais, dans le même temps, les auteurs du recours entendent veiller au respect des droits et libertés constitutionnellement protégés. Il en va d'autant plus ainsi lorsque, par un amalgame inutile et dangereux, les formes les plus graves de la criminalité sont mêlées, comme dans le présent projet de loi, à des finalités totalement étrangères.
C'est pourquoi, les procédures dérogatoires au droit commun mises en oeuvre à cet égard, doivent alors être strictement et précisément définies, limitées dans le temps, et entourées de l'ensemble des garanties réelles et effectives des droits. Le recours à de telles règles justifiées par des circonstances exceptionnelles doit donc être rigoureusement encadré et strictement proportionné au but à atteindre. L'indispensable volonté de prévenir et punir les actes de terrorismes ne saurait, en revanche, légitimer le glissement insidieux vers un Etat d'urgence permanent. Car, le risque serait, sinon, de modifier radicalement la nature de notre système démocratique, et de rompre la conciliation entre l'exercice des libertés fondamentales constitutionnellement garanties, d'une part, et la préservation de l'ordre public, d'autre part, lesquels sont nécessaires l'un et l'autre à la sauvegarde des droits de valeur constitutionnelle. Or, plus la démocratie est menacée par ses ennemis, plus les principes constitutionnels qui la fondent et font sa force doivent être réaffirmés. Car la plus grande victoire des terroristes serait que nous renoncions à l'Etat de droit.
Les saisissants entendent rappeler, à cet égard, que, dans l'Etat de droit, le droit à la sécurité doit toujours être concilié avec le droit à la sûreté tel qu'il découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, c'est à dire avec le droit de n'être ni surveillé, ni poursuivi, ni arrêté, ni détenu, ni condamné arbitrairement. Que la liberté proclamée par cet article implique, en outre, le respect de la vie privée (Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 ; n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004) et le droit de circuler librement (n° 94-352 DC du 18 janvier 1995).
Il importe, dans ce cadre, que l'Autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles aux termes de l'article 66 de la Constitution, continue d'assurer toutes les garanties indispensables à la préservation de cette exigence (Décision du 18 janvier 1995 ; Décision du 11 août 1993).
De même, il convient de s'assurer que la protection de la liberté individuelle, laquelle repose aussi sur l'article 16 de la Déclaration de 1789 disposant que " Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ", demeure certaine.
Enfin, il convient que les procédures organisées le soient en termes suffisamment précis et clairs pour éviter l'arbitraire, afin de respecter l'article 34 de la Constitution qui dispose que "la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ".
C'est pourquoi, en tout état de cause, les dispositifs destinés à lutter contre la préparation et la commission des actes de terrorisme, doivent respecter le principe de proportionnalité ainsi que vous vous y êtes toujours attachés, y compris en matière de terrorisme en censurant l'erreur manifeste d'appréciation (Décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996).
C'est donc à l'aune de ces principes et de tous autres à ajouter ou suppléer, même d'office, qu'il vous est demandé d'examiner l'ensemble de la loi critiquée et en particulier les articles ci-après visés.
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Sur l'article 6 de la loi
Cet article tend à permettre aux agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie de se faire communiquer certaines données de trafic générées par les communications électroniques. Ces données seraient communiquées dans un cadre juridique administratif placé sous le contrôle du ministère de l'intérieur et non plus systématiquement, comme actuellement sous l'empire du code de procédure pénale, dans un cadre judiciaire.
Un tel dispositif en privant de garanties légales des exigences constitutionnelles méconnaît l'article 66 de la Constitution et ensemble les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Actuellement, et conformément aux prescriptions de l'article 66 de la Constitution, les données visées par l'article 6 de la loi critiquée ne peuvent être consultées par la police et la gendarmerie nationales que dans un cadre judiciaire. Ainsi, les articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 du code de procédure pénale, disposent respectivement que l'officier de police judiciaire au cours d'une enquête de flagrance, le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire, sur autorisation du procureur, au cours d'une enquête préliminaire ainsi que le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire par lui commis au cours de l'instruction, peuvent " requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l'enquête ou l'instruction, y compris ceux issus d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, de leur remettre ces documents [...] ".
Mais, selon l'exposé des motifs de la loi attaquée, cette obligation de s'inscrire dans un cadre judiciaire est trop restrictive pour lutter efficacement contre le terrorisme, " car la plupart des vérifications nécessaires en pratique découlent d'éléments recueillis en amont de toute procédure judicaire ".
C'est sur cette base peu convaincante que le gouvernement a donc inventé un mécanisme de contrôle proche de celui existant pour les interceptions de sécurité et qui a pour but ainsi avoué d'évincer l'autorité judiciaire de son rôle constitutionnellement consacré.
II.1. Base peu convaincante car l'article querellé mêle la prévention et la répression des actes de terrorisme. Or, si l'on peut imaginer le recours à des procédés de police administrative - toutefois strictement proportionnés et encadrés - lorsqu'il s'agit de prévenir des infractions, en revanche la poursuite et la répression des crimes et délits relève, par principe, du pouvoir de contrôle de l'autorité judiciaire (voir par exemple en matière de terrorisme : Décision du 16 juillet 1996). Or, l'article 6 en cause créant un nouvel article L. 34-1-1 du code des postes et télécommunications, prévoit bien un tel mécanisme d'interception administrative des communications privées " afin de prévenir et de réprimer les actes de terrorisme ".
On se trouve ici dans l'hypothèse d'une procédure qui, par définition, appartient au champ de la police judiciaire et se trouve donc constitutionnellement placée sous la protection de l'Autorité judiciaire. C'est le raisonnement de principe que vous avez constamment tenu pour considérer que l'autorité judiciaire devait être informée au plus tôt et prendre le contrôle du reste de la procédure sous sa surveillance en cas de poursuite d'une infraction ou d'existence de raisons plausibles qu'une infraction va être commise (Décision n° 93-326 DC du 11 août 1993 ; n° 2003-467 DC du 13 mars 2003). Et c'est en tenant compte du rôle confié à cette même autorité, dont le juge des libertés, que vous avez validé plusieurs dispositions de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et notamment en matière d'interceptions de sécurité des communications électroniques (Décision n° 2004-492 du 2 mars 2004).
En soustrayant à la surveillance de l'autorité judiciaire des actes de nature à porter atteinte à la liberté individuelle et au droit à la vie privée le législateur a privé de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel (Décision n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, considérant 2).
II.2. C'est en vain que le gouvernement viendrait prétendre que le mécanisme institué par l'article critiqué vaut garantie, sinon équivalente de celle supprimée, au moins suffisante.
D'abord, un tel raisonnement serait l'aveu d'une régression démocratique fort grave en matière de droits et libertés fondamentaux.
Ensuite, force est d'admettre que le régime mis en place par la loi en cause est moins protecteur que celui existant aujourd'hui pour les interceptions dites de sécurité.
Autrement dit, le législateur soustrait non seulement les moyens d'investigation nécessaires à la répression d'un acte criminel au pouvoir de surveillance constitutionnel de l'autorité judiciaire, mais, de surcroît, invente un dispositif moins protecteur que celui en vigueur pour les écoutes dites administratives !
II.2.1. En effet, les interceptions ordonnées par l'autorité judiciaire, sont réglementées par la loi n 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques. Elles peuvent être autorisées aux fins de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et la reconstitution ou le maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées.
L'autorisation est accordée par décision écrite et motivée du Premier ministre ou de l'une des deux personnes spécialement déléguées par lui. Elle est donnée sur proposition écrite et motivée du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur ou du ministre chargé des douanes, ou de la personne que chacun d'eux a spécialement déléguée. Cette autorisation est donnée pour une durée maximum de quatre mois. Elle cesse de plein droit de produire effet à l'expiration de ce délai. Elle ne peut être renouvelée que dans les mêmes conditions de forme et de durée.
Le nombre d'interceptions susceptibles d'être pratiquées simultanément est contingenté et réparti entre les trois ministères compétents. Il est établi un relevé de chacune des opérations d'interception et d'enregistrement. Ce relevé mentionne la date et l'heure auxquelles elle a commencé et celles auxquelles elle s'est terminée.
A cet égard, la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, autorité administrative indépendante, est chargée de veiller au respect de l'ensemble de la réglementation applicable. Elle est présidée par une personnalité désignée, pour une durée de six ans, par le Président de la République, sur une liste de quatre noms établie conjointement par le vice-président du Conseil d'Etat et le premier président de la Cour de cassation.
Lorsque le Premier ministre autorise une interception, le président de la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité en est informé dans un délai de quarante-huit heures au plus tard. Si celui-ci estime que la légalité de cette décision n'est pas certaine, il réunit la commission, qui statue dans les sept jours suivant la réception par son président de la notification.
Au cas où la commission estime qu'une interception de sécurité a été autorisée en méconnaissance de la loi, elle adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que cette interception soit interrompue. De sa propre initiative ou sur réclamation de toute personne y ayant un intérêt direct et personnel, la commission peut procéder au contrôle de toute interception de sécurité.
II.2.2. En l'espèce, ce n'est donc pas la Commission qui assure le contrôle réel mais une personne nommée par elle sur proposition du ministre de l'intérieur. Autrement dit, ce n'est pas une autorité administrative indépendante qui est en charge du dispositif de surveillance des investigations concernées mais une personne physique dont le statut est incertain et dont l'indépendance, en particulier, n'est pas garantie par la loi.
Le fait que cette personnalité soit désignée par la Commission ne peut tromper dans la mesure où ce " pouvoir résiduel " de nomination est totalement lié. Il importe de s'interroger sur l'indépendance de cette personnalité lorsqu'elle répondra aux demandes des forces de police, alors qu'elle devra sa nomination à une décision du ministre de l'intérieur.
Le mécanisme mis en place ne peut donc être regardé comme une garantie ni pour les interceptions aux fins de répression ni davantage pour celles ordonnées dans un but de prévention. Bien au contraire, ce dispositif élargit le champ des investigations possibles et réduit dans le même mouvement les garanties procédurales.
On ajoutera, pour autre différence, qu'il n'est pas prévu que la Commission puisse conclure à l'interruption de l'interception et que son pouvoir de recommandation est indéterminé.
II.3. Enfin, la loi est silencieuse sur les voies de recours ouvertes contre la décision du ministre de l'intérieur en cas de suite négative donnée à une recommandation de la Commission.
L'article 16 de la Déclaration de 1789 comme le droit à la vie privée sont ici violés.
S'agissant, en particulier, d'interceptions pouvant être diligentées dans le cadre d'une action de répression, il est pour le moins contraire aux principes constitutionnels précités d'exclure de tout contrôle juridictionnel précis et organisé un pan de la procédure. Dans ces conditions, de nombreuses interceptions abusives pourront fonder des poursuites ultérieures sans qu'un contrôle adapté et proportionné ait pu avoir lieu.
On observera, de surcroît, qu'à la différence du système de 1991, il n'est pas prévu que les personnes ayant un intérêt direct et personnel puissent saisir la Commission afin qu'elle procède à un contrôle.
On rappellera, à cet égard, que vous avez censuré une disposition tendant à exclure du régime des nullités certains actes d'investigations dont la nature était susceptible de porter atteinte aux droits et libertés (Décision du 2 mars 2004, précitée, cons. 70).
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Sur l'article 8 de la loi
Cet article modifie l'article 26 de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure afin de permettre une utilisation plus intensive et plus large des dispositifs de contrôle des données signalétiques des véhicules, en prévoyant, notamment, une surveillance mobile y compris des personnes installées dans les véhicules ainsi tracés.
Ce mécanisme de traçabilité généralisé des citoyens est étendu à toute une litanie de prévention et de répression d'infractions dont la majorité est étrangère au terrorisme.
Un tel dispositif méconnaît tout à la fois l'article 66 de la Constitution et l'article 2 de la Déclaration de 1789 qui protègent la liberté individuelle, dont celle d'aller et venir et le droit à la vie privée. En tout état de cause, il est entaché d'incompétence négative et viole donc l'article 34 de la Constitution.
III.1. A titre liminaire, il importe de souligner que le fait que l'article 26 de la loi du 18 mars 2003 soit déjà en vigueur ne fait pas obstacle à l'exercice de votre contrôle. En effet, vous admettez le contrôle de la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine (déc. n°85-187 DC du 25 janv. 1985, Rec. p. 43 ; Décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999).
En l'occurrence, il ne peut faire de doute que la loi déférée modifie, complète et affecte le domaine d'application de l'article 26 de la loi du 18 mars 2003. Désormais, ce dispositif permet d'installer des moyens de surveillance mobile et plus seulement fixes, permet de photographier les occupants des véhicules et plus seulement de vérifier des données signalétiques des automobiles. En outre, et ce n'est pas le moindre point, il permet de diligenter ces investigations exceptionnelles par leur ampleur pour toute une série d'infractions, dont la majorité est étrangère à la répression du terrorisme.
Dans ces conditions, le second alinéa de l'article 8 critiqué dont la rédaction est peu changée est également affecté dans son champ d'application puisque le système de surveillance généralisé qu'il organise peut désormais conduire à photographier les personnes et à les contrôler selon des moyens mobiles embarqués à bord de véhicules de la police.
Ce second alinéa de l'article 8 critiqué sera ainsi pareillement soumis à votre contrôle.
III.2. A cet égard, force est d'admettre que le dispositif institué organise un système généralisé de contrôle dans un but non pas seulement de police administrative mais également de police judiciaire : " afin de prévenir et réprimer "
Or, d'une part, le premier alinéa de l'article 8 critiqué ne prévoit en aucune façon l'intervention de l'autorité judiciaire. Intervention indispensable au regard des exigences constitutionnelles ainsi que vous l'avez constamment jugé (Décision du 18 janvier 1995 ; Décision du 13 mars 2003).
C'est en vain que l'on trouverait trace dans cet article de l'intervention de l'autorité judiciaire alors que pourtant elle est ici constitutionnellement exigée.
Il serait ici abusif, d'autre part, de prétendre que l'article critiqué ne vise que des opérations de police administrative pour justifier l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire. Non seulement, les mots mêmes de l'article critiqué prouvent le contraire, mais, de surcroît, l'étendue inédite du champ d'application de ce mécanisme aboutit à étendre le pouvoir de police administrative générale de façon manifestement disproportionnée et de placer les libertés publiques sous un régime principalement administratif.
En tout état de cause, l'intervention initiale d'un agent habilité hors de la décision de l'autorité judiciaire doit faire l'objet d'une information immédiate de celle-ci qui doit pouvoir reprendre le contrôle effectif de la procédure.
III.3. S'agissant, en particulier, du second alinéa de l'article 8, force est de constater que le législateur a prévu que " l'autorité administrative " pourrait étendre la traçabilité des citoyens circulant en voiture de façon générale et absolue, et hors de tout contrôle de l'autorité judiciaire et même, sans doute, de tout recours effectif.
Encore une fois, les auteurs de la saisine n'ignorent pas qu'existe un pouvoir général de police administrative. Ils sont également attachés à la prévention et à la répression des actes de terrorisme et des formes les plus graves de la criminalité.
Mais, au cas présent, le législateur a confié à l'autorité administrative un pouvoir général et absolu manifestement disproportionné. Cette critique a été amplement développée par la Commission nationale informatique et libertés dans sa délibération n° 2005-208 du 10 octobre 2005. Les conditions de sa mise en oeuvre et son champ d'application font de cet alinéa une menace immense pour les droits et libertés constitutionnellement protégées, dont la liberté d'aller et venir et le droit à la vie privée. Et ce, sans que le terrorisme soit nécessairement en cause. L'alinéa critiqué instaure une sorte d'Etat d'urgence permanent.
Certaines questions concrètes méritent ainsi d'être posées au sujet de cet alinéa :
-- qu'est-ce qu'un " événement particulier ", notion dont il n'existe pas de définition juridique et qui permet donc toutes les interprétations, y compris celle de surveiller les manifestations d'ordre privé comme les mariages ;
-- qu'est qu'un " grand rassemblement de personnes ", concept là encore soumis à l'arbitraire de l'autorité administrative ;
-- de quelle " autorité administrative " s'agit-il, ce qui renvoie à la question de la compétences ratione materiae et loci, ainsi que celle du droit au recours contre un processus décisionnel flou et imprécis.
-- que signifie " à titre temporaire ", expression tellement large qu'elle permet de débuter la surveillance très en amont pour la terminer très en aval des événements et rassemblements.
Par ailleurs, il importe de savoir si la décision de recourir à ce mécanisme sera publiée ou notifiée, et si oui, où, afin de pouvoir saisir un juge compétent d'un recours effectif. A titre d'exemple, il ne sert à rien de pouvoir saisir le juge administratif d'un référé liberté si les citoyens n'ont pas connaissance d'une telle décision en temps et heure.
Ces interrogations doivent être mises en regard de l'étendue des contrôles rendue possible par la nouvelle rédaction de l'article 26 de la loi du 18 mars 2003.
En définitive, cette imprécision, sans doute voulue, tend à méconnaître le principe de clarté et d'intelligibilité de la loi qui s'impose également en matière de libertés publiques. En effet, vous fondant sur les articles 4, 5, 6, 16 de la Déclaration de 1789 et 34 de la Constitution, vous censurez les formules insuffisamment précises et équivoques qui renverraient à l'arbitraire de l'interprétation par des autorités administratives la détermination des droits de chacun. Ce raisonnement particulièrement fort vaut d'autant plus lorsque sont en cause les droits et libertés fondamentaux.
Nul ne contestera que l'article critiqué, dont ce second alinéa en particulier, ne répond à aucune de ces questions et permet par sa généralité, son imprécision et sa rédaction plus qu'équivoque, de porter une atteinte manifestement disproportionnée aux droits et libertés fondamentaux.
De tous ces chefs, la censure est encourue.
Sur les dispositions sans liens avec le texte
La loi déférée comporte, enfin, de nombreuses dispositions étrangères à la répression du terrorisme. Il vous est donc demandé de l'examiner à l'aune de votre jurisprudence applicable en matière de dispositions sans lien avec le texte voté.
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Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.