Mme Barbara D. et autres [Cession des œuvres et transmission du droit de reproduction]
- Date :
- 21-11-2014
- Size :
- 3 pages
- Section :
- Legislation
- Source :
- 2014-430
- Result :
- Conformité
Original text :
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Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 septembre 2014 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1180 du 17 septembre 2014), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Barbara D., Mme Evelyne C., Mme Anne-Maxence M., M. Jean-Matthieu M., Mme Jacqueline M., M. Paul M., Mme Jacquelyn M. épouse M. et Mme Alexina M., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de « l’article 1er du décret du 19 juillet 1793 tel qu’interprété par l’arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 27 mai 1842 » . LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,Vu la Constitution ; Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; Vu la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs ; Vu la loi du 11 mars 1902 étendant aux œuvres de sculpture l’application de la loi des 19-24 juillet 1793 sur la propriété artistique et littéraire ; Vu la loi du 11 avril 1910 relative à la protection du droit des auteurs en matière de reproduction des œuvres d’art ; Vu la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique ; Vu les arrêts de la Cour de cassation du 27 mai 1842 (chambres réunies), 19 mars 1926 (chambre criminelle), 16 juin 1982 (première chambre civile, n° 81-10805) et 25 mai 2005 (première chambre civile, n° 02-17305) ; Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ; Vu les observations produites pour M. Pierre K., partie en défense, par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 9 et 24 octobre 2014 ; Vu les observations produites pour les requérants par la SCP Roger, Sevaux et Mathonnet, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 octobre 2014 ; Vu les observations en intervention produites pour M. Claude R. pris en son nom personnel, Mme Paloma R., l’EURL Picasso Administration, M. Claude R. en sa qualité d’administrateur de la succession PICASSO, par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 27 octobre 2014 ; Vu les observations en intervention produites pour M. Bernard R. par la SCP Bernard Hemery et Carole Thomas-Raquin, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées les 10 et 27 octobre 2014 ; Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10 octobre 2014 ; Vu les pièces produites et jointes au dossier ; Me Anne Sevaux, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Emmanuel Piwnica, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense, Me Carole Thomas-Raquin et Me Le Prado pour les parties intervenantes, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 12 novembre 2014 ; Le rapporteur ayant été entendu ; 1. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs, dans sa rédaction issue de la loi du 11 mars 1902 susvisée : « Les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les architectes, les statuaires, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République, et d’en céder la propriété en tout ou en partie.« Le même droit appartiendra aux sculpteurs et dessinateurs d’ornement, quels que soient le mérite et la destination de l’œuvre » ;2. Considérant qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, pour la vente intervenue antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 11 avril 1910 susvisée, la cession d’une œuvre faite sans réserve transfère également à l’acquéreur le droit de la reproduire ;3. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions ainsi interprétées ont pour effet de priver l’auteur d’une œuvre qui en cède le support matériel de son droit de propriété intellectuelle sans qu’il y ait consenti ; qu’en faisant de la propriété incorporelle un simple accessoire de la propriété sur l’œuvre, elles porteraient atteinte à la protection constitutionnelle du droit de propriété ; qu’elles méconnaîtraient également le droit au maintien des contrats légalement conclus et l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ; que les parties intervenantes reprochent encore aux dispositions contestées de porter atteinte à la liberté contractuelle ;-SUR LES GRIEFS TIRÉS D’UNE ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ ET À LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE :4. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; qu’aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ; qu’en l’absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l’article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ;5. Considérant que les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux et, notamment, à la propriété intellectuelle ; qu’à ce titre, figure le droit, pour les titulaires du droit d’auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ;6. Considérant qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ;7. Considérant que les dispositions contestées, telles qu’interprétées selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, sont applicables aux ventes réalisées avant l’entrée en vigueur de la loi du 11 avril 1910 ; qu’elles déterminent l’étendue de la cession volontairement réalisée par l’auteur de l’œuvre ; que les dispositions contestées instaurent une règle de présomption qui respecte la faculté, pour les parties à l’acte de cession, de réserver le droit de reproduction ; que ni la protection constitutionnelle des droits de la propriété intellectuelle ni celle de la liberté contractuelle ne s’opposent à une règle selon laquelle la cession du support matériel de l’œuvre emporte cession du droit de reproduction à moins que les parties décident d’y déroger par une stipulation contraire ; que, par suite, les griefs tirés d’une atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle doivent être écartés ;-SUR LES AUTRES GRIEFS :8. Considérant qu’il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu’en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ; que, de même, il ne respecterait pas les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 s’il portait aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un tel motif ;9. Considérant que la loi décrétée le 19 juillet 1793 telle qu’interprétée par la Cour de cassation n’a porté atteinte ni aux conventions légalement conclues ni à une situation légalement acquise ; que, par suite, les griefs doivent être écartés ;10. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont en tout état de cause pas inintelligibles, ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit et doivent être déclarées conformes à la Constitution,D É C I D E : Article 1er.- L’article 1er de la loi décrétée le 19 juillet 1793 relative aux droits de propriété des auteurs d’écrits en tout genre, compositeurs de musique, peintres et dessinateurs, dans sa rédaction résultant de la loi du 11 mars 1902 étendant aux œuvres de sculpture l’application de cette loi, est conforme à la Constitution. Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 novembre 2014, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC et Mme Nicole MAESTRACCI. Rendu public le 21 novembre 2014.