Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
- Date :
- 03-04-2003
- Size :
- 68 pages
- Section :
- Legislation
- Source :
- 2003-468
- Result :
- Non conformité partielle
Original text :
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Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques,
le 14 mars 2003, par MM. Jean-Marc AYRAULT, François BAYROU, Alain BOCQUET, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Yves COCHET, François HOLLANDE, Mme Marie-George BUFFET, MM. Hervé MORIN, René DOSIERE, André SANTINI, Jacques BRUNHES, Bruno LE ROUX, Damien ALARY, Mme Sylvie ANDRIEUX-BACQUET, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSÉ, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, Jean-Louis DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Henri EMMANUELLI, Claude ÉVIN, Laurent FABIUS, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Victorin LUREL, Bernard MADRELLE, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Michel PAJON, Christian PAUL, Germinal PEIRO, Jean-Claude PEREZ, Mmes Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, M. Michel SAINTE-MARIE, Mme Odile SAUGUES, MM. Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Simon RENUCCI, Mme Christiane TAUBIRA, MM. Noël MAMÈRE, Mme Martine BILLARD, MM. Emile ZUCCARELLI, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER, Michel VAXÈS, Jean-Pierre ABELIN, Pierre ALBERTINI, Gilles ARTIGUES, Pierre-Christophe BAGUET, Christian BLANC, Bernard BOSSON, Mme Anne-Marie COMPARINI, MM. Charles de COURSON, Stéphane DEMILLY, Jean DIONIS du SÉJOUR, Philippe FOLLIOT, Francis HILLMEYER, Olivier JARDÉ, Yvan LACHAUD, Jean-Christophe LAGARDE, Jean LASSALLE, Maurice LEROY, Claude LETEURTRE, Nicolas PERRUCHOT, Jean-Luc PRÉEL, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, François SAUVADET, Rodolphe THOMAS, Francis VERCAMER, Gérard VIGNOBLE et Philippe de VILLIERS, députés,
et le 18 mars 2003, par M. Claude ESTIER, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, Bertrand AUBAN, Robert BADINTER, Jean-Pierre BEL, Jacques BELLANGER, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Didier BOULAUD, Mmes Yolande BOYER, Claire-Lise CAMPION, M. Bernard CAZEAU, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Gilbert CHABROUX, Michel CHARASSE, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Marcel DEBARGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Claude HAUT, Mme Odette HERVIAUX, MM. André LABARRÈRE, Serge LAGAUCHE, Louis LE PENSEC, André LEJEUNE, Jacques MAHÉAS, Jean-Yves MANO, François MARC, Marc MASSION, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Daniel PERCHERON, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Jean-Pierre PLANCADE, Mmes Danièle POURTAUD, Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Roger RINCHET, Gérard ROUJAS, Claude SAUNIER, Michel SERGENT, Jean-Pierre SUEUR, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Pierre-Yvon TRÉMEL, Marcel VIDAL, Henri WEBER, Mme Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, François AUTAIN, Jean-Yves AUTEXIER, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Marie-France BEAUFILS, Danielle BIDARD, MM. Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Paul LORIDANT, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;
Vu la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 27 mars 2003 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 28 mars 2003 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 31 mars 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;1. Considérant que les auteurs des saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques ; qu'ils contestent plus particulièrement la procédure d'élaboration et d'adoption de la loi, les dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux, ainsi que celles relatives aux membres du Parlement européen ;
- Sur la procédure d'élaboration et d'adoption de la loi :
. En ce qui concerne le droit d'amendement :
2. Considérant que les sénateurs requérants, pour critiquer la procédure d'adoption de la loi déférée, soutiennent que le droit d'amendement des sénateurs aurait été méconnu ; qu'ils font valoir à cet égard que le Sénat a voté sans modification le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution ;
3. Considérant que le bon déroulement du débat démocratique et, partant, le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels supposent que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, et que parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition à ces fins ; que cette double exigence implique toutefois qu'il ne soit pas fait un usage manifestement excessif de ces droits ;
4. Considérant, en l'espèce, que de nombreux amendements ont été présentés en commission et en séance publique ; que la seule circonstance qu'aucun d'entre eux n'ait été adopté par le Sénat n'a pas vicié la procédure d'adoption de la loi ;
. En ce qui concerne la consultation du Conseil d'État :
5. Considérant que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que la procédure législative serait viciée du fait que le texte du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale aurait été différent tant de celui soumis au Conseil d'État que de celui adopté par lui ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution : "Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres après avis du Conseil d'État et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées" ;
7. Considérant que, si le Conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s'il lui est possible d'en modifier le contenu, c'est, comme l'a voulu le constituant, à la condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat ; que, par suite, l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d'Etat lors de sa consultation ;
8. Considérant, en l'espèce, qu'en substituant, pour l'accès au second tour des élections régionales, un seuil égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits au seuil de 10 % du total des suffrages exprimés retenu par le projet de loi soumis au Conseil d'État, le Gouvernement a modifié la nature de la question posée au Conseil d'État ; que ce seuil de 10 % des électeurs inscrits n'a été évoqué à aucun moment lors de la consultation de la commission permanente du Conseil d'État ; que les requérants sont dès lors fondés à soutenir que cette disposition du projet de loi a été adoptée selon une procédure irrégulière ;
9. Considérant qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de déclarer contraires à la Constitution, au a) du 2° de l'article 4, les mots : "" 5 % du total des suffrages exprimés " et", "respectivement" et "" 10 % du nombre des électeurs inscrits" et" ;
10. Considérant que ces dispositions sont séparables des autres dispositions de la loi ;
- Sur les dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux :
. En ce qui concerne l'article 4 :
11. Considérant, en premier lieu, que, du fait de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions précitées de l'article 4 de la loi déférée relatives au seuil nécessaire à une liste pour se maintenir de façon autonome au second tour, il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs dirigés contre ces dispositions et notamment celui tiré de l'atteinte au principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
12. Considérant, en second lieu, que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ;
13. Considérant, à cet égard, que le seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour, seuil déjà retenu par d'autres dispositions du code électoral lorsqu'il s'agit d'assurer la conciliation entre représentation proportionnelle et constitution d'une majorité stable et cohérente, ne porte atteinte par lui-même ni au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ni à l'égalité devant le suffrage, ni à la liberté des partis politiques ;
14. Considérant qu'il s'ensuit que les dispositions subsistantes du a) du 2° de l'article 4 ne sont pas contraires à la Constitution ;
. En ce qui concerne l'article 3 :
15. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 338-1 inséré dans le code électoral par l'article 3 et relatif au nouveau mode d'élection des conseillers régionaux ne répondent pas à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ; que, selon eux, ce mode de scrutin rendra difficile pour l'électeur la mesure de la portée de son vote ; que le candidat placé en tête de liste pour la région pourrait ne pas être placé en tête de liste d'une section départementale, voire ne pas figurer en rang utile pour être élu, ce qui pourrait permettre des manœuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 338 du code électoral modifié par l'article 2 de la loi déférée : "Les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. Chaque liste est constituée d'autant de sections qu'il y a de départements dans la région..." ; que le même article attribue à la liste arrivée en tête au tour décisif une prime majoritaire égale au quart des sièges à pourvoir ; que le nouvel article L. 338-1 dispose : "Les sièges attribués à chaque liste en application de l'article L. 338 sont répartis entre les sections départementales qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département. Cette attribution opérée, les sièges restant à attribuer sont répartis entre les sections départementales selon la règle de la plus forte moyenne..." ;
17. Considérant, en premier lieu, que la complexité que revêt ce mode de scrutin, s'agissant en particulier de la répartition des sièges entre sections départementales, trouve son origine dans la conciliation que le législateur a voulu opérer entre la représentation proportionnelle dans le cadre d'un vote régional, la constitution d'une majorité politique au sein du conseil régional et la restauration d'un lien entre conseillers régionaux et départements ; que cette complexité répond à des objectifs que le législateur a pu regarder comme d'intérêt général ;
18. Considérant, toutefois, qu'il incombera aux autorités compétentes de prévoir toutes dispositions utiles pour informer les électeurs et les candidats sur les modalités du scrutin et sur le fait que c'est au niveau régional que doit être appréciée la représentativité de chaque liste ; qu'il leur appartiendra en particulier d'expliquer que le caractère régional du scrutin et l'existence d'une prime majoritaire peuvent conduire à ce que, dans une section départementale donnée, une formation se voie attribuer plus de sièges qu'une autre alors qu'elle a obtenu moins de voix dans le département correspondant ; qu'il leur reviendra également d'indiquer que le mécanisme de répartition retenu peut aboutir, d'une élection régionale à la suivante, à la variation du nombre total de sièges attribués à une même section départementale ;
19. Considérant, enfin, que, pour assurer la bonne information de l'électeur et éviter par là une nouvelle augmentation de l'abstention, le bulletin de vote de chaque liste dans chaque région devra comprendre le libellé de la liste, le nom du candidat tête de liste et, répartis par sections départementales, les noms de tous les candidats de la liste ;
20. Considérant que, sous les réserves énoncées aux considérants 18 et 19, la loi déférée n'est pas contraire à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi ;
21. Considérant, en second lieu, que la loi ne favorise pas par elle-même les manœuvres électorales ; qu'il appartiendrait au juge de l'élection, saisi d'un tel grief, d'apprécier si la désignation comme tête de liste régionale d'un candidat qui ne serait pas placé en rang utile pour être élu a ou non altéré, dans les circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin ;
. En ce qui concerne l'article 9 :
22. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 346 du code électoral, dans la rédaction que lui donne l'article 4 de la loi déférée, impose, pour les élections régionales, que les listes des candidats des sections départementales soient composées alternativement d'un candidat de chaque sexe ; que l'article 9 de la loi déférée, tout en modifiant sur certains points les règles relatives à l'Assemblée de Corse, n'étend pas ces modalités à l'élection de ladite assemblée ; que sont ainsi maintenues pour celle-ci les dispositions de l'article L. 370 du code électoral en vertu desquelles : "Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Au sein de chaque groupe entier de six candidats dans l'ordre de présentation de la liste doit figurer un nombre égal de candidats de chaque sexe" ;
23. Considérant que les députés et sénateurs requérants dénoncent une atteinte au principe d'égalité dans cette différence de traitement ;
24. Considérant que l'article 3 de la Constitution dispose, en son cinquième alinéa, que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives" ;
25. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
26. Considérant que, compte tenu de leurs compétences, de leur place dans l'organisation décentralisée de la République et de leurs règles de composition et de fonctionnement, l'Assemblée de Corse et les conseils régionaux ne se trouvent pas dans une situation différente au regard de l'objectif inscrit au cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution ; qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général, ne justifie la différence de traitement en cause ; qu'ainsi, celle-ci est contraire au principe d'égalité ;
27. Considérant, toutefois, que le Conseil constitutionnel ne pourrait mettre fin à cette rupture d'égalité qu'en censurant les nouvelles dispositions de l'article L. 346 du code électoral ; qu'une telle censure méconnaîtrait la volonté du constituant de voir la loi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;
28. Considérant, que, dans ces conditions, l'article 9 de la loi déférée ne peut être déclaré contraire à la Constitution ; qu'il appartiendra à la prochaine loi relative à l'Assemblée de Corse de mettre fin à cette inégalité ;
. En ce qui concerne l'article 10 :
29. Considérant qu'en application de l'article L. 280 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 19 janvier 1999 susvisée, les sénateurs sont élus par un collège électoral composé notamment de conseillers régionaux ou de conseillers de l'Assemblée de Corse dont la répartition par département est décidée dans le mois qui suit leur élection, selon les modalités fixées aux articles L. 293-1 à L. 293-3 du même code ; que l'article 10 de la loi déférée se borne à modifier l'article L. 280 pour prévoir que le collège électoral procédant à l'élection des sénateurs comprend, dans chaque département, les conseillers régionaux de la section départementale correspondante ;
30. Considérant que les sénateurs requérants exposent qu'en raison du mécanisme retenu par le titre Ier de la loi déférée pour l'élection des conseillers régionaux dans le cadre de sections départementales, la composition et l'effectif de chaque collège départemental d'électeurs sénatoriaux varieraient "sans véritable lien avec les rapports de force politiques établis au niveau de chaque section départementale" ; qu'ils soutiennent qu'une telle variation méconnaîtrait l'objectif d'intelligibilité de la loi, les principes d'égalité du suffrage et de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ainsi que les dispositions de l'article L.O. 274 du code électoral fixant le nombre de sénateurs élus dans le département ;
31. Considérant que les règles de calcul prévues par le nouvel article L. 338-1 du code électoral peuvent avoir pour effet de faire varier de quelques unités l'effectif du collège électoral sénatorial de chaque département, d'une élection régionale à l'autre ; qu'en outre, elles peuvent exercer un effet limité sur sa composition politique en raison principalement de la prime majoritaire instituée par l'article L. 338 ;
32. Considérant que, s'ils se produisent, ces effets ne porteront que sur une faible fraction des conseillers régionaux appartenant à chaque section départementale ; que, de plus, les conseillers régionaux constituent eux-mêmes une part réduite des collèges électoraux pour l'élection des sénateurs ; que, dès lors, il était loisible au législateur de substituer les règles critiquées aux dispositions antérieures sans méconnaître, s'agissant des élections sénatoriales, ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, ni le principe d'égalité devant le suffrage, ni le pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
33. Considérant que manque en fait le moyen tiré de la violation de l'article L.O. 274 du code électoral qui a pour seul objet de fixer le nombre des sénateurs élus dans les départements ;
34. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens dirigés contre l'article 10 doivent être écartés ;
- Sur les dispositions relatives à l'élection des membres du parlement européen :
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte à l'indivisibilité de la République et à l'unicité du peuple français :
35. Considérant que les sénateurs requérants critiquent la création, par les articles 14 et 15 de la loi déférée, de huit circonscriptions ; qu'ils font valoir que seul un ressort unique s'étendant à l'ensemble du territoire national respecterait le principe d'indivisibilité de la République et permettrait aux membres du Parlement européen élus en France de représenter le peuple français dans sa totalité ;
36. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences" ; qu'en vertu des dispositions de l'article 17-1 du traité instituant la Communauté européenne résultant du traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 et ratifié avec l'autorisation du peuple français : "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre." ; que ces dispositions ont été ainsi précisées par le traité signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam : "La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas" ; que, selon l'article 19-2 du traité instituant la Communauté européenne, "tout citoyen de l'Union résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État" ;
37. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les membres du Parlement européen élus en France le sont en tant que représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France ;
38. Considérant, par suite, que doivent être rejetés comme inopérants les moyens tirés de l'atteinte au principe d'indivisibilité de la République énoncé par l'article 1er de la Constitution, et de l'atteinte au principe de l'unicité du peuple français proclamé par le Préambule de la Constitution de 1958 ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe d'universalité du suffrage :
39. Considérant que, par son article 28, la loi déférée abroge l'article 23 de la loi susvisée du 7 juillet 1977, en vertu duquel les Français établis hors d'un État membre de l'Union européenne et inscrits sur les listes des centres de vote pour l'élection du Président de la République étaient admis à voter dans ces centres pour l'élection au Parlement européen ; que les députés requérants estiment que cette abrogation prive purement et simplement les intéressés de leur droit de vote à cette élection, en violation du principe d'universalité du suffrage ;
40. Considérant toutefois que l'article L. 12 du code électoral ouvre aux Français établis hors de France le droit d'être inscrits, à leur demande, sur la liste électorale de la commune de leur naissance, de leur dernier domicile, de leur dernière résidence ou de celle où est né, est inscrit ou a été inscrit un de leurs ascendants, ou encore sur la liste électorale où est inscrit un de leurs descendants au premier degré ; qu'en outre, l'article L. 14 du même code leur permet, le cas échéant, de demander à être inscrits sur la même liste électorale que leur conjoint ; que ces dispositions sont de nature à permettre aux Français établis hors de l'Union européenne de participer à l'élection au Parlement européen ; que le grief doit être dès lors écarté ;
. En ce qui concerne les griefs tirés d'atteintes à la liberté et au pluralisme :
41. Considérant que, selon les deux saisines, le remplacement d'un ressort national unique par huit circonscriptions réduirait les chances des candidats qui n'appartiennent pas aux grandes formations politiques, portant ainsi à la liberté des électeurs et au pluralisme des courants d'idées et d'opinions une atteinte qui ne serait justifiée par aucun motif d'intérêt général ;
42. Considérant que la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui revient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi ; qu'en l'espèce, le législateur a entendu concilier, d'une part, la recherche d'une plus grande proximité entre les électeurs et leurs élus et, d'autre part, la représentation des divers courants d'idées et d'opinions ; que la conciliation ainsi opérée n'est pas entachée d'erreur manifeste ; que le grief doit être par suite écarté ;
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte au principe d'égalité :
43. Considérant, d'une part, que, contrairement aux affirmations des sénateurs requérants, les critères sur lesquels repose la délimitation des circonscriptions établies par la loi déférée ne sont entachés d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
44. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article 4 de la loi du 7 juillet 1977 susvisée, dans la rédaction que leur donne l'article 15 de la loi déférée, que la répartition des sièges entre circonscriptions reposera sur des bases essentiellement démographiques, révisées après chaque recensement général de la population ; que les députés requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que l'égalité devant le suffrage serait rompue ;
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte au principe de parité :
45. Considérant que les députés requérants font valoir que la création de circonscriptions aura également pour effet de réduire le nombre de sièges obtenus par chaque liste en présence ; que nombreuses seront les listes qui n'obtiendront qu'un siège et qu'il en "résultera nécessairement... un déséquilibre important entre hommes et femmes en termes d'élus" ; que, de ce fait, l'écart actuellement constaté au profit des élus masculins pourrait s'en trouver accru ; que la loi méconnaîtrait, à cet égard, le cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution ;
46. Considérant que les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni, par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues en France au Parlement européen ; que le législateur a maintenu la règle de l'alternance entre candidats féminins et masculins sur les listes de candidats qui prévalait sous l'empire des dispositions précédentes ; que, par suite, le grief manque en fait ;
47. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution, au a) du 2° de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, les mots : « " 5 % du total des suffrages exprimés " et », « respectivement » et « " 10 % du nombre des électeurs inscrits" et ».
Article 2 :
Sous les réserves énoncées aux considérants 18 et 19, les autres dispositions de la même loi critiquées par l'une ou l'autre saisine ne sont pas déclarées contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2003, où siégeaient : MM. Yves GUÉNA, Président, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Pierre JOXE, Pierre MAZEAUD, Mmes Monique PELLETIER, Dominique SCHNAPPER et Simone VEIL
# SAISINES:
Réplique par plus de 60 sénateurs aux observations du gouvernement
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
2 rue de Montpensier,
75001 Paris.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers, les observations en réponse formulées par le gouvernement sur notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, appellent la brève réplique suivante.
I. Sur la violation de l'article 39 de la Constitution
Il sera seulement fait observer que la modification introduite dans le projet de loi entre la version soumise à l'avis du Conseil d'Etat et celle adoptée par le Conseil des Ministres n'est pas mineure comme le prétend le gouvernement. Bien au contraire.
Le changement de seuil en cause n'est pas une modification de "degré" mais bien "de nature" de la disposition concernée. Ainsi que cela a été amplement démontré, le passage d'un seuil de 10 % des suffrages exprimés à un seuil de 10 % des électeurs inscrits, tout en maintenant un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour les fusions de listes, bouleverse l'économie du texte dont s'agit. Cette question posant des difficultés constitutionnelles fondamentales, il était pour le moins indispensable que le Conseil d'Etat puisse en connaître à ce stade de la procédure.
C'est pourquoi, et quoi qu'il en soit de la comparaison avec le rôle du Conseil d'Etat en matière de textes réglementaires, il est acquis que c'est bien une modification substantielle du projet de loi qui a été opérée.
L'invalidation intervenant sur ce terrain n'aurait pas pour effet d'ériger le Conseil d'Etat en co-auteur du projet de loi, le gouvernement demeurant maître de la suite à donner à son avis, mais, plus simplement, de ne pas laisser l'article 39 C dépourvu de sanction. L'importance de cette consultation, ainsi que l'atteste votre jurisprudence relative à la lettre rectificative, serait alors garantie conformément à la lettre et à l'esprit de la Constitution.
II. Sur l'article 4 de la loi
II.1. Sur l'intelligibilité et la clarté de la loi
Le gouvernement confirme le peu de clarté et d'intelligibilité de la loi quand il indique, en substance, que ce mécanisme est aisément compréhensible dans la mesure où le nombre de conseillers régionaux élus par département n'est pas fixé a priori, ce qui garantira une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires (cf. observations en réponse, page 4,
2 et 3).
Cette conception du conseiller régional "aléatoire" ne manque pas de sel et, sauf à réduire l'élection des conseils régionaux à une loterie, ne peut qu'éloigner encore un peu plus les citoyens de certaines institutions dont le mode de désignation emprunte des voies particulièrement complexes.
Encore une fois, s'agissant de l'organisation d'élections politiques, la transparence, prise au sens de clarté, du mécanisme déterminé doit être la plus grande possible. Surtout, si elle doit aboutir à revivifier la participation des citoyens à la vie démocratique.
II.2. Sur le principe de pluralisme et sur l'article 4 de la Constitution
Il est flagrant que le gouvernement ne répond pas aux critiques de fond articulées par la saisine.
En premier lieu, contrairement à ce que prétend le gouvernement dans ses observations (p. 11,
2), le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, fondement même de la démocratie, a une portée tout aussi essentielle lorsqu'il s'agit de la détermination des modes de scrutin. En effet, l'organisation des élections politiques doit être conçue de telle sorte que leur déroulement garantisse une société pleinement libre et démocratique, et nul n'ignore que les modes de scrutins ont une importance première en la matière.
Votre jurisprudence trouve donc pleinement à s'appliquer en l'espèce.
Car, en deuxième lieu, on relèvera que le gouvernement ne peut pas convaincre lorsqu'il cite pour vertus de son texte, la nécessaire constitution de majorités stables dans les conseils régionaux, et le fait d'avoir veillé à ce que deux listes soient présentes au second tour.
D'abord, et ainsi que cela a déjà été montré, le mécanisme institué par la loi de 1999 a précisément prévu un mécanisme stabilisateur, ce à quoi le texte présent n'apporte rien. En revanche, il retranche des possibilités d'élection pour des formations politiques librement constituées et ayant obtenues un nombre important de suffrages exprimés.
Ensuite, il est patent, en effet, que le mécanisme critiqué est de nature à affaiblir la représentation de listes représentant des courants d'opinions peut-être minoritaires mais réels et dotés d'une audience certaine, et dont l'expression politique sera affectée par l'élévation manifestement disproportionnée du seuil à atteindre pour être présent au second tour.
La question posée est donc moins celle de l'existence en soi de seuils, mécanisme connu, que de la coexistence pour une même élection, et dans une même circonscription, de deux seuils dont chacun repose sur des bases différentes, et dont le résultat inévitables sera d'écarter de la représentation politique des listes ayant recueillies un nombre important de suffrages exprimés, voire ayant obtenues plus de voix que d'autres qui, elles, auront des élus grâce au second seuil.
On relèvera que le gouvernement se garde bien de justifier l'existence de ces deux seuils reposant sur des mécanismes différents ; celui pertinent pour le maintien au second tour étant plus restrictif que celui utile pour la fusion de listes. Logique paradoxale et inédite. Ainsi, à titre d'exemple, le mécanisme applicable aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3500 habitants, prévoit certes des seuils différents pour, d'une part, pouvoir se maintenir au second tour, et d'autre part, pour pouvoir fusionner. Mais, aux termes de l'article L. 264 du code électoral, ces seuils sont fondés sur une même base : le nombre de suffrages exprimés.
Enfin, l'exemple tiré des seuils applicables aux élections cantonales et législatives n'est pas pertinent dès lors que dans ces deux cas, il s'agit de scrutins uninominaux et qu'il n'existe qu'un seul et même seuil applicable à tous les candidats.
En réalité, cette disposition, sans le dire, a pour effet de contraindre les partis politiques à fusionner ou à n'avoir pas d'élus. Elles les place face à un choix qui limite plus qu'abusivement leur liberté, et sans aucune justification tirée d'un quelconque principe de même valeur.
A cette restriction du pluralisme, le citoyen ne gagne rien, sinon un peu plus de complexité dans la vie publique.
III. Sur l'article 9 de la loi
Le gouvernement feint de ne pas mesurer la portée du grief ainsi articulé contre l'article 9 de la loi. Or, en refusant d'étendre à la Corse une disposition prévue pour les autres régions françaises en application des articles 3 et 4 de la Constitution, et ce sans justification objective, le législateur s'est abstenu d'épuiser sa compétence, et par voie de conséquence, a violé le principe d'égalité.
A cet égard, les tentatives d'explication du gouvernement, ne peuvent convaincre.
Encore une fois, ce qui est en cause tient à un principe fondamental de la représentation politique ayant fait l'objet d'une consécration dans le texte même de la loi fondamentale. Or, rien dans le statut de la Corse ni dans les règles d'élections à l'assemblée territoriale, l'absence de sectionnement étant indifférente à la mise en oeuvre de l'alternance déterminée par l'article 4 de la loi querellée, ne saurait justifier que l'on applique différemment le principe d'égalité dont il s'agit.
S'agissant d'un droit fondamental, il est tout simplement impossible d'envisager que les femmes soient moins bien traitées en Corse que dans les autres régions françaises. C'est ici une disposition liée aux élections politiques. Mais, en outre, il est important que nulle expérimentation législative ne soit admise à cet égard, au risque, sinon, d'autoriser d'autres dérogations dans des domaines où les droits et libertés du citoyen peuvent être concernées.
IV. Sur les articles 14 et 15 de la loi
Les saisissant n'entendent revenir que brièvement sur les articles en cause.
S'agissant du principe de pluralisme et de l'erreur manifeste d'appréciation qui résulte du découpage artificiel porté par la présente loi, il est patent de constater que le gouvernement ne répond pas au fait que le mécanisme choisi empêchera plusieurs courants d'opinion d'obtenir des élus alors même qu'ils répondent, au plan national, à une demande et une expression fortes de la part des citoyens.
Un récent rapport d'information de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne examinant l'hypothèse d'un tel découpage du territoire national en huit circonscriptions, concluait par la négative en ces termes :
"En fait, le principal défaut de ce système est de n'avoir aucun avantage par rapport au mode de scrutin actuel, tout au moins au regard des objectifs évoqués par votre rapporteur : servir les intérêts de la France au Parlement européen, donner davantage de légitimité à la construction européenne.
Le rapprochement entre l'élu et l'électeur ne serait aucunement assuré, les listes continueraient d'être constituées selon les mêmes principes qu'actuellement. Si, par exemple, le territoire métropolitain était divisé en huit circonscriptions, chacune d'entre elles comprendrait environ sept millions d'habitants, chargés d'élire une dizaine de députés européens. L'intérêt d'une telle évolution en termes de responsabilisation des élus paraît donc limité. En revanche, le débat national sur l'Europe que permet le mode de scrutin actuel pourrait être altéré par ce découpage du territoire." (Faut-il modifier le mode de scrutin pour les élections européennes ?, Christian de la Malène, Délégation du Sénat pour l'Union européenne, Rapport n° 123, 1996-1997, page 27 et 28).
On ne saurait mieux dire.
Alors que les pouvoirs du Parlement européen vont s'accroissant, c'est donc au prix d'une atteinte grave au pluralisme des courants d'idées et d'opinion et d'un découpage territorial sans rationalité ni objectivité, que l'on va atteindre un résultat ne présentant d'avantages ni pour les citoyens, ni pour la France, ni pour la construction européenne.
Sans même revenir sur la question de l'indivisibilité de la République, les articles critiqués ne servent aucun principe ni aucun objectif qui puissent justifier que le pluralisme des courants d'idées et d'opinions soit aussi gravement méconnu.
Les auteurs de la saisine persistent donc de plus fort dans les conclusions de leur saisine.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre haute considération.Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les membres
du CONSEIL CONSTITUTIONNEL
2, rue Montpensier 75001 PARIS
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Le Gouvernement vous a adressé ses observations en réponse à notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Ces observations appellent de notre part la réplique suivante, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi concise que possible.
I - A propos de l'article 4 de la loi déférée
a) Sur le grief tiré de la violation de l'article 39
Premièrement, s'il est vrai que le Conseil des ministres peut adopter des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis au Conseil d'Etat c'est, comme le Gouvernement l'indique lui-même, dans la limite des « questions posées ». L'on ne peut sérieusement soutenir que la présence d'un seuil dans l'avant-projet soumis à la Haute Assemblée suffit à ce qu'ait été posée la question de son niveau, puis à rendre possible la fixation, a posteriori, dudit seuil à n'importe quel niveau. Ce n'est pas d'une différence de niveau qu'il s'agit, comme le soutient le Gouvernement, mais bien d'une différence de nature, comme en témoigne la réaction de l'ensemble des formations signataires de la saisine.
Quant à l'affirmation, deuxièmement, selon laquelle une lecture stricte de l'article 39 - celle que commandent ses termes mêmes - porterait atteinte aux pouvoirs du collège gouvernemental, elle est inexacte : la procédure de la lettre rectificative est justement là pour permettre au Conseil des ministres d'exercer librement ses compétences sans porter atteinte à celles que la Constitution confie expressément au Conseil d'Etat. La « marge de liberté » qu'invoque le Gouvernement est définie par l'article 39 lui-même : elle ne saurait l'autoriser à introduire un élément substantiel qui n'a pas été soumis au Conseil d'Etat, alors surtout, d'une part, que le débat parlementaire a prouvé qu'il s'agissait de la mesure la plus controversée du texte et que, d'autre part, notre saisine a démontré qu'il soulevait des questions constitutionnelles majeures, ce qui n'était nullement le cas, sur ce point, du seuil dont le Conseil d'Etat avait eu connaissance.
Troisièmement, la comparaison faite avec d'autres consultations obligatoires est distrayante. C'est son seul mérite. Qu'il s'agisse du Conseil supérieur de la fonction publique, ou encore du Conseil économique et social ou des assemblées d'outre-mer, il n'est jamais attendu des instances éminentes de ce type qu'elles veillent à la qualité juridique des textes qui leur sont soumis, laquelle, au contraire, est dans la vocation même du Conseil d'Etat. De celles-là, on attend des prises de position d'ensemble, qui peuvent éventuellement s'accommoder de certaines lacunes. De celui-ci, on attend un examen détaillé, disposition par disposition, qui perd son sens si lui est soustrait un élément essentiel surtout si, de surcroît, il est hautement problématique.
Quatrièmement, enfin, la référence à l'article 44, sous la plume du Gouvernement lui-même, achève de démontrer son erreur. L'article 39 et l'article 44, ainsi que vous l'avez souligné et que nous l'avons rappelé, instituent des procédures différentes, et l'on ne saurait en aucun cas s'affranchir des exigences du premier prétexte pris de l'existence du second.
En définitive, la question n'est pas de savoir si l'article 39 est trop rigoureux - il ne l'est d'ailleurs nullement. Elle est seulement de savoir s'il peut être méconnu impunément. La réponse va d'elle-même.
b) Sur les griefs tirés de l'atteinte à la liberté et au pluralisme
Le Gouvernement, en premier lieu, ne répond pas à la démonstration selon laquelle, compte tenu du droit en vigueur, l'objectif prétendument poursuivi est intrinsèquement inconstitutionnel en ce qu'il ne vise nullement à faire émerger une majorité, puisque c'est déjà acquis, mais seulement à procéder à des éliminations abusives, non seulement attentatoires au pluralisme, mais encore inutilement attentatoires à celui-ci.
Le Gouvernement, en second lieu, invoque comme un mérite particulier le fait d'avoir prévu la présence minimale de deux listes au second tour. C'était la moindre des choses et il n'y a pas lieu à s'en auto-satisfaire. En revanche, il est muet sur le fait que, précisément lorsque ce résultat serait atteint - seulement deux listes en présence - la prime de 25 % des sièges perdrait toute utilité et, du même coup, toute légitimité, cessant d'être une nécessité pour former une majorité et devenant un privilège indu au profit des vainqueurs.
Dès lors, les soussignés maintiennent l'ensemble de leur argumentation, à laquelle il n'a été opposé aucune objection réelle. Pour faire bonne mesure, ils se permettent d'ajouter deux remarques.
Premièrement, les résultats électoraux constatés, tant dans les scrutins régionaux anciens que dans les autres scrutins plus récents, donnent à penser que, loin de combattre les extrêmes (cf. annexe), le seuil retenu pourrait souvent aboutir à exclure du second tour l'une des listes représentatives des grands partis nationaux, pour ne laisser de place qu'à un face-à-face incertain entre l'autre liste des formations parlementaires et une liste extrémiste, comme c'eût été le cas en Alsace en 1998 mais aussi, en 1992, en Alsace, en Ile-de-France, en Lorraine et en Rhône-Alpes ! L'on n'ose croire que cela fasse partie des effets sournoisement recherchés.
Deuxièmement, le mécanisme envisagé aurait pour effet d'exclure des listes dont ni la présence, ni l'autonomie éventuelle ne soulève la moindre difficulté. A titre d'exemples, l'on rappellera que celle qui, en 1992, a conquis la présidence de la région Corse, eût été éliminée, cependant que celui qui, après ces mêmes élections, fut élu président de la région Alsace dirigeait une liste indépendante qui elle aussi avait dépassé 10 % des suffrages exprimés mais n'avait pas non plus recueilli 10 % du nombre des électeurs inscrits, ce qui, avec le dispositif envisagé, l'eût empêché de figurer au second tour, a fortiori d'être porté à la présidence (à laquelle les électeurs le confirmèrent pourtant, en 1998).
c) Sur les griefs tirés de l'atteinte à l'égalité
Le Gouvernement, à nouveau, s'abstient de répondre à l'argumentation précise et circonstanciée des saisissants qui, partant, la maintiennent.
Tout au plus invoque-t-il derechef la comparaison avec les seuils calculés par rapport au nombre des électeurs inscrits qui existent déjà dans le droit positif. L'on sait que ce précédent est sans pertinence puisque, quel que soit le nombre des candidats au second tour d'un scrutin uninominal, un seul est élu, tandis que dans un scrutin confrontant des listes, toutes peuvent, dans des proportions variées, prétendre obtenir les sièges que les électeurs conservent le droit de leur attribuer.
Au-delà, et d'une manière générale, l'insistance avec laquelle le Gouvernement rappelle le pouvoir général d'appréciation du législateur lui tient lieu, en réalité, d'unique argument.
Mais nous avons déjà démontré dans notre saisine, d'une part, que nous n'ignorons rien de ce principe, qui au contraire nous est cher en toutes circonstances, d'autre part, qu'il connaît cependant des limites qui, toutes, ont été franchies au cas présent, comme vous ne manquerez pas de le constater et de le sanctionner.
II - A propos de l'article 9 de la loi déférée
Il convient, en premier lieu, d'éclairer la vision du Gouvernement qui « voit mal » quelle disposition « pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité ».
Premièrement, l'inconstitutionnalité peut résulter d'une commission mais également d'une omission (il suffit de songer, par exemple, à une nationalisation sans indemnisation juste et préalable). Dans ce second cas, l'absence d'un élément indispensable entache la constitutionnalité de tous ceux qui sont présents. Il en va d'autant plus ainsi, en l'occurrence, que l'article 9 est effectivement indispensable à la tenue des élections en Corse, de sorte que sa censure obligera le législateur à intervenir et, à cette occasion, à combler la lacune, contraire à la Constitution, qu'il a laissé s'établir.
Que, deuxièmement, cette lacune existe et soit contraire à la Constitution ne faisait guère de doute avant les observations du Gouvernement et en fait moins encore après. Celui-ci, en effet, souligne à l'envi tout ce qui distingue l'assemblée de Corse, et le statut de l'île, de leurs équivalents continentaux, mais il se trouve qu'aucune de ces différences, réelles, n'a le moindre rapport avec l'objet ou la finalité de la disposition dont l'absence est dénoncée. D'une part, l'article 3 de la Constitution pose aujourd'hui, dans son dernier alinéa, un principe clair et contraignant, d'autre part, la loi déférée met ce principe en oeuvre pour toutes les régions de France. Or, au regard de ces deux éléments, aucune des singularités corses n'est concernée. La rupture d'égalité résultant, au détriment des femmes corses, du dispositif adopté par le Parlement ne peut donc se réclamer d'aucune justification, d'aucune sorte, et sera censurée en conséquence.
III - A propos des articles 14 et 15 de la loi déférée
Exactement comme pour les élections régionales, le Gouvernement se borne ici, pour l'essentiel, à invoquer le pouvoir général d'appréciation et de décision du Parlement. Ici comme là, c'est un peu court.
Le Gouvernement, en premier lieu, demeure muet sur l'essentiel de l'argumentation et, notamment, sur les termes étranges de ce marché de dupe dans lequel on contraindrait les électeurs à sacrifier une proximité politique réelle au profit d'un rapprochement géographique illusoire, pour le plus grand dommage du principe de pluralisme.
On ne peut qu'être surpris, en deuxième lieu, de voir mettre en doute l'opposabilité du principe selon lequel les découpages doivent s'opérer sur des bases essentiellement démographiques. Le fait que le Parlement européen relève effectivement d'un ordre juridique distinct de l'ordre national n'autorise pas ce dernier, pour ce qui le concerne, à s'affranchir des exigences les plus élémentaires de la démocratie, dont vous avez justement rappelé la prégnance.
Les soussignés, au-delà, n'entendent pas abuser de votre temps en répétant ce qu'ils ont déjà exposé, à quoi il n'a pas été réellement répondu, et qu'ils maintiennent d'autant plus.
IV - A propos de l'article 28 de la loi déférée
Sur cette disposition, dont la censure entraînera inévitablement celle des articles 14 et 15, inséparables, nous nous bornerons également à quelques brèves remarques.
Toute la défense du Gouvernement le conduit, comme on pouvait s'y attendre, à tenter de se réfugier derrière l'article L. 12 du code électoral. Nul ne saurait s'en satisfaire.
Premièrement, il est des Français qui ne présentent aucune des conditions, même libérales, permettant de s'inscrire sur une liste en France ou dans un Etat de l'Union. Peu importe leur nombre, seul importe le principe. Celui ici en cause n'est pas le principe d'égalité, qui peut connaître toutes sortes de nuances, mais, de manière très choquante, le principe d'universalité qui, lui, est un absolu, dont on ne peut exclure que ceux qui ne sont pas en mesure de voter, soit parce qu'ils n'en ont pas encore l'âge, soit parce qu'ils ont commis des faits qui ont amené à les juger indignes d'exercer leurs droits civiques. Hors ces deux cas, de surcroît passagers l'un et l'autre, nul ne peut être retranché de l'universalité des citoyens et la loi qui l'oublie est tout simplement aberrante.
Ce n'est donc que tout à fait subsidiairement que nous ajouterons que si, deuxièmement, nos concitoyens établis hors de France sont autorisés à voter néanmoins en se faisant inscrire sur le territoire national, pour ceux du moins qui entrent dans l'une des catégories limitativement prévues, c'est une faculté bienvenue, non une nécessité (rappelons qu'ils bénéficient d'une représentation parlementaire spécifique au Sénat, qui fait que leur participation aux élections législatives n'est nullement nécessaire, tandis que leur vote aux élections locales ne correspond à aucun impératif de droit ou de fait). En conséquence, l'on ne saurait se prévaloir de ce que certains disposent de facultés que la Constitution n'impose pas pour s'autoriser à les priver tous de droits que la Constitution consacre à leur profit.
Troisièmement, même pour ceux des intéressés qui ont la faculté de figurer sur une liste en France, ils perdent, en le faisant, la possibilité de demeurer inscrits dans un consulat, de sorte que, afin de pouvoir voter, par procuration, aux élections européennes, ils devraient s'obliger à voter également par procuration aux élections présidentielles et aux référendums, ne pouvant plus alors s'exprimer personnellement dans aucun de ces trois types de scrutins majeurs.
Quant à l'argument ultime selon lequel, pour éviter cela, il eût fallu « rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions », il prête quelque peu à sourire, compte tenu de la dose d'arbitraire que l'on tente d'introduire par ailleurs en donnant Lille comme capitale européenne aux électeurs de Cherbourg, ou en faisant voter dans la même circonscription ceux de Nouméa et de Saint-Pierre-et-Miquelon !
A tous ces titres, les soussignés persistent dans leur argumentation et ne doutent pas qu'elle conduira à la censure des dispositions contestées. Quoi que son origine soit controversée, puisque certains dictionnaires la font provenir de la pétanque, d'autres de la pêche, d'autres encore du jeu de bouchon lui-même (Robert, Dictionnaire historique, Dictionnaire des expressions, L'argot français et ses origines), l'expression « pousser le bouchon trop loin » correspond parfaitement, et sur tous les poins contestés, à l'attitude adoptée par les auteurs de la loi déférée, ce qui, en termes juridiques, se traduit par autant d'atteintes inacceptables à la Constitution.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
sur le recours dirigé contre la loi relative à l'election des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l' élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, en particulier ses articles 3, 4, 9, 10, 14, 15, 17 et 28.
Ces saisines appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I/ Sur la procédure législative
A/ Les sénateurs requérants, après avoir relevé que le Gouvernement avait engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale conformément à la procédure prévue à l'article 49, 3ème alinéa, de la Constitution, soutiennent que l'organisation et la conduite des débats devant le Sénat n'aurait pas respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, ce qui aurait altéré la sincérité du débat démocratique au Sénat et vicié la procédure d'adoption de l'ensemble de la loi
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
La loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques a été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative.
Le projet de loi, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, a été considéré comme adopté en première lecture par cette Assemblée le 15 février 2003, par application des dispositions de l'article 49, 3ème alinéa, de la Constitution. Après que le conseil des ministres en eut délibéré en sa séance du mercredi 12 février 2003, le Premier ministre avait, en effet, engagé la responsabilité du Gouvernement sur le vote de ce texte - y intégrant 38 amendements présentés devant l'Assemblée -, et l'Assemblée nationale n'a pas adopté de motion de censure dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 49.
Le Sénat a ensuite adopté le texte issu de l'Assemblée nationale, sans y apporter de modifications mais après avoir délibéré conformément aux règles constitutionnelles relatives à la procédure législative. Au cours des débats qui ont eu lieu les 4, 5, 6, 7, 11 et 12 mars 2003, le Sénat a examiné 347 amendements portant sur les différents aspects du texte. Ces amendements ont été défendus par leurs auteurs conformément à la procédure législative. Le Sénat s'est prononcé sur chacun d'entre eux. La circonstance qu'aucun amendement n'ait finalement été adopté par le Sénat n'est constitutive d'aucune irrégularité, dès lors que l'exercice du droit d'amendement prévu à l'article 44 de la Constitution - s'il garantit que les amendements recevables et régulièrement déposés soient examinés conformément aux règles de la procédure législative - ne saurait évidemment garantir leur adoption par l'assemblée devant laquelle ils ont été déposés.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la procédure législative a été menée dans le respect des règles constitutionnelles applicables et que le grief articulé à cet égard par la seconde saisine ne peut qu'être écarté.
II/ Sur les articles 3 et 4
A/ L'article 3 de la loi déférée, ajoutant un article L 338-1 au code électoral, détermine les modalités de répartition des sièges de conseillers régionaux entre les sections départementales qui composent chaque liste.
L'article 4, pour sa part, modifie l'article L 346 du code électoral, relatif aux déclarations de candidature pour l'élection des conseillers régionaux. Son paragraphe 1° prévoit notamment que les listes de candidats doivent être composées, au sein de chaque section départementale, alternativement d'un candidat de chaque sexe. Son paragraphe 2° élève le seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour de scrutin, en substituant à la disposition exigeant l'obtention de 5% du total des suffrages exprimés une disposition nouvelle exigeant d'avoir obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 10% des électeurs inscrits. Il est expressément précisé, dans le cas où une seule liste aurait atteint ce dernier seuil au premier tour, comme dans le cas où aucune liste ne l'aurait atteint, que les deux listes ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages peuvent se maintenir au second tour. Le paragraphe 2° de l'article 4 élève, en outre, le seuil permettant à une liste, en vue du second tour, de fusionner avec une autre liste. La loi déférée porte ce seuil de 3% à 5% des suffrages exprimés.
Selon les députés, auteurs du premier recours, les dispositions relatives au relèvement du seuil de participation au second tour auraient été adoptées au terme d'une procédure contraire à l'article 39 de la Constitution. Ces mêmes dispositions méconnaîtraient, au surplus, les termes de l'article 4 de la Constitution et de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que le principe d'égalité garanti par l'article 3 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les députés saisissants articulent les mêmes griefs à l'encontre des dispositions relatives au relèvement du seuil exigé pour permettre la fusion de listes.
Selon les sénateurs, auteurs du second recours, les dispositions des articles 3 et 4 méconnaîtraient l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ils soutiennent, en outre, que l'article 4 aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article 39 de la Constitution, que cet article porterait atteinte au principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion, serait contraire à l'article 4 de la Constitution et au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution et par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
B/ Le Gouvernement estime que ces griefs ne sont pas fondés.
1) La critique formulée par les sénateurs requérants au titre de la clarté et de l'intelligibilité de la règle de droit ne peut être suivie. Le mécanisme d'attribution et de répartition des sièges organisé par les articles L 338 et L 338-1 du code électoral, tels qu'ils résultent des articles 2 et 3 de la loi déférée, a été clairement et précisément déterminé par le législateur, qui a prévenu tout risque d'ambiguïté ou difficulté d'interprétation (V. en ce sens la décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999).
En vertu de l'article L 338, les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours. Les candidats se répartissent sur chaque liste en sections départementales. Dans un premier temps, les sièges sont attribués aux différentes listes en fonction du nombre de suffrages obtenus dans la région par chaque liste. Cette attribution est faite au premier tour de scrutin si une liste a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et au second tour de scrutin, dans les autres cas. La liste arrivée en tête obtient le quart du nombre des sièges à pourvoir, les autres sièges étant répartis entre les listes qui ont obtenu au moins 5% des suffrages exprimés, suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
Dans un deuxième temps, en vertu du nouvel article L 338-1, les sièges attribués à chaque liste sont répartis, à l'intérieur de la liste, entre les sections départementales proportionnellement aux voix obtenues par la liste dans chaque département, selon la règle de la proportionnelle à la plus forte moyenne. Le nombre de conseillers généraux par département n'est pas fixé a priori. Cette répartition des sièges entre sections départementales est faite en proportion du nombre de suffrages obtenus dans chaque département. A titre d'exemple, une liste ayant obtenu 10 sièges au conseil régional en vertu de l'article L 338 et dont les suffrages se répartissent entre départements à raison de 50% du total dans un premier département, de 30% dans un deuxième et de 20% dans un troisième département, verra ses sièges répartis, en vertu de l'article L 338-1, de la manière suivante : 5 sièges dans le premier département, 3 dans le deuxième et 2 dans le troisième.
Un tel mécanisme est aisément compréhensible. Il est dépourvu d'ambiguïté et a été clairement et précisément déterminé par le législateur. Il permet de concilier deux exigences essentielles : voter dans le cadre de la région pour permettre l'émergence de majorités responsables dans les conseils régionaux, tout en garantissant une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires. On peut relever que le système retenu présente en outre deux avantages : d'une part, celui de prendre automatiquement en compte les évolutions démographiques à l'intérieur d'une région, en ce que les variations de la population - et donc du nombre d'électeurs - se traduiront directement sur le nombre d'élus de chaque section départementale ; d'autre part, celui d'ajuster précisément la représentation départementale de chaque liste en fonction du nombre de voix obtenues dans chaque département. Ces deux objectifs peuvent être atteints parce que le nombre de conseillers régionaux par département n'est pas limité a priori : si toutes les listes obtiennent leur plus grand nombre de suffrages dans un département en raison de son poids démographique ou d'une plus forte participation, le nombre des conseillers régionaux figurant sur les listes au titre de la section de ce département sera plus élevé, sans pour autant aboutir à priver aucun département d'une représentation.
On peut aussi observer que la détermination de seuils de fusion de listes ou de participation au second tour en fonction de suffrages exprimés ou d'électeurs inscrits ne peut susciter de critiques en termes d'intelligibilité de la règle de droit : les règles sont clairement énoncées par le législateur et ne suscitent aucune difficulté de compréhension ou d'application.
Enfin, il faut relever que ne saurait emporter la conviction sur un plan constitutionnel le reproche selon lequel aucune disposition n'imposerait au candidat tête de liste au plan régional d'être inscrit en tête au titre d'une section départementale. En s'abstenant de prévoir des dispositions à ce titre, le législateur n'a méconnu aucune exigence constitutionnelle : la composition des listes relève de la responsabilité des candidats aux élections et des partis politiques ; l'élection du président du conseil régional appartient au conseil régional ; la question de la place des candidats sur une liste et du choix de la personnalité appelée à en prendre la tête relève du débat politique et non du contrôle de constitutionnalité des lois.
Pour ces raisons, le Gouvernement considère que le grief tiré du défaut de clarté ou d'intelligibilité de la loi manque en fait.
2) En ce qui concerne l'article 4 de la loi déférée, les auteurs des recours critiquent d'abord la procédure ayant conduit à l'adoption de certaines des dispositions de cet article, en se prévalant des termes de l'article 39 de la Constitution.
Aux termes du second alinéa de cet article, « les projets de lois sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». Le Conseil constitutionnel a déjà été conduit à vérifier, par application de ces dispositions, que des projets de loi présentés par le Premier ministre avaient été délibérés par le Conseil des ministres et avaient fait l'objet d'une consultation du Conseil d'Etat (décision n°90-285 DC du 28 décembre 1990 ; décision n°94-357 DC du 25 janvier 1995 ; décision n°2000-433 DC du 27 juillet 2000).
En l'espèce, le Conseil d'Etat a bien été saisi d'un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, des conseillers régionaux, des représentants au Parlement européen et à l'aide publique aux partis politiques, sur lequel il a émis un avis au cours de sa séance du 27 janvier 2003. Les saisissants font toutefois valoir que cette consultation n'a pas été régulière, au motif que le projet de loi déposé au Parlement, après sa délibération lors du Conseil des ministres du 29 janvier 2003, comporte, à son article 4, les mots « du nombre des électeurs inscrits », mots qui ne figuraient ni dans le texte soumis au Conseil d'Etat, ni dans l'avis rendu par ce dernier.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, le Gouvernement estime que cette seule circonstance ne constitue pas une violation de l'article 39 de la Constitution affectant la constitutionnalité de la loi votée par le Parlement.
Il convient de rappeler à cet égard l'objet de la consultation du Conseil d'Etat sur les projets de loi, telle qu'elle est prescrite par l'article 39 de la Constitution.
Ainsi que le reconnaissent d'ailleurs les auteurs du premier recours, la portée juridique de cette consultation doit être clairement distinguée de celle à laquelle il est procédé sur des textes à caractère réglementaire, lorsque ces textes doivent revêtir la forme d'un décret pris « en Conseil d'Etat ». Dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat doit être regardé comme le véritable « co-auteur » des dispositions réglementaires. Le Gouvernement, après la consultation du Conseil d'Etat, ne peut que choisir entre son projet initial et celui adopté par le Conseil. Il ne saurait recourir à une rédaction tierce sans que le texte ainsi amendé soit entaché d'incompétence (CE Sect. 1er juin 1962, Union générale des syndicats de mandataires des halles centrales et autres, Rec. p.362 ; CE 26 avril 1974, Villate, Rec. p.253 ; CE 9 février 1994, Préfet de Seine et Marne, Rec. p.60 ; CE 4 avril 1997, Marchal, Rec. p.131). Mais cette solution ne s'explique que par le fait que le Gouvernement, lorsqu'il agit par la voie de décrets en Conseil d'Etat, exerce une compétence conjointement avec le Conseil d'Etat (V. les motifs de CE Ass 9 juin 1978, Société civile immobilière du 61-67 boulevard Arago, Rec. p.237).
C'est d'ailleurs en raison de la force juridique particulière de l'avis ainsi rendu que le Conseil constitutionnel a considéré que le renvoi à un décret en Conseil d'Etat pouvait constituer une garantie essentielle et relever, à ce titre, de la compétence du législateur (décision n°73-76 L du 20 février 1973).
L'intervention du Conseil d'Etat dans la procédure d'élaboration des projets de loi, même si elle a été consacrée pour la première fois par la Constitution du 4 octobre 1958, n'a pas une telle portée. Le pouvoir constituant n'a pas entendu faire du Conseil d'Etat le « co-auteur » des projets de loi. Il a voulu garantir, dans un souci de qualité du travail d'élaboration de la loi, que la délibération, de nature politique, du Conseil des ministres, serait éclairée par l'expertise du Conseil d'Etat. Destiné au Gouvernement, et à lui seul, l'avis du Conseil d'Etat, qui est en principe secret, a pour objet de lui permettre d'arrêter en Conseil des ministres le texte définitif des projets dont il entend saisir le Parlement.
En résumé, l'article 39 de la Constitution pose une obligation de consultation, tout en préservant entièrement la compétence du Conseil des ministres pour arrêter le projet de loi. Il en résulte, assurément, que le Conseil d'Etat doit avoir été saisi de l'économie du projet de loi envisagé. Si le Conseil constitutionnel estimait que la formalité prévue par l'article 39 est plus exigeante, ce ne pourrait être qu'en considérant que cet article implique que le Conseil d'Etat ait été mis à même de se prononcer sur l'ensemble des questions posées par le projet. Cela interdirait au Gouvernement de retenir des dispositions étrangères au champ de la saisine du Conseil d'Etat. Mais, en tout état de cause, l'article 39 ne saurait faire obstacle à ce que soient adoptées, en Conseil des ministres, et au vu de l'avis du Conseil d'Etat sur les questions posées, des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis à ce dernier.
Telle est aussi la pratique constante suivie sous l'empire de la Constitution de la Vème République, ainsi qu'en témoigne la rédaction de la circulaire du Premier ministre en date du 30 janvier 1997 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en oeuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre (point 3.7. - JO du 1er février 1997).
Telle est aussi la position adoptée par le Conseil d'Etat pour les consultations qui précèdent l'adoption d'actes réglementaires, réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat.
Au cas présent, le Gouvernement entend souligner que le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble des questions soulevées par le projet de loi délibéré au cours de la séance du Conseil des ministres du 29 janvier 2003. Le Conseil d'Etat a notamment été saisi de la question posée par la modification introduite au deuxième alinéa de l'article L 346 du code électoral, qui était celle du seuil nécessaire pour qu'une liste de candidats aux élections régionales puisse se maintenir au second tour de scrutin. Le projet soumis au Conseil d'Etat soulevait cette question, puisqu'il envisageait un relèvement de ce seuil, passant de 5 à 10% des suffrages exprimés. Le Conseil d'Etat a été ainsi mis à même d'exprimer son avis sur cette question du seuil au second tour. La circonstance que le Gouvernement ait finalement décidé d'introduire dans le projet qu'il entendait soumettre au Parlement, seul investi du pouvoir de décision, des dispositions relevant de manière plus significative ce seuil de maintien au second tour ne constitue pas une question nouvelle par rapport à celles qui avaient été soumises au Conseil d'Etat, dès lors que ces dispositions ne présentent pas de différence de nature, mais simplement de degré, avec celles dont le Conseil d'Etat avait été saisi.
Les saisissants souhaiteraient aller au-delà et faire consacrer une conception particulièrement restrictive de la liberté dont dispose le Gouvernement lorsqu'il arrête les projets de loi. Mais cette conception ne paraît pas admissible, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, elle reviendrait nécessairement à faire une nouvelle lecture de l'article 39 de la Constitution, qui prévoit que « les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres », en réduisant, en pratique, cette délibération à une simple alternative d'acceptation ou de rejet du texte qui, en pareil cas, devrait à nouveau être soumis à la consultation du Conseil d'Etat. Une telle lecture porterait atteinte aux pouvoirs du Conseil des ministres et à la marge d'appréciation des autorités politiques qui serait très strictement limitée par l'avis rendu. Elle aurait ainsi une incidence non négligeable sur le fonctionnement des institutions. L'article 39 ne peut être interprété que d'une manière telle qu'il concilie le rôle et les attributions respectifs du Conseil des ministres et du Conseil d'Etat, sans que cette interprétation ne déséquilibre leurs rapports mutuels.
En deuxième lieu, privant le Gouvernement de la marge de liberté dont il estimait jusqu'ici disposer, une telle interprétation l'empêcherait de procéder à des ajustements souvent nécessaires pour concilier les améliorations apportées au texte par le Conseil d'Etat avec des préoccupations d'ordre politique et le contraindrait, sauf à recommencer la consultation du Conseil d'Etat, à revenir à son texte initial, ce qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi par l'article 39, qui est d'assurer la qualité des textes. Les conditions mêmes d'élaboration des projets de loi seraient sérieusement affectées, en ce que les pratiques usuelles, expressément codifiées par la circulaire susmentionnée du 30 janvier 1997 qui n'ont jamais donné lieu à critique, seraient remises en cause.
Il y aurait, en troisième lieu, quelque paradoxe à ce que le Gouvernement soit soumis à des contraintes supérieures, lorsqu'il consulte en vue de la mise au point d'un projet de loi dont la teneur sera, en tout état de cause, décidée par le Parlement, que lorsqu'il recueille l'avis d'organismes en vue d'une décision qu'il prendra lui-même.
Or, toujours réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat, on rappellera que, s'agissant des consultations précédant l' adoption de dispositions réglementaires, la jurisprudence administrative se montre soucieuse d'éviter que le Gouvernement ne puisse, sans recommencer la consultation, faire évoluer le texte sur lequel un avis a été recueilli. Ainsi la consultation est-elle régulière, dès lors que l'organisme consulté a été mis à même d'exprimer son opinion sur la question posée, sans que la définition de la question fasse l'objet d'une très stricte appréciation (CE Sect. 12 novembre 1954, Jammes, Rec.p.585 ; CE 15 mai 1959, Lacroix, Rec.p.310, CE 16 octobre 1974, Syndicat national de l'éducation physique de l'enseignement public, p.487). L'autorité compétente dispose d'une marge d'appréciation étendue pouvant conduire à l'adoption régulière de dispositions dont la portée est très sensiblement différente de celles qui avaient été présentées à l'organisme consulté.
A titre d'exemple, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a jugé que le conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat avait été régulièrement consulté sur un texte disposant que, pour la détermination de certains droits, les périodes de travail à temps partiel des stagiaires de l'Etat étaient prises en compte « pour leur durée effective », alors que le projet qui lui avait été soumis prévoyait, au demeurant de manière indirecte, qu'elles seraient assimilées à des périodes de temps plein : comme le relève cette décision du Conseil d'Etat, l'organisme consulté avait été mis en mesure de se prononcer sur la question posée, qui était celle des modalités de prise en compte des périodes de travail à temps partie des stagiaires (CE Ass. 23 octobre 1998, Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées (UFFA-CFDT), Rec. p.360).
Enfin, on soulignera que la Constitution prévoit d'autres consultations obligatoires sur les projets de loi (par exemple celle du Conseil économique et social ou des assemblées des collectivités d'outre-mer), qui ne sont pas, d'un point de vue juridique, d'une nature différente de celle du Conseil d'Etat. On imagine la rigidité dont serait affectée l'élaboration des projets de loi, si l'interprétation de l'article 39 préconisée par les saisissants valait également pour ces consultations qui s'ajoutent à celle du Conseil d'Etat.
Une telle contrainte serait d'autant plus vaine que le droit d'amendement constitutionnellement reconnu par l'article 44 de la Constitution au Gouvernement comme aux parlementaires peut ensuite conduire à modifier substantiellement le projet de texte soumis au Parlement y compris en y ajoutant des dispositions entièrement nouvelles, dès lors qu'elles ne sont pas dénuées de tout lien avec le texte initial, ainsi que le juge le Conseil constitutionnel.
C'est pourquoi le Gouvernement estime que l'adoption du projet de loi par le Conseil des ministres avant son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale ne peut être jugée contraire à l'article 39 de la Constitution.
3) Les saisines critiquent également le bien-fondé des dispositions de l'article 4 par lesquelles le législateur a, d'une part, relevé à 5% des suffrages exprimés le seuil permettant la fusion de listes en vue du second tour et, d'autre part, relevé à 10% des électeurs inscrits le seuil en dessous duquel une liste ne peut se maintenir au second tour. Elles soutiennent à cet égard que les dispositions nouvelles porteraient atteinte à la liberté des partis politiques garantie par l'article 4 de la Constitution, au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et méconnaitraient le principe d'égalité.
Le Gouvernement estime qu'aucune de ces critiques n'est fondée.
Il entend rappeler, d'abord, que la Constitution n'impose aucun mode de scrutin pour les élections autres que celle du Président de la République. Sans doute des règles constitutionnelles, au premier rang desquelles l'égalité du suffrage, doivent recevoir application, mais c'est au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, qu'il appartient de déterminer le mode de scrutin applicable à chaque élection et de retenir, ce faisant, parmi la très grande variété de systèmes possibles, celui qui lui paraît le mieux adapté. Il procède, ce faisant, à un nécessaire arbitrage entre des considérations liées à la représentation des différents courants politiques et les impératifs qui appellent l'émergence de majorités claires pour conduire l'action des collectivités publiques.
A cet égard, ainsi qu'il a déjà expressément été jugé, la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Il n'appartient pas au Conseil de rechercher si l'objet que le législateur s'est assigné aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées (V. précisément pour le mode de scrutin régional la décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999 ; V. aussi, pour le découpage des circonscriptions électorales législatives, la décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986).
En l'espèce, l'objectif poursuivi par le législateur consiste à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes dans les conseils régionaux, en remédiant à l'émiettement de la représentation dans ces conseils. Les seuils requis pour se maintenir au second tour ou pour procéder à une fusion de listes, respectivement fixés à 10% des électeurs inscrits et 5% des suffrages exprimés, ne sont pas manifestement inappropriés par rapport à l'objectif poursuivi. Ils visent à permettre aux électeurs de choisir entre les différentes listes, dans la clarté et en toute connaissance de cause. Sans doute le législateur aurait-il pu décider d'autres modalités - les règles applicables aux différents scrutins montrent d'ailleurs qu'il lui est loisible d'adopter des dispositions très variées selon les types d'élection -, mais celles qu'il a adoptées en l'espèce dans le cadre de son pouvoir d'appréciation ne sont pas susceptibles d'être jugées contraires à la Constitution.
En particulier, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions adoptées par le législateur ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté des partis politiques, au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ou au principe d'égalité.
La liberté des partis politiques qui, selon l'article 4 de la Constitution, concourent à l'expression du suffrage et doivent pouvoir se former et exercer leur activité librement n'est nullement mise en cause. Les seuils fixés par l'article 4 de la loi déférée n'ont ni pour objet ni pour effet de régir la création ou le fonctionnement des partis politiques ou d'interdire à quiconque de se présenter aux élections régionales ; ils n'interdisent pas aux partis de constituer des listes de candidats ou de participer librement au débat politique et à la campagne électorale. Ils constituent seulement l'un des éléments de la règle du jeu électoral applicable aux élections régionales. L'article 4 de la Constitution n'implique évidemment pas que tous les partis qui présentent des candidats aux élections aient le droit d'être présents au second tour de scrutin ou d'avoir des représentants élus.
L'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions constitue, ainsi qu'il a été jugé, le fondement même de la démocratie (décision n°89-271 DC du 11 janvier 1990). Mais les conséquences qui en découlent ne sont naturellement pas de même nature selon que le législateur détermine les règles applicables à la communication audiovisuelle (décision n°81-129 DC des 30 et 31 octobre 1981 ; décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982 ; décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986), aux entreprises de presse (décision n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984), au financement public des partis politiques (décision n°89-271 DC du 11 janvier 1990) ou selon qu'il détermine un mode de scrutin. L'objet même d'une loi fixant un mode de scrutin est de déterminer les règles selon lesquelles est organisée la compétition électorale qui voit s'affronter plusieurs candidats. Elle vise à concilier des exigences de représentation avec la nécessité de permettre l'émergence de majorités de gestion à même de diriger, dans la durée, l'action des collectivités publiques. L'exigence constitutionnelle de pluralisme pourrait sans doute s'opposer à ce que le législateur subordonne le droit de se porter candidat à des conditions injustifiées ; mais elle ne paraît pas s'opposer par principe à ce que le législateur mette des conditions d'accès au second tour de scrutin, sauf à ce qu'elles aient pour effet de dénaturer l'exercice démocratique.
Sur ce dernier point, le Gouvernement entend souligner que l'article 4 de la loi déférée a expressément veillé à ce qu'en toute hypothèse au moins deux listes soient présentes au second tour de scrutin, quels que soient les résultats obtenus par les listes en présence au premier tour. Le législateur a aussi prévu la possibilité pour des listes de fusionner entre les deux tours de scrutin. Compte tenu de ces précisions, il ne peut être valablement soutenu que les seuils fixés par l'article 4 seraient de nature à dénaturer l'exercice démocratique : le second tour offrira toujours aux électeurs un choix entre au moins deux listes, dont la composition pourra être pluraliste selon les options retenues par les candidats. Dans ces conditions, il n'apparaît pas au Gouvernement que les dispositions adoptées par le législateur porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de pluralisme. On peut d'ailleurs noter que l'article 7 de la Constitution réserve l'accès du second tour de l'élection présidentielle à seulement deux candidats.
Les règles adoptées par le législateur ne portent, enfin, pas atteinte au principe d'égalité du suffrage. Les mêmes règles seront appliquées pour l'élection de tous les conseils régionaux. La circonstance qu'un seuil de maintien d'une liste au second tour soit déterminé en fonction non des suffrages exprimés mais des électeurs inscrits ne peut être regardée comme étant contraire au principe d'égalité : dans les deux cas, les résultats dépendent du choix des électeurs et de l'expression de leurs suffrages, mesurés dans le cadre de règles connues d'eux et déterminées par la loi. Il n'est, dès lors, pas vrai de dire que des listes pourraient être privées de représentation pour des causes qui sont étrangères au déroulement du scrutin. On peut aussi observer que le droit positif connaît déjà des seuils de maintien au second tour déterminé en fonction des électeurs inscrits (V. pour les élections cantonales l'article L 210-1 du code électoral qui prévoit un seuil de 10% des électeurs inscrits, ainsi que, pour les élections législatives, l'article L 162 du code électoral qui fixe un seuil de 12,5% des électeurs inscrits).
Le Gouvernement estime ainsi que le choix de relever les seuils de maintien au second tour et de fusion des listes, qui ont été effectués par le législateur dans le cadre de son pouvoir général d'appréciation, ne méconnaissent aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle. Il considère, en conséquence, que les griefs des saisines critiquant le bien fondé de ces dispositions de l'article 4 de la loi déférée ne pourront qu'être écartés.
III/ Sur l'article 9
A/ L'article 9 modifie certaines des dispositions particulières applicables à l'élection des membres de l'assemblée de Corse, sans modifier l'article L 370 du code électoral qui traite des déclarations de candidature à ces élections.
Les députés et sénateurs saisissants critiquent ces dispositions au motif qu'elles ont maintenu, pour l'élection à l'assemblée de Corse, les règles antérieures relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes, sans étendre les dispositions, différentes, adoptées par la loi déférée pour l'élection des conseillers régionaux, ce qui porterait atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution.
B/ Une telle argumentation ne pourra être retenue.
On voit mal, en premier lieu, quelle serait au cas présent la disposition votée par le Parlement qui pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Comme le reconnaissent les auteurs des recours, le législateur n'a pas modifié les règles relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes s'agissant des élections à l'assemblée de Corse : les dispositions en cause, qui figurent à l'article L 370 du code électoral, résultent d'une loi promulguée qui n'a été sur ce point ni modifiée, ni complétée, ni affectée par la loi déférée. Dans un tel cas, le Conseil constitutionnel considère qu'il ne peut examiner la conformité à la Constitution de telles dispositions (décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985 ; décision n° 86-211 DC du 26 août 1986 ; décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 ; décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n° 99-414 DC du 8 juillet 1999 ; décision n°2002-464 DC du 27 décembre 2002).
En second lieu, et en tout état de cause, on doit relever que la collectivité de Corse constitue une collectivité territoriale de la République à statut particulier (décision n°91-290 DC du 9 mai 1991 ; décision n°2001-454 DC du 17 janvier 2002). Le législateur a pu doter cette collectivité d'un statut spécifique comportant, notamment, des règles particulières pour l'élection de l'assemblée délibérante. C'est ainsi que, depuis le statut de 1991, les dispositions qui régissent l'élection des membres de l'assemblée de Corse diffèrent des règles applicables aux élections régionales, notamment en ce que les élections à l'assemblée de Corse ont lieu, depuis cette date, dans un cadre territorial sans ancrage départemental (décision n°91-290 DC du 9 mai 1991).
Peut-être le principe d'égalité pourrait-il s'opposer, dans certaines circonstances, à ce que le législateur institue des règles pour les membres de l'assemblée de Corse qui diffèrent des règles applicables aux conseillers régionaux. Ce serait toutefois à la double condition que le législateur entende procéder à une forme d'assimilation entre les collectivités et qu'aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne puisse être avancée (V. pour le cumul des mandats électifs la décision n°91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 23 et 24).
Mais, en l'espèce, le Gouvernement relève que le mode de scrutin applicable aux élections à l'assemblée de Corse diffère de celui retenu pour les élections régionales, notamment en ce que les élections à l'assemblée de Corse se déroulent sans sections départementales. Le législateur pouvait ainsi, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité, conserver ce mode de scrutin spécifique résultant du statut de la Corse : c'est pourquoi il n'a, par la loi déférée, expressément repris pour la Corse que les seules dispositions susceptibles de valoir indifféremment pour les conseils régionaux et pour l'assemblée de Corse. Tel n'était pas le cas des règles relatives à la parité qui trouvent leur traduction dans les règles de composition des listes de candidats : ces règles seront différentes pour les élections régionales et pour les élections à l'assemblée de Corse, compte tenu de l'absence en Corse de sections départementales. En raison des différences objectives qui séparent ces deux modes de scrutin, qui sont liées à la spécificité de la collectivité territoriale de Corse, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité en conservant, pour l'heure et pour cette collectivité, les règles de composition des listes de candidats qui prévalaient antérieurement.
IV/ Sur l'article 10
A/ L'article 10 de la loi déférée modifie les dispositions de l'article L 280 du code électoral relatif à la composition du collège électoral procédant à l'élection des sénateurs, pour préciser que les conseillers régionaux relèvent du collège électoral du département correspondant à la section départementale de laquelle ils relèvent.
Les sénateurs, auteurs du second recours, contestent l'intelligibilité de cette disposition qui serait, de surcroît, contraire à l'article LO 274 du code électoral, au principe d'égalité et au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
B/ Ces griefs seront écartés.
Les dispositions de l'article 10 de la loi déférée, et d'ailleurs aussi celles de son article 11, se bornent à tirer les conséquences, sur la composition du collège électoral départemental appelé à élire les sénateurs, de l'élection des conseillers régionaux dans le cadre de sections départementales. La loi n°99-36 du 19 janvier 1999 avait été conduite à préciser, pour les conseillers régionaux que cette loi faisait élire dans un cadre régional sans ancrage départemental et pour les membres de l'assemblée de Corse, les modalités selon lesquelles ces grands électeurs devaient être rattachés à un collège départemental (V. les articles L 280 et L 293-1 à L 293-3 du code électoral dans leur rédaction résultant de la loi du 19 janvier 1999, qui n'ont pas été jugés contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n°98-407 DC du 14 janvier 1999). Dès lors que, pour les conseillers régionaux, leur élection sera désormais acquise après une candidature présentée dans le cadre d'une section départementale, la procédure de désignation prévue antérieurement n'avait plus lieu d'être conservée pour ce qui les concerne. C'est ce qui explique les modifications adoptées par les articles 10 et 11 de la loi déférée.
Le rattachement au collège électoral correspondant à la section départementale au titre de laquelle sont élus les conseillers régionaux est, contrairement à ce qui est soutenu, parfaitement intelligible. La règle nouvelle est objective et rationnelle et n'emportera aucune distorsion arbitraire, compte tenu de ce que la répartition, selon le mécanisme précédemment exposé, des sièges de conseillers régionaux entre les différentes sections départementales se fera proportionnellement au nombre de voix obtenues par les listes dans chaque département.
On peine enfin à discerner en quoi l'article 10 de la loi déférée pourrait méconnaître l'article LO 274 du code électoral selon lequel « le nombre de sénateurs élus dans les départements est de 304 ». Le Conseil constitutionnel a déjà écarté un grief tiré de l'article LO 274, alors dirigé contre les dispositions sur le rattachement des conseillers régionaux à un collège départemental qui figuraient dans la loi du 19 janvier 1999 (décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999). On voit encore moins pourquoi la disposition aujourd'hui déférée pourrait encourir la censure.
V/ Sur les articles 14 et 15
A/ L'article 14, modifiant l'article 3 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977, détermine le mode de scrutin applicable aux élections des représentants au Parlement européen, en retenant un scrutin de liste par circonscription, à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel ; les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. L'article 15 précise que la composition des circonscriptions est fixée conformément à l'annexe 2 de la loi et détermine les conditions de répartition des sièges entre ces circonscriptions.
Les députés, auteurs du premier recours, soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte aux principes de liberté et de pluralisme, ainsi qu'au principe d'égalité.
Les sénateurs saisissants estiment que la substitution d'un mode de scrutin par circonscriptions régionales à un mode de scrutin à circonscription nationale unique porterait atteinte au principe d'indivisibilité de la République ainsi qu'au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
B/ Le Gouvernement ne souscrit pas à cette analyse.
1) Le grief tiré de l'atteinte à l'indivisibilité de la République tente de prendre appui sur la décision n°76-71 DC du 30 décembre 1976 par laquelle le Conseil constitutionnel a estimé que l'acte du 20 septembre 1976 relatif à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes ne comportait pas de clause contraire à la Constitution. Dans cette décision, le Conseil avait relevé que l'acte soumis à son examen ne modifiait pas la nature de cette Assemblée, qui demeurait composée de représentants des peuples des Etats membres et qu'il ne comportait aucune stipulation fixant, pour l'élection des représentants français, des modalités de nature à mettre en cause l'indivisibilité de la République.
Certains avaient cru pouvoir déduire des motifs retenus par le Conseil que seul un scrutin dans le cadre d'une circonscription nationale unique serait susceptible de respecter le principe d'indivisibilité de la République, en considérant que les élus au Parlement européen, destinés à représenter le peuple français dans son entier, ne pouvaient se borner à représenter telle ou telle région. Cette interprétation de la décision du 30 décembre 1976 a été contestée par une partie de la doctrine, qui a critiqué l'idée selon laquelle des circonscriptions régionales pour les élections européennes pourraient être contraires au principe d'indivisibilité de la République alors qu'il n'a jamais été soutenu que l'élection des députés à l'Assemblée nationale dans le cadre de circonscriptions législatives porterait atteinte à ce principe. On peut par ailleurs rappeler que l'Assemblée européenne n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française et qu'elle ne participe pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision n°76-71 DC du 30 décembre 1976 ; décision n°92-308 DC du 9 avril 1992). Plus certainement, sans doute, les motifs de la décision du 30 décembre 1976 entendaient interdire l'instauration de circonscriptions transfrontalières, communes à plusieurs Etats membres des communautés européennes.
Au cas présent, le Gouvernement estime en tout état de cause que les articles 14 et 15 de la loi déférée, qui retiennent le principe d'un scrutin européen dans le cadre de 8 circonscriptions régionales, ne portent pas atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Il relève, en particulier, que le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 a introduit dans le Traité instituant la Communauté européenne des stipulations relatives à la citoyenneté de l'Union européenne (V. les articles 8 à 8 E devenus les articles 17 à 22 du traité CE). L'article 19 du traité reconnaît ainsi à tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas le ressortissant le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. Le Conseil constitutionnel n'a pas estimé ces stipulations contraires à la Constitution (décision n°02-308 DC du 9 avril 1992), prenant particulièrement en considération les attributions et la nature du Parlement européen. Compte tenu de ces stipulations, il paraît difficile d'imaginer en quoi le mode de scrutin retenu pourrait porter atteinte à l'indivisibilité de la République.
2) Les griefs tirés des « principes de liberté et de pluralisme » n'emportent pas la conviction. Comme il a été dit précédemment à propos du mode de scrutin retenu pour l'élection des conseillers régionaux, il est loisible au législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, d'adopter le mode de scrutin qui lui paraît le mieux adapté à une catégorie d'élections. En l'espèce, prenant en considération l'intérêt général qui s'attache à une représentation équilibrée de l'ensemble du territoire et à une plus grande proximité entre les électeurs et les représentants au Parlement européen, le législateur a décidé de retenir un mode de scrutin dans le cadre de huit grandes circonscriptions régionales. Il n'en résulte aucune atteinte au pluralisme. On peut relever, d'ailleurs, que le mode de scrutin retenu est la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
3) S'agissant du principe d'égalité et de la répartition du nombre de sièges dévolus à la France entre les huit circonscriptions régionales, les députés saisissants se prévalent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au découpage des circonscriptions électorales.
On pourrait s'interroger à cet égard sur le cadre constitutionnel applicable aux élections au Parlement européen. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques (décision n°85-196 DC du 8 août 1985 ; décision n°85-197 DC du 23 août 1985 ; décision n°86-208 DC du 2 juillet 1986 ; décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986). Mais ce principe, qui trouve sa source dans les articles 1er et 3 de la Constitution et dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, vaut pour les élections politiques qui mettent en cause l'expression de la souveraineté nationale. S'il est applicable pour l'élection du congrès de Nouvelle Calédonie, c'est parce que cet organe ne se limite pas à la simple administration du territoire (décision n°85-196 DC du 8 août 1095) ; s'il est applicable aux élections municipales, c'est parce que des élus municipaux participent à l'élection du Sénat (décision n°87-227 DC du 7 juillet 1987).
Or le Parlement européen relève d'un ordre juridique propre, distinct de l'ordre institutionnel de la République française, et ne concourt pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision n°92-308 DC du 9 avril 1992). On peut dès lors s'interroger sur la transposition directe du principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques. Cette interrogation pourrait conduire à estimer que le législateur dispose, pour les élections au Parlement européen, d'une marge d'appréciation plus large, sans que cela lui permette, pour autant, de s'affranchir du respect du principe d'égalité pris dans son acception générale.
En l'espèce, il résulte, en tout état de cause, des termes mêmes de la loi déférée que la critique tirée du principe d'égalité ne peut qu'être écartée et que la répartition des sièges a été organisée par le législateur de telle façon que sont pleinement respectées les exigences constitutionnelles rappelées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le législateur a adopté le principe d'un scrutin par circonscriptions régionales. Il a fixé à huit le nombre de ces circonscriptions et déterminé leur composition, en respectant les limites administratives des régions. L'article 15 de la loi déférée précise que les sièges des représentants français au Parlement européen sont répartis entre les circonscriptions régionales proportionnellement à leur population, avec application de la règle du plus fort reste, en se fondant sur le chiffre de la population résultant du dernier recensement général. Le nombre de sièges est constaté par décret au plus tard à la date de convocation des électeurs. Il résulte directement de ces dispositions que la répartition des sièges entre les huit circonscriptions régionales sera faite sur des bases essentiellement démographiques, selon une règle précisément fixée par le législateur de proportionnalité par rapport à la population des circonscriptions. De telles dispositions législatives ne peuvent être regardées comme étant contraires au principe constitutionnel d'égalité.
VI/ Sur l'article 17
A/ L'article 17, modifiant l'article 9 de la loi du 7 juillet 1977, détermine les règles relatives aux déclarations de candidature pour les élections des représentants au Parlement européen et précise, notamment, que les listes présentées par circonscription sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.
Cette dernière disposition est critiquée par les députés saisissants au motif qu'elle méconnaîtrait l'article 3 de la Constitution selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir cette critique.
En adoptant les nouvelles dispositions de l'article 3 de la Constitution, le pouvoir constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (décision n°2000-429 DC du 30 mai 2000). Comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, le législateur peut ainsi adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Mais c'est au législateur qu'il appartient de déterminer, pour chaque élection, les dispositions qui lui paraissent le plus appropriées et il lui est loisible de modifier pour l'avenir les règles antérieurement édictées. On ne saurait, dès lors, déduire des dispositions de l'article 3 de la Constitution qu'elle s'opposeraient à ce que le législateur modifie les règles applicables à un mode de scrutin déterminé au motif que cette modification serait susceptible d'avoir pour conséquence une moindre représentation des femmes.
Au demeurant, il faut souligner que le législateur, dans le cadre du mode de scrutin par circonscriptions régionales qu'il a décidé d'instituer, a prévu que les listes de candidats par circonscription devront être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe. Il ne peut être démontré que ces règles, par elles-mêmes, aboutiraient nécessairement à une moindre représentation des femmes au Parlement européen que celle qu'impliquaient les dispositions antérieures, qui n'ont, d'ailleurs, compte tenu de leur date d'entrée en vigueur, jamais reçu application.
VII/ Sur l'article 28
A/ L'article 28 abroge l'article 23 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977 relatif au vote des Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centre de vote pour l'élection du président de la République.
Selon les auteurs de la première saisine, cette abrogation aurait pour effet de priver de l'exercice du droit de vote les citoyens français résidant hors des frontières de l'Union européenne, ce qui serait contraire au principe d'universalité du collège électoral.
B/ Le Conseil constitutionnel devra écarter ce grief.
L'article 23 de la loi du 7 juillet 1977 avait pu prévoir, alors que le mode de scrutin en vigueur avait pour base une circonscriptions nationale unique, que les Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centres de vote pour l'élection du Président de la République exercent leur droit de vote dans les conditions prévues par la loi organique n°76-97 du 31 janvier 1976, sous réserve qu'ils n'aient pas été admis à exercer leur droit de vote pour l'élection des représentants au Parlement européen de l'Etat membre de l'Union européenne où ils résident. Ces dispositions ne pouvaient être conservées dans le cadre d'un scrutin par circonscriptions régionales, sauf à rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions.
Plutôt que d'organiser un tel rattachement, le législateur a préféré s'en tenir à l'application des dispositions générales du code électoral qui permettent l'inscription sur les listes électorales des communes des Français établis hors de France. Ainsi l'article L 12 du code électoral prévoit que les Français établis hors de France et immatriculés au consulat de France peuvent, sur leur demande, être inscrits sur la liste électorale de leur commune de naissance, de la commune de leur dernier domicile, de la commune de leur dernière résidence, de la commune où est inscrit un de leurs descendants au premier degré. L'article L 12 prévoit aussi la possibilité pour les Français établis hors de France de s'inscrire dans la commune où est né, est inscrit ou a été inscrit l'un de leurs ascendants : dans ce cas, le citoyen qui se prévaut de ces dernières dispositions n'a pas l'obligation de justifier cumulativement de la naissance de son ascendant dans la commune et d'une inscription, présente ou passée, de cet ascendant sur les listes électorales (Cass Civ II 3 juin 1977, Bull n°142 p.100). L'article L 13 du code électoral règle pour sa part la situation des militaires. L'article L 14 prévoit enfin que les Français établis hors de France et les conjoints des militaires de carrière peuvent demander leur inscription sur la liste électorale où est inscrit leur conjoint.
C'est en vertu de ces dispositions que les Français établis hors de France pourront participer à l'élection des représentants au Parlement européen, soit personnellement, soit par procuration, de la même façon qu'ils peuvent participer aux autres élections politiques qui se déroulent dans le cadre de circonscriptions sur le territoire national. On peut relever, en outre, que les Français établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne peuvent aussi choisir de voter dans cet Etat en s'y inscrivant sur les listes électorales propres à l'élection au Parlement européen. Dans ces conditions, il apparaît au Gouvernement que le grief adressé à l'article 28 de la loi déférée ne pourra être retenu.
En définitive, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.
RECOURS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
14 février 2003
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75002 Paris.
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux, des représentants au Parlement européen et aide publique aux partis politiques.
Sur la procédure législative
Le texte critiqué a été adopté au terme d'une procédure législative méconnaissant les règles constitutionnelles applicables, et portant une atteinte à la sincérité du débat parlementaire. Qu'en particulier la violation du second alinéa de l'article 39 C, d'une part, et des articles 34 et 44 C, d'autre part, est certaine.
I. Sur la violation du second alinéa de l'article 39 de la Constitution
L'article 39 alinéa 2 dispose que les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées. Cette obligation constitutionnelle quant à la procédure d'élaboration de la loi conduit à une vérification de la réalité de la consultation du Conseil d'Etat sur le projet de loi. C'est sur cette voie que vous vous êtes engagé par au moins deux décisions. Vous avez ainsi considéré « que le dépôt sur le bureau de l'Assemblée Nationale, le 4 octobre 1990, d'une lettre rectificative au projet de loi de finances pour 1991 relative à la contribution sociale généralisée a été précédé de la consultation du Conseil d'Etat et de la délibération du Conseil des Ministres ; qu 'il a été ainsi satisfait aux exigences posées par le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution » (Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, considérant 5 et 6 ; voir également : Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, 9 et 10).
Cette procédure de consultation est donc constitutionnellement sanctionnée.
Il s'ensuit que si le gouvernement peut ne pas suivre l'avis donné par le Conseil d'Etat, il doit cependant l'avoir mis en situation de se prononcer sur le projet de texte tel qu'adopté en Conseil des Ministres. Toute hypothèse inverse conduirait à vider de sa substance la procédure ainsi instituée.
Or, en l'espèce, il est acquis que le projet de loi adopté par le Conseil des Ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale était substantiellement différent de celui proposé à l'avis du Conseil d'Etat. Qu'il en allait ainsi, en particulier, de la disposition relative aux seuils prévus par l'article 4 du projet de loi modifiant l'article L. 346 du code électoral et non soumise à l'avis du Conseil d'Etat. Que ces seuils posent un problème majeur au regard du principe de pluralisme et qu'en s'abstenant de consulter le Conseil d'Etat sur ce point, le gouvernement a violé l'article 39 de la Constitution.
Il ne saurait être tiré argument, à cet égard, du caractère non public de l'avis du Conseil d'Etat dès lors qu'à l'occasion de la saisine du Conseil Constitutionnel celui-ci peut lui être transmis (voir les Grands Avis, 1997, page 56) et qu'à défaut, le gouvernement devrait répondre à toute injonction de la part du Conseil Constitutionnel sur ce point, sauf à ce qu'un refus persistant fasse la preuve du fait avancé.
Cette méconnaissance d'une règle substantielle de la procédure législative se double, en l'occurrence, d'une autre atteinte à la régularité de la procédure d'adoption de la loi.
II. Sur la violation des articles 34 et 44 de la Constitution
La circonstance que le gouvernement fasse application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution ne saurait être discutée, sous la réserve cependant que la délibération en Conseil des Ministres autorisant le Premier Ministre à engager sa responsabilité soit réelle.
Il demeure que l'application de cette disposition ne doit pas empêcher un débat parlementaire respectueux des droits du Parlement, et en particulier que le Sénat exerce la plénitude de ses droits. Que le respect des droits de l'opposition est également indispensable.
Vous avez déjà eu l'occasion de veiller au respect de ces équilibres (Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994) en considérant, par ailleurs, que « le bon déroulement du débat démocratique, et partant le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels, supposent que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 C et que, parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition à ces fins » (Décision n° 95-370 DC du 30 décembre 1995).
Au cas présent, alors que le gouvernement a fait application de l'article 49 alinéa 3 C devant l'Assemblée Nationale et que les sénateurs soussignés n'ont pas fait un usage manifestement excessif de leur droit d'amendement, il était indispensable que le débat en Commission saisie au fond et en séance publique soit le plus complet possible. Que s'agissant d'un projet de loi portant sur les modes de scrutin et donc sur les modalités d'expression du droit de suffrage des citoyens, le bon déroulement du débat démocratique, et partant sa sincérité, devait être totale.
Il n'en a pourtant rien été.
Certes, les amendements déposés par les sénateurs ont pu être présentés en commission des lois et en séance publique. En apparence, les règles constitutionnelles ont donc été respectées.
Mais la réalité est tout autre.
Il ressort, en effet, des comptes rendus de la Commission des lois du Sénat comme des débats en séance publique que la décision de voter conforme le texte critiqué avait été prise quelque soit le nombre, la nature et la portée des amendements déposés. En sorte que ceux-ci n'ont fait l'objet que d'un débat formel ayant l'apparence, d'une procédure conforme aux prescriptions constitutionnelles.
Or, l'article 44 de la Constitution impose que le droit d'amendement comprenne non seulement le droit de proposer une modification ou une adjonction à un projet ou une proposition de loi mais également le droit que cette suggestion soit examinée et discutée sincèrement.
Une entrave à l'exercice d'un droit peut très bien, pour éviter certaines critiques par exemple, se traduire par une grève du zèle. La réalité de ce droit corollaire du droit d'initiative suppose donc que l'examen de chacun des amendements puisse conduire, le cas échéant, à leur adoption. Décider, par avance, que tout amendement sera refusé au motif que le texte examiné doit être voté en termes identiques pour des raisons d'opportunité politique, revient, in concrète, à entraver l'exercice des droits du Parlement et à altérer le bon déroulement du débat démocratique.
En l'espèce, la décision avait été prise, ainsi encore une fois qu'il ressort des débats, de ne donner aucune suite aux amendements déposés par quiconque.
Autrement dit, cette manière de faire n'a pu qu'altérer la sincérité du débat démocratique devant le Sénat avec des effets proches de l'emploi d'une question préalable « positive » ou du recours au vote bloqué tel que défini par l'article 44 C. Un tel refus de débattre véritablement des amendements régulièrement déposés, qui vient s'ajouter à l'absence de débat à l'Assemblée Nationale, en raison de l'application de l'article 49 alinéa 3 C, et alors que les sénateurs ont présenté un nombre d'amendements non manifestement excessifs ne pouvant être assimilé à de la flibuste, vicie la procédure législative dans son ensemble.
De tous ces chefs, la censure s'impose.
Sur le fond
III. Sur l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi
L'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, propre à garantir le principe d'égalité des citoyens (Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999), peut connaître, il est vrai, des appréciations différentes selon la nature des textes concernés. Il en va ainsi, en particulier, lorsque la complexité de la loi en cause trouve pour destinataires principaux des spécialistes dont le degré de connaissance juridique et technique les met en en mesure de considérer pleinement le sens et la portée des dispositions concernées (Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000).
En revanche, s'agissant .d'une loi portant sur les modes de scrutin, l'accessibilité et l'intelligibilité du texte pour les citoyens doit être la plus grande possible. D'autant plus qu'une mauvaise appréhension des conséquences de l'organisation du scrutin peut avoir des effets induits non prévisibles pour les électeurs, voire contraires à leur choix et à leur volonté réelle.
Cet objectif de valeur constitutionnelle garanti donc le respect des articles 3 et 4 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration de 1789.
Or, en l'occurrence, la loi déférée manque, c'est le moins qu'on puisse dire, à cet objectif.
Trois illustrations peuvent être proposées à cet égard.
- La première tient au libellé du texte lui-même. L'article 3 de la loi insérant un nouvel article L. 338-1 dans le code électoral dispose :
« Les sièges attribués à chaque liste en application de l'article L. 338 sont répartis entre les sections départementales qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département. Cette attribution opérée, les sièges restant à a attribuer sont répartis entre les sections départementales selon la règle de la plus forte moyenne. Si plusieurs sections départementales ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la section départementale qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus.
Les sièges sont attribués aux candidats dans l'ordre de présentation sur chaque section départementale.
Lorsque la région est composée d'un seul département, les sièges sont attribués dans le ressort de la circonscription régionale selon les mêmes règles. »
Il est peu dire que ce mode de scrutin rendra difficile pour l'électeur la mesure de la portée de son vote. Que les opérations électorales et le calcul du décompte des voix s'avèrent plus que complexes.
- La seconde tient au fait que le candidat placé en tête de liste pour la Région peut ne pas être tête de liste dans une section départementale. En sorte qu'en raison du mécanisme précédemment décrit, il peut ne pas être élu et ce alors même qu'une part non négligeable des citoyens se sera déterminée en fonction de sa présence au niveau régional laissant comprendre qu'en cas de victoire de son camp politique, cette personne deviendrait président de l'exécutif régional.
Cette hypothèse évoquée dans le cours des débats, n'a absolument pas été démentie par le gouvernement.
Il s'ensuit une double atteinte à l'objectif recherché. D'une part, on peut craindre des manipulations quant à la réalité des personnalités appelées à jouer un rôle déterminant dans la gestion de la collectivité territoriale. D'autre part, ce risque, qui peut survenir pour de simples raisons électorales, et que l'on ne peut écarter, s'oppose à l'objectif affiché pour justifier cette réforme du mode de scrutin, à savoir la nécessité de clarifier les conditions d'élection des assemblées régionales.
- La troisième tient aux prescriptions de l'article 4 de la loi modifiant les seuils prévus à l'article L. 346 du code électoral.
En fixant le seuil nécessaire pour se maintenir au second tour à 10 % du nombre des électeurs inscrits, et en établissant le seuil nécessaire pour qu'une liste puisse fusionner avec une autre liste en vue du second tour à 5 % des suffrages exprimés, la loi a, outre l'atteinte au pluralisme, rendu inintelligible ce mode de scrutin et la portée de chaque vote des électeurs.
Il en résulte qu'une liste ayant atteint le seuil de 5 % des suffrages exprimés pourra avoir des élus grâce au mécanisme de fusion, alors qu'une liste ayant recueillie plus de voix que la précédente, mais n'ayant pas atteint le seuil de 10 % des inscrits et refusant de fusionner ou ne le pouvant pas pour des raisons propres à la configuration politique, n'aura aucun élu.
Ce scénario loin d'être irréaliste hypothèque largement la liberté de choix de l'électeur et ensemble l'égalité de suffrage.
Il s'ensuit que le mode de scrutin ainsi défini méconnaît l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
IV. Sur l'article 4 de la loi
Cet article 4 modifie l'article L. 346 du code électoral applicable aux élections des conseils régionaux en fixant de nouveaux seuils pour que les listes puissent se maintenir au second tour ou fusionner avec une autre liste. Ainsi, pour pouvoir déclarer sa candidature au second tour de scrutin, chaque liste devra recueillir au moins 10 % des inscrits. Pour être en mesure de fusionner avec une autre liste, les listes présentes au premier tour de scrutin devront recueillir au moins 5 % des suffrages exprimés.
Une telle disposition est inconstitutionnelle à plusieurs titres.
IV.1. Sur le principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion
L'article 4 de la loi critiquée méconnaît gravement le principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion, exigence dont vous avez rappelé si fortement qu'elle constitue « le fondement de la démocratie » (Décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, Recueil page 21) et en application duquel vous avez invalidé une disposition prévoyant un seuil de 5 % des suffrages exprimés dans chaque circonscription comme critère d'éligibilité à une fraction de l'aide de l'Etat allouée aux partis politiques.
Or, en l'espèce, en application de l'article 4 de la loi querellée, une liste ne pourra se maintenir au second tour qu'à la condition d'avoir obtenu des suffrages représentant au moins 10 % des électeurs inscrits.
Une double atteinte au principe du pluralisme en résulte.
Sur le principe même du mécanisme, il n'est pas acceptable que le seuil permettant, in fine, d'avoir des élus soit aussi élevé et prenne une base faisant dépendre le sort des élections des personnes qui ne votent pas. Car, de la sorte, il contribue à empêcher la plénitude d'expression des formations minoritaires ou correspondant à l'émergence d'un courant d'opinion nouveau, voire déjà existant mais ayant décidé d'une nouvelle organisation.
C'est pourtant bien ce à quoi concours le seuil ainsi déterminé.
Il est acquis, au surplus, qu'en adossant le seuil en cause au nombre des électeurs inscrits et non au nombre des suffrages exprimés, la loi fait prévaloir le poids des abstentionnistes sur les électeurs s'exprimant. Que les chiffres des taux d'abstentions constatés lors des différents scrutins s'étant déroulés ces dernières années montrent que le risque est réel de voir des listes obtenir près de 20 % des suffrages exprimés tout en restant en-deçà du seuil des 10 % des électeurs inscrits. Que la conséquence la plus directe, et non contestée car non contestable, sera de rendre plus difficile l'accès au second tour des élections des conseils régionaux pour les listes des partis politiques d'audience moyenne ou peu importante. Que ces effets seront encore plus violents pour les formations politiques en cours d'émergence.
Quoi que l'on puisse penser des opinions de tel ou tel parti ou groupement politique, cette limite quant à l'accès au second tour n'est pas démocratiquement acceptable. On fera litière ici de la comparaison avec les scrutins majoritaires uninominaux pour lesquels, le fait d'avoir deux candidats au second tour est un gage de clarté. Pour les scrutins de liste, le résultat conduit à composer une assemblée délibérante dont un exécutif sera l'émanation. En outre, cette comparaison est d'autant moins sérieuse, que le mécanisme critiqué traite différemment et plus favorablement les listes ayant atteint 5 % des suffrages exprimés et fusionnant. Or, rien de tel ne peut exister dans le cadre d'un scrutin uninominal !
Aucune justification ne peut légitimer une telle atteinte au principe du pluralisme. Il a certes été avancé que la modification proposée devrait permettre de dégager des majorités stables au sein des conseils régionaux.
Mais cet argument ne peut tromper personne.
Il est acquis que la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 en instituant une prime majoritaire de 25 % des sièges au bénéfice de la liste arrivée en tête avait mise en place un mécanisme de nature à satisfaire pleinement l'objectif de stabilité et de bonne gestion des conseils régionaux. C'est ce que vous aviez relevé dans votre décision rendue à propos de cette loi en considérant que les modalités alors retenues n'étaient pas, en l'espèce, « manifestement inappropriées à l'objectif visé, qui est défavoriser la constitution d'une majorité dans les conseils régionaux tout en assurant une représentation des différentes composantes du corps électoral » (Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999). Mécanisme stabilisateur conforme aux principes de la démocratie majoritaire qui est d'ailleurs maintenu par le texte en cause.
Il ne saurait être sérieusement soutenu, à cet égard, que l'objectif poursuivi n'a pas été atteint, dès lors que cette loi du 19 janvier 1999 n'a pas encore reçue d'application, sa première mise en oeuvre étant prévue pour les élections des conseils régionaux de 2004.
C'est dire que la libre expression des courants d'idées et d'opinion est contrainte par un seuil excessivement élevé. Le pluralisme, fondement de la démocratie, est méconnu.
IV.2. Sur la violation de l'article 4 de la Constitution
Le mécanisme reposant sur des seuils différents pour le maintien au second tour et la fusion entre les listes aboutit, ainsi qu'il a été montré, à contraindre à la fusion des listes ou à éliminer les listes ne souhaitant pas de tels rapprochements ou ne le pouvant pas.
Ce faisant, la loi porte atteinte au premier alinéa de l'article 4 de la Constitution au terme duquel :
« Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ».
On mesure d'autant mieux cette atteinte au pluralisme, que le même article prévoit une base différente pour déterminer le seuil nécessaire pour la fusion des listes en vue du second tour. Il suffit, en effet, qu'une liste recueille 5 °/o des suffrages exprimés au premier tour pour être admise à une fusion avec une autre liste encore en lice.
Dans ces conditions, il faut en déduire qu'est instituée une contrainte à la fusion des listes. Or, dans la mesure où existe le mécanisme rationnel de la prime majoritaire, cette incitation forcée ne peut trouver aucune justification suffisante dans la recherche d'une stabilité des exécutifs régionaux et des majorités dans les conseils régionaux.
Cette fusion est d'autant moins acceptable qu'elle pourra favoriser des listes ayant recueillies moins de suffrages que d'autres mais refusant, pour leur part et pour des raisons propres parfaitement légitimes, de ne pas fusionner. Selon le taux d'abstention, une liste obtenant 5,1 % des suffrages décidant de fusionner, et le pouvant politiquement, sera mieux représentée qu'une liste ayant obtenue 9,9 % des inscrits et 18,9 % des suffrages exprimés, mais ne voulant ou ne pouvant, politiquement, fusionner.
Il s'agit bien d'une contrainte pesant sur les partis et groupements politiques tendant les obliger à fusionner ou à risquer de n'avoir pas de représentants s'ils ne peuvent y prétendre ou ne le veulent pas pour des raisons politiques.
La méconnaissance de la liberté de formation et d'activité des partis politiques est flagrante.
IV.3. Sur la violation des articles ler et 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789
Le mécanisme en cause viole l'article l" de la Constitution aux tenues duquel la loi assure l'égalité devant la loi des citoyens, l'article 3 de la Constitution en ce qu'il dispose que le suffrage « est toujours universel, égal et secret », et l'article 6 de la Déclaration de 1789 énonçant que la loi doit être la même pour tous.
Statuant sur une loi modifiant le régime électoral pour un scrutin non politique, vous aviez censuré une disposition instaurant un vote plural dépendant du poids effectif de certains électeurs (Décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979, Recueil p. 23). Cette logique s'impose de plus fort pour des élections politiques pour lesquelles on ne saurait admettre, en aucune façon, qu'un électeur « pèse » plus qu'un autre, et surtout si le premier pèse plus au motif qu'il ne s'est pas exprimé.
En l'espèce, l'existence de deux seuils dont l'un est dépendant du nombre d'électeurs abstentionnistes rompt l'égalité de suffrage entre les citoyens.
D'abord, la voix de chaque citoyen ayant voté sera dépendante de l'attitude des autres électeurs qui n'auront pas exercé leur droit de vote. Autrement dit, l'article 4 de la loi critiquée subordonne le plein effet de l'expression du suffrage au choix fait par certains citoyens de ne pas voter.
L'attitude de l'électeur ne votant pas sera donc plus déterminante que la voix de l'électeur ayant exprimé son suffrage. C'est là une atteinte au caractère universel et égal du suffrage particulièrement inadmissible.
Ensuite, il est mécaniquement acquis que le taux d'abstention bénéficiera aux listes des partis et groupements politiques les plus importants. De cette façon, le poids d'une voix exprimée ne sera pas le même selon que le taux de participation. Plus gravement, les voix se portant sur une liste n'ayant pas atteint 10 % du nombre des électeurs inscrits mais ne fusionnant pas, et peu importe les raisons parfois indépendantes de la volonté des candidats composant ladite liste, comptera moins que la voix s'étant portée sur une liste ayant atteint 5 % des suffrages exprimés et fusionnant au second tour.
Enfin, la variable d'ajustement étant le taux d'abstention, il s'ensuit que deux listes ayant obtenus le même nombre de suffrages dans deux régions mais où le taux de participation aura été différent ne se trouveront pas dans la même situation au regard de la possibilité de se maintenir au second tour de l'élection.
Le suffrage n'est donc plus universel et égal sur l'ensemble du territoire.
De tous ces chefs, la censure est, là encore, certaine.
V. Sur l'article 9 de la loi
Cet article modifie l'article L. 366 du code électoral applicable au mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse. Il prévoit, notamment, qu'en cas d'égalité de suffrage, l'attribution de 3 sièges de plus et l'attribution du dernier siège, respectivement à la liste arrivée en tête au second tour, dont les candidats ont la moyenne d'âge la plus élevée et au plus âge des candidats susceptibles d'être proclamés élus.
Ce faisant, l'article 9 de la loi critiquée reprend les modifications apportées dans le même sens par l'article 3 de la loi modifiant l'article L. 338 du code électoral.
En revanche, les modifications prévues par l'article 4 de la loi à l'article L. 346 du code électoral concernant la mise en oeuvre du principe de parité en prévoyant que chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe ne sont pas applicables pour les élections à l'Assemblée de Corse.
Une telle différence méconnaît les articles 3 et 4 de la Constitution.
Nul ne peut contester que le dernier alinéa de l'article 3 C en disposant que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, a établi une règle dont l'application ne saurait varier pour des circonstances particulières à telle ou telle collectivité territoriale. Que rien ne saurait justifier, à cet égard, que la Corse soit soumise à un régime différend, surtout si la nouvelle règle a pour but de rendre encore plus effectif le principe énoncé à l'article 3 de la Constitution.
Qu'il en va de même quant à l'article 4 C en ce qu'il impose aux partis et groupements politiques de contribuer à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution. Rien ne peut justifier, objectivement, que les partis et groupements n'aient pas les mêmes obligations selon les collectivités territoriales concernées.
Il s'agit là d'une règle fondamentale pour l'égalité de représentation et les caractéristiques essentielles de la démocratie et aucun élément tenant au mode de scrutin pour l'élection à l'Assemblée de Corse ou à la situation du corps électoral de cette collectivité ne peut fonder une telle discrimination.
Le rapporteur de la Commission des lois du Sénat montre assez l'embarras du législateur à cet égard lorsqu'on réponse à l'exception d'irrecevabilité, il indique : « je comprends les élus corses veuillent voir appliquer la parité, et le ministre de l'intérieur s'est engagé, hier, à réexaminer le problème en ce sens. Mais il n'y a là aucune inconstitutionnalité, la Corse n 'étant pas soumise aux mêmes lois que les autres régions » (Sénat, Séance du 4 mars 2003). Une telle argumentation ne peut que laisser interdit dès lors que votre jurisprudence relative aux collectivités territoriales et particulièrement à la Corse marque comme limite aux expérimentations et autres adaptations requises par des circonstances particulières, les libertés publiques et les droits fondamentaux (Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002).
En l'espèce, il s'agit de la mise en oeuvre du principe d'égalité des citoyens quant aux principes de la représentation politique, et l'on peine à comprendre la justification d'un régime distinct applicable sur le territoire de la collectivité territoriale de Corse. Le fait que cette question soit susceptible d'être abordée ultérieurement ne saurait, évidemment, purger le vice d'inconstitutionnalité.
L'inconstitutionnalité de cet article 9 résultant de l'absence de disposition législative pertinente, en quelque sorte pour incompétence négative, pose une question quant à son impact effectif.
Dans ces conditions, la conséquence de cette inconstitutionnalité viciant l'article 9 de la loi ne peut qu'être de rendre l'ensemble de la loi inconstitutionnelle, sauf à maintenir deux régimes distincts quant à la mise en oeuvre plus effective du principe d'égal accès pour les femmes et pour les hommes aux mandats électifs sur le territoire national.
VI. Sur l'article 10 de la loi
Cet article modifie l'article L. 280 du code électoral relatif à la composition du collège électoral des sénateurs en prévoyant que les conseillers régionaux seront grands électeurs de la section départementale dans laquelle ils sont inscrits.
Une telle disposition, outre son manque d'intelligibilité, méconnaît l'article L.O. 274 du code électoral, ensemble le principe d'égalité de suffrage et le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinion.
En l'espèce, il résultera du mécanisme mis en place une variation du collège électoral évoluant selon la pondération des votes obtenus et ce sans véritable lien avec les rapports de force politique établis au niveau de chaque section départementale. En sorte que la force politique majoritaire au sein du Conseil régional influera indirectement, mais nécessairement, et indépendamment de la réalité politique des départements concernés, le collège des électeurs pour les élections sénatoriales.
On le voit, le dispositif critiqué tend à favoriser certaines formations politiques dans le cadre du scrutin sénatorial. La question posée est donc bien distincte de celle à laquelle vous avez déjà répondu à propos de la loi du 19 janvier 1999 et concerne l'égalité de suffrage et le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinion qui vaut également pour les élections du Sénat.
VII. Sur l'article 12 de la loi
L'article 12 de la loi modifie l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen en substituant à l'élection dans le cadre d'une circonscription unique correspondant au territoire national, un mode de scrutin par circonscriptions interrégionales.
VII.1. Sur l'indivisibilité de la République
Une telle disposition méconnaît le principe de l'indivisibilité de la République que vous avez affirmé dans une décision du 30 décembre 1976 rendue au sujet, précisément, de l'élection au suffrage universel direct des députés français au Parlement européen. Vous avez ainsi considéré que l'engagement international du 20 septembre 1976 ne contient aucune stipulation fixant pour cette élection, « des modalités de nature à mettre en cause l'indivisibilité de la République dont le principe est réaffirmé à l'article 2 de la Constitution ; que les termes de procédure électorale uniforme dont il est fait mention à l'article 7 de l'acte soumis au Conseil Constitutionnel ne sauraient être interprétés comme pouvant permettre qu 'il soit porté atteinte à ce principe ».
A l'occasion du débat relatif à la loi du 7 juillet 1977 dont modification est portée par l'article critiqué, le ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Christian Bonnet, répondant à une question de M. Michel Debré, député, indiquait que « le gouvernement a pensé que le cadre national pourrait seul, dans un tel scrutin respecter le principe de l'indivisibilité de la République, réaffirmé par le Conseil Constitutionnel, et permettre aux élus de représenter le peuple français dans sa totalité », ajoutant quant au principe d'indivisibilité que « le gouvernement estime qu'il ne serait à aucun moment possible de s'en extraire, pour quelque gouvernement que ce soit qui prendra sa suite » (J.O. Débats, Assemblée Nationale, séance du 21 juin 1977, page 3988).
En l'occurrence, en créant des circonscriptions interrégionales dont, au demeurant rien n'assure qu'elles garantissent l'égalité de suffrage dès lors que les bases géographiques sur lesquelles elles reposent sont sans doute entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, le législateur a porté atteinte au principe d'indivisibilité de la République.
VII.2. Sur l'atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions
C'est en vain que l'on prendrait dans les conditions fixées par la présente loi de la nécessité de proximité entre les citoyens et les électeurs.
D'une part, la taille des circonscriptions figurant en annexe II de la présente loi laisse à penser que ce rapprochement est plus qu'illusoire. D'autre part, il est tout aussi certain que ce mode de scrutin aura pour conséquence de limiter le nombre d'élus des listes présentées par des partis et groupement politiques de petites ou moyennes importances. Que ce mode de scrutin, se déroulant sur un seul tour, ne donnera aucune possibilité, par exemple par l'effet d'une fusion, de donner aux petites listes l'occasion d'avoir des élus au Parlement européen.
En réalité, l'article 12 critiqué aura pour résultat de réduire le champ des opinions politiques existantes en France au Parlement européen. Or, cette institution ne connaissant aucun problème de stabilité ou de cohérence, la modification du mode de scrutin critiquée aura pour conséquence de réduire l'expression des courants d'idées et d'opinion sans aucune justification tenant à la rationalité de l'institution concernée ou, en réalité, à la proximité des électeurs avec leur représentants.
De ce chef, également, la censure est encourue.
Nous vous prions de croire. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre haute considération.RECOURS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
Paris, le 14 mars 2003
Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les membres
du CONSEIL CONSTITUTIONNEL
2, rue Montpensier
75001 PARIS
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Nous avons l'honneur, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déférer devant vous la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, telle qu'elle a été définitivement adoptée le 12 mars 2003.
1. Il n'est pas inutile de rappeler, à titre liminaire, que cette loi n'a été adoptée à l'Assemblée nationale qu'après utilisation du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, tandis que le Sénat, rejetant tous les amendements présentés, a voté le texte en termes identiques dès sa première lecture.
Ce n'est pas la première fois qu'une loi électorale naît dans ces conditions expéditives. C'est au contraire la troisième puisque à deux reprises déjà, en 1986, il avait été procédé ainsi, ce qui donne à penser que la majorité concernée dans les trois cas peine quelque peu à réunir un consensus dans une matière où, pourtant, il serait bienvenu.
2. Il semble, en revanche, que ce soit bien la première fois, dans toute l'histoire de la République, qu'une réforme électorale est imposée par un seul groupe parlementaire contre l'opposition de tous les autres, pourtant eux-mêmes situés sur l'échiquier politique en des lieux éloignés les uns des autres.
3. Aucune de ces deux remarques n'emporte, en elle-même, critique constitutionnelle. Mais l'une et l'autre traduisent un contexte qui ne peut que rendre suspecte une réforme électorale soutenue par un seul parti et adoptée par la contrainte.
C'est encore ce qui explique que la présente saisine soit, fait également sans précédent, présentée par des élus qui n'ont pas pour habitude d'agir conjointement. Mais s'ils ont décidé de le faire ensemble c'est parce que la Constitution, dont vous êtes les gardiens, est l'ultime rempart, à vrai dire l'unique limite, qui s'oppose aux éventuels abus de la toute puissance majoritaire et protège contre elle les droits des autres courants d'idées ou d'opinions.
4. De fait, il apparaît très vite que, si la réforme porte sur deux scrutins distincts, régional et européen, la distinction s'efface derrière la communauté d'inspiration, celle qui, sous des prétextes diaphanes, ne vise qu'à servir les intérêts politiques des auteurs. Or, cette observation fait pénétrer de plain-pied sur le terrain juridique car, s'il peut être admissible que les promoteurs d'une loi électorale recherchent des objectifs propres, ou qui au moins ne soient pas contraires à leurs intérêts, c'est à la double condition, d'une part, qu'ils respectent ce faisant l'ensemble des règles et principes de valeur constitutionnelle, d'autre part, que leur texte puisse se prévaloir de motivations autres qu'exclusivement partisanes.
Aucune de ces deux conditions n'est présente ici.
5. C'est ce que les développements qui suivent vont s'attacher à démontrer, mais il était d'autant plus nécessaire de souligner dès le début cette communauté d'inspiration que, pour des raisons évidentes, il va falloir analyser tour à tour la réforme du scrutin régional et celle du scrutin européen. Aussi, avant d'examiner ce qu'elles disent et qui les séparent, convenait-il de mettre l'accent sur ce qu'elles taisent et qui les réunit : la seule volonté de servir les intérêts électoraux d'une formation politique.
I - Sur le mode d'élection des conseillers régionaux
6. Par rapport au droit existant, le Titre Ier de la loi apporte, pour l'essentiel, les modifications suivantes :
1 - Allongement du mandat de cinq à six ans (article 1er) ;
2 - Création de sections départementales (article 2, 1°) ;
3 - Prime donnée à la moyenne d'âge la plus élevée, de préférence à la plus basse, en cas d'égalité (article 2, 2° et 5°) ;
4 - Relèvement de 3 à 5 % des suffrages exprimés du seuil à partir duquel une liste participe à la répartition des sièges (article 2, 3°) ;
5 - Adoption de listes composées alternativement d'un candidat de chaque sexe (article 4, 1°) ;
6 - Relèvement de 3 à 5 % des suffrages exprimés du seuil à partir duquel une liste présente au premier tour peut fusionner avec une autre (article 4, 2°) ;
7 - Relèvement de 5 % des suffrages exprimés à 10 % du nombre des électeurs inscrits du seuil à partir duquel une liste peut se maintenir au second tour (article 4, 2°).
Les autres dispositions du titre Ier se bornent à tirer les conséquences logiques ou rédactionnelles de ce qui précède, tandis qu'un article est consacré à des mesures propres à l'Assemblée de Corse.
7. Ces modifications, dont beaucoup sont regrettables aux yeux des soussignés, ne sont néanmoins pas toutes contestables en termes constitutionnels.
Il en est toutefois une, la dernière, qui ne pourra manquer d'être censurée (1), une autre, l'avant-dernière, qui pourrait également mériter de l'être (2), tandis que certains aspects du dispositif concernant la Corse apparaissent clairement contraires à la Constitution (3).
1° - Sur le seuil de maintien au second tour
8. Le relèvement de ce seuil est considérable. Si l'on tient compte des taux d'abstentions constatés, seules pourraient se maintenir des listes ayant réuni environ 15 à 20 % des suffrages exprimés, de sorte que l'exigence actuelle - 5 % des suffrages exprimés - serait ainsi multipliée par trois ou quatre. Il serait donc trois à quatre fois plus difficile pour une liste de se maintenir au second tour que dans le cadre de la législation en vigueur.
Deux conséquences en résultent mécaniquement. Premièrement, la présence au second tour sera déterminée non par les votants mais par les abstentionnistes. Deuxièmement, toutes les listes qui n'auront pas atteint ce seuil, tout en ayant dépassé celui à partir duquel la fusion est possible, n'auront d'alternative, sombre, qu'entre l'élimination pure et simple ou une fusion défavorable, celle opérée aux conditions posées par la liste susceptible de se maintenir au second tour.
9. Cette contrainte nouvelle, la plus novatrice de celles figurant dans cette partie de la loi, est contraire à la Constitution à plusieurs titres puisqu'elle viole les articles 39 de la Constitution, 4 de la Constitution et 4 de la Déclaration de 1789 en matière de liberté et de pluralisme, 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité.
a) Sur la violation de l'article 39
10. Selon le second alinéa de celui-ci, les projets de loi sont soumis pour avis au Conseil d'Etat avant leur délibération en Conseil des ministres et leur officialisation par décret du Premier ministre.
Au cas présent, le dispositif du texte sur lequel le Conseil d'Etat a émis son avis visait un pourcentage de 10 %, ce qui signifiait qu'il s'agissait de 10 % des suffrages exprimés, puisque c'est la référence qui figure actuellement dans le code électoral (et l'exposé des motifs aurait même explicitement insisté sur l'alignement par rapport aux règles applicables aux élections municipales), tandis qu'à aucun moment n'a été évoquée la perspective de l'instauration d'un seuil tout à fait nouveau, celui de 10 % du nombre des électeurs inscrits (s'il avait le moindre doute sur la matérialité de ces faits, ce qui ne semble pas pouvoir être le cas, le Conseil constitutionnel pourrait aisément le lever par la vérification appropriée auprès de son voisin).
Ce n'est qu'entre l'examen du Conseil d'Etat, achevé le 27 janvier 2003 et la réunion du conseil des ministres, intervenue le surlendemain, que le Premier ministre a décidé de changer de référence pour adopter celle des électeurs inscrits.
11. Le tollé soulevé par cette décision, ainsi que la place qu'elle a occupée dans les débats, même abrégés, du Parlement dispensent d'insister sur son importance. L'on peut, sans crainte d'être contredit, affirmer que l'établissement de ce seuil est la mesure la plus significative de cette partie de la loi, voire de la loi elle-même.
Dans ces conditions, elle ne pouvait, sauf à méconnaître tant la lettre que l'esprit du second alinéa de l'article 39, être introduite autrement que par une lettre rectificative.
12. Certes, nous n'ignorons pas que la pratique des avis du Conseil d'Etat fait peser sur le Gouvernement des contraintes plus exigeantes lorsque l'examen porte sur l'exercice du pouvoir réglementaire que lorsqu'il intéresse des avant-projets de loi.
Mais, en réalité, l'on est ici davantage en présence d'exigences plus explicites qu'en présence d'exigences moins rigoureuses.
En d'autres termes, dans l'exercice du pouvoir réglementaire, le Gouvernement n'a de choix, lorsque le Conseil d'Etat a été consulté, qu'entre suivre son avis ou préférer, en cas de divergence, son propre texte.
En matière d'avant-projets de loi, il est normal, compte tenu de l'intervention ultérieure du Parlement, seul détenteur effectif du pouvoir de décision, que le Gouvernement dispose de plus de souplesse, que l'alternative soit moins stricte et qu'il puisse choisir une troisième voie, par exemple en retenant une rédaction qui ne soit ni celle de son avant-projet initial ni celle proposée par la haute assemblée administrative.
En revanche, l'exigence constitutionnelle imposée par le second alinéa de l'article 39 serait vidée de tout sens si le Gouvernement pouvait innover sur le fond, qui plus est sur une disposition essentielle.
13. Il en va d'autant plus ainsi que l'objet même de cet avis, voulu par la Constitution, est de contribuer à éclairer l'environnement juridique des textes.
Au cas présent, le Conseil d'Etat n'avait nul motif à soulever d'objections constitutionnelles à l'égard d'un seuil de 10 % des suffrages exprimés. Mais tout autre, comme la suite l'a prouvé et comme la présente saisine le démontre, est la situation d'un seuil de 10 % des électeurs inscrits, et nul ne peut imaginer que le Conseil d'Etat l'eût approuvé en droit - à supposer qu'il l'eût fait - sans, au minimum, s'interroger sur sa conformité à la Constitution.
Dans ces conditions, le Gouvernement ne pouvait, comme il l'a fait, introduire un changement fondamental dans son texte à ce stade de la procédure. Il n'avait alors d'alternative qu'entre le recours à une lettre rectificative ou le dépôt ultérieur d'un amendement.
14. A cela on ne manquera pas d'objecter que cette démonstration fait trop de place au pur formalisme, voire qu'elle disqualifie un comportement voulu comme vertueux de la part du Gouvernement, celui consistant à assumer son choix précocement plutôt qu'à attendre le débat parlementaire pour l'imposer par amendement.
Mais de telles objections ne sauraient convaincre.
15. Premièrement, le formalisme, si formalisme il y a, n'est rien moins que celui imposé par la Constitution elle-même, dans les termes les plus clairs comme les plus explicites.
Deuxièmement, vous-mêmes avez rappelé et mis en évidence la distinction qui existe entre le pouvoir de l'article 39, qui appartient au seul Premier ministre, en Conseil d'Etat et en conseil des ministres, et celui que l'article 44, alinéa 1, attribue en matière d'amendements au Gouvernement (décision 90-285 DC, considérant 5).
Troisièmement, une même disposition obéit à des règles de procédures substantiellement différentes selon qu'elle est régie par l'article 39 ou l'article 44 puisque, dans le premier cas, la disposition appartient au texte en discussion tandis que, dans le second, il faut non seulement obtenir un vote favorable afin de l'y introduire, mais encore que ce vote intervienne dans le respect de toutes les autres exigences résultant de la Constitution ou des règlements des assemblées.
Quatrièmement, admettre que des changements importants puissent intervenir après le Conseil d'Etat et avant le conseil des ministres autoriserait le Gouvernement à bénéficier des avantages qui s'attachent à la présence d'une disposition dans le projet initial, sans s'exposer aux inconvénients qui peuvent résulter d'une appréciation critique du Conseil d'Etat. Cette facilité indue risquerait alors d'être d'autant plus tentante qu'elle porterait sur des sujets délicats, ceux-là mêmes sur lesquels l'avis est le plus indispensable.
Cinquièmement enfin, et compte tenu de ce qui précède, il n'y a aucune vertu, de la part du Gouvernement, à introduire une disposition à ce stade de la procédure plutôt qu'à l'occasion du débat : dans un cas comme dans l'autre, il lui faut bien assumer publiquement son soutien à la mesure, soit qu'il l'ait proposée lui-même, soit qu'il n'ait pas fait obstacle à son adoption, de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'aucune clarté méritoire dans un cas par opposition à l'autre, tandis que subsiste, dans le premier, la violation de l'article 39.
16. En réalité, de même que vous avez, à propos de l'application de l'article 45, apporté les précisions, et énoncé les conditions, qui prémunissent les institutions contre un exercice abusif, après réunion de la commission mixte paritaire, du droit d'amendement de l'article 44, vous serez conduits à apporter les précisions et à énoncer les conditions qui doivent prémunir contre un exercice abusif du droit d'initiative législative postérieur à l'examen du Conseil d'Etat.
Ces précisions et conditions sont celles qui résultent de la lettre et de l'esprit mêmes de l'article 39 lequel, s'il n'impose pas au Gouvernement de s'en tenir exclusivement au texte présenté par lui ou à celui proposé par le Conseil d'Etat, lui interdit d'introduire des dispositions substantiellement nouvelles ni des modifications substantielles à des dispositions existantes qui n'ont été ni soumises au Conseil d'Etat ni évoquées devant lui.
Pour n'avoir pas respecté cette évidence et avoir, en conséquence, méconnu l'article 39 de la Constitution, la disposition en cause sera censurée.
b) Sur la violation des articles 4 de la Constitution et 4 de la Déclaration de 1789
17. Rappelons, avant toute autre chose, que les élections locales, aujourd'hui, ne sont pas moins politiques que les élections nationales, au moins en ce qu'elles déterminent ensuite les élections sénatoriales qui, elles, produisent des effets directs sur la contribution à l'exercice de la souveraineté.
Vous en avez d'ailleurs déjà jugé ainsi (décision 92-308 DC, considérants 21 à 27), de sorte que l'on ne saurait pas être moins rigoureux à l'égard des élections locales que l'on se doit de l'être à l'égard des élections nationales.
C'est d'autant plus nécessaire que les conseils régionaux, au cas présent, sont appelés à exercer des missions plus importantes encore dans l'avenir, du fait de la révision de la Constitution qui doit être ratifiée dans les semaines qui viennent.
18. Selon la première phrase du premier alinéa de l'article 4 de la Constitution, "Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". En même temps qu'elle définit ainsi leur vocation, la Constitution consacre également un droit à leur profit, celui de concourir à l'expression du suffrage.
Ce droit, quoi qu'il leur soit acquis, n'est cependant pas absolu et inconditionnel.
Premièrement, les formations politiques elles-mêmes doivent respecter les exigences démocratiques énoncées par la Constitution, ainsi que toutes les dispositions législatives et réglementaires qui s'imposent à elles.
Deuxièmement, d'autres considérations, issues de la Constitution elle-même ou dérivées des objectifs qu'elle poursuit, peuvent conduire à atténuer la portée de ce droit, notamment en soumettant les partis politiques à des contraintes résultant des lois électorales et, en particulier, des modes de scrutin.
19. Toutefois, ce dernier aspect ne signifie pas que le législateur puisse imposer n'importe quel type de contrainte. En effet, en ce domaine comme en tous autres, il est tenu au respect d'un principe fondamental, premier même, celui de la liberté telle que la définit l'article 4 de la Déclaration de 1789. Ainsi, la liberté, celle des formations politiques comme, a fortiori, celle des électeurs eux-mêmes, ne peut être restreinte que si, et dans la mesure où, des impératifs d'intérêt général peuvent l'exiger ou, à tout le moins, le rendre objectivement souhaitable.
De ce fait, ce que vous-mêmes aviez affirmé à propos du découpage des circonscriptions, selon lequel ce dernier ne doit "procéder d'aucun arbitraire" (Décision 86-208 DC, considérant n° 24), va ainsi, en réalité, bien au-delà du seul problème de la délimitation des circonscriptions.
A ce double titre, ne peut manquer d'encourir la censure un dispositif qui bride tellement la liberté des électeurs et des partis qu'il aboutirait à entraver leurs choix au point d'en dénaturer le sens.
20. Pour autant, nous ne méconnaissons nullement les limites qui s'imposent à votre propre contrôle. Vous les avez énoncées dans les termes les plus clairs en affirmant que :
"la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas... manifestement inappropriées à l'objectif visé..." (décision 98-407 DC, considérant n° 4).
Aussi, à la lecture de ce considérant, une loi électorale ne peut être utilement contestée devant vous que si ses modalités sont manifestement inappropriées à l'objectif que le législateur s'est assigné.
Mais elle peut également être contestée, quoi que le considérant précité, ni aucun autre, n'ait eu l'occasion de le préciser explicitement, si, en amont, les objectifs que le législateur s'est assignés sont eux-mêmes contraires à la Constitution parce qu'imposant des restrictions graves sans pouvoir se prévaloir du moindre fondement constitutionnel qui peut seul les rendre légitimes.
Ces deux vices possibles sont ici l'un et l'autre présents en ce que, d'une part, l'objectif allégué est inconstitutionnel dans son principe même et que, d'autre part, le dispositif adopté serait rendu inconstitutionnel par ses effets.
21. S'agissant en premier lieu du principe même de l'objectif que s'est assigné le législateur, nul ne conteste plus que le mode de scrutin qui s'est appliqué à tous les scrutins régionaux qui se sont déroulés au suffrage universel produisait des effets très dommageables. C'est si vrai qu'il a été profondément modifié par la majorité précédente et que l'actuelle majorité, loin de vouloir, comme elle l'avait fait en 1986 à propos des élections législatives, effacer les changements opérés, entend au contraire en conserver l'apport majeur.
22. Cet apport, issu de la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999, consistait à introduire une prime majoritaire au profit de la liste arrivée en tête, s'inspirant en cela du système appliqué aux élections municipales et qui n'a plus à démontrer ses qualités.
Cette prime était à la fois nécessaire et suffisante pour prémunir contre les situations les plus désolantes dans lesquelles, faute d'une majorité claire, les conseils régionaux ne pouvaient fonctionner correctement, ou seulement au prix, exorbitant, d'alliances que récusent toutes les formations républicaines.
Or, sur ce plan, la loi qui vous est déférée ne change rien, ni le principe de la prime, ni son niveau, fixé à 25 % des sièges. C'est si vrai que l'article L. 338 du code électoral, qui l'a instituée, ne fait l'objet d'aucune modification.
23. De ce simple constat, il résulte que doivent être purement et simplement écartées du débat les affirmations, pourtant répétées avec constance et complaisance, selon lesquelles le propos des auteurs du texte serait de permettre "la constitution sans ambiguïtés de majorités capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques" (p. 1 de l'exposé des motifs du projet de loi), ou encore de revenir sur un texte, celui de 1999, dans lequel "l'objectif de stabilité des majorités est sacrifié au nom de contingences politiques immédiates" (sic) (Rapport de M. Jérôme Bignon, n° 605, p 11). Et M. Patrice Gélard, rapporteur devant le Sénat, est même allé jusqu'à affirmer : "L'impératif premier devant présider à la réforme des élections régionales consiste à permettre l'émergence de majorités de gestion, soudées et stables" (n° 192, p. 41) (il est à signaler que l'objectif de lutte contre l'abstention a aussi été évoqué dans le débat, il ne l'a été que très timidement et sera traité ici le moment venu, infra, 73).
L'existence d'une majorité est déjà assurée par le droit désormais applicable, issu de la loi de 1999, et, comme le nouveau texte n'y change rien, ces déclarations réitérées ne peuvent donc éviter d'être mensongères qu'à condition d'être abusives ou ambiguës.
24. Ces déclarations sont abusives lorsqu'elles affirment, comme l'a fait le rapporteur devant le Sénat (séance du 4 mars 2003), que "la prime de 25 % permet de dégager des majorités si ne demeurent en lice que deux ou trois listes au deuxième tour. Au-delà rien n'est moins sûr !"
Cette proposition est arithmétiquement inexacte. Ce qui ruinerait l'existence d'une majorité ne serait pas la présence de plus de trois listes mais le fait qu'aucune d'elles, quel que soit leur nombre, ne dépasse un tiers des suffrages exprimés au second tour.
Si, en effet, une liste dépasse le tiers des suffrages exprimés, les sièges qu'elle obtient ainsi, enrichis du quart de l'ensemble, suffisent à lui assurer une majorité.
25. Surtout, arithmétiquement inexacte, la proposition est matériellement controuvée. Il est aisé de constater, en effet, qu'en prenant les résultats des élections régionales de 1998, pourtant les plus atomisées que l'on ait connues, la conjugaison du seuil d'éligibilité à 5% et de la prime de 25 % des sièges eût suffi à assurer une majorité claire dans la totalité des régions à la seule exception de la Lorraine. Il va donc de soi que ce qui eût été acquis dans toutes les régions sauf une dans un tour unique, serait obtenu beaucoup plus facilement encore, dans toutes sans exception, avec un scrutin à deux tours.
C'est d'ailleurs si vrai que dans les annexes présentées par les deux rapports parlementaires (p. 142 du Rapport de M. Bignon et p. 177 du Rapport de M. Gélard), qui font pourtant comme si quatre listes pouvaient avoir atteint chacune plus de 10 % des électeurs inscrits au premier tour, ce qui semble fort peu plausible, ni l'une ni l'autre ne va jusqu'à imaginer qu'aucune liste n'atteindrait le tiers des suffrages exprimés.
Au demeurant, si l'objectif poursuivi était d'obtenir une majorité en tout état de cause et que les modalités actuelles de maintien au second tour n'y suffisaient pas, celles adoptées par la loi seraient encore insuffisantes à le garantir quoi qu'il arrive, et elles ne seraient donc pas appropriées à l'objectif puisque l'on pourrait imaginer bien des hypothèses arithmétiques - qui ne seraient pas moins plausibles que celles évoquées par le rapporteur devant le Sénat - dans lesquelles ce ne serait pas le cas.
26. Ces déclarations (supra, 23), si elles n'étaient ni mensongères ni abusives, seraient alors ambiguës.
L'on ne manquerait pas, en effet, d'objecter, pour tenter de les défendre en jouant sur les mots, qu'elles portent non sur l'existence de majorités, déjà garantie, mais sur les caractéristiques de ces majorités, c'est-à-dire "sans ambiguïtés", "capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques", "stables", "de gestion, soudées".
27. Ceci appelle trois observations.
La première consiste à souligner que c'est à ceux qui se présentent ensemble devant les électeurs de choisir le mode de fonctionnement majoritaire qui a leurs faveurs. Les uns peuvent le vouloir caporaliste, les autres être plus ouverts à la concertation, et c'est en connaissance de ces caractéristiques que les électeurs font leur choix démocratique.
La deuxième observation, qui découle de la première, est que si l'intérêt des électeurs est que leur soient donnés les moyens de désigner eux-mêmes une majorité stable, ce à quoi la loi de 1999 a pourvu, il n'est nullement de l'intérêt des électeurs que le mode de scrutin prétende imposer un modèle de fonctionnement majoritaire, à l'exclusion de tous les autres, ce qui aurait pour effet immédiat et premier de restreindre sensiblement l'éventail des choix de pratiques majoritaires aujourd'hui offerts au suffrage universel. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'une majorité a des pratiques autres que celles de l'UMP que, de ce seul fait, elle cesserait d'être stable ou soudée ou capable d'assumer la responsabilité de décisions publiques et que les électeurs devraient être privés de la possibilité de la désigner, en toute connaissance de cause.
La troisième observation, qui à son tour découle des deux précédentes, est que le législateur franchirait un pas de plus, sans précédent, en fondant un mode de scrutin non sur la volonté, objective et légitime, d'aboutir à l'émergence d'une majorité, mais sur le choix, subjectif, des caractéristiques qu'une telle majorité doit présenter pour obéir au goût des auteurs du texte.
28. Cette dernière remarque a une portée juridique directe. Dans votre décision sur ce qui allait devenir la loi de 1999, en effet, vous n'avez pas manqué de juger légitime l'objectif "qui est de favoriser la constitution d'une majorité dans les conseils régionaux" (décision 98-407 DC, considérant n° 4) et de juger appropriés les moyens mis en oeuvre à cette fin.
29. Au cas présent, les moyens mis en oeuvre ne peuvent être appropriés à cette fin, puisqu'elle est déjà atteinte et qu'ils lui sont étrangers.
Quant à l'autre finalité qui semble susceptible d'être poursuivie - celle consistant à favoriser des majorités présentant les caractéristiques précédemment décrites (supra, 26) - il est tout sauf assuré qu'il puisse s'agir d'un objectif légitime.
30. Celui-ci ne résulte d'aucun principe ou d'aucune règle de valeur constitutionnelle.
Même étendu par la révision constitutionnelle adoptée en termes identiques par les deux assemblées, le principe de libre administration des collectivités locales peut certes, au nom de l'effectivité, soutenir les efforts du législateur en faveur de l'émergence de majorités claires. Mais il ne peut en aucun cas aller jusqu'à permettre d'imposer un certain type de majorité de préférence à un autre.
Ainsi, c'est dans son principe même que l'objectif que s'est assigné le législateur est soit inexistant soit inconstitutionnel.
Il est inexistant s'il vise à atteindre un résultat déjà acquis par l'existence de la prime qui demeure inchangée. Il est inconstitutionnel s'il tend à limiter la liberté des électeurs et des partis à seule fin d'imposer arbitrairement un certain type déterminé de majorité, ce qu'aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle ne permet de justifier.
31. S'agissant, en second lieu, des effets que produirait le dispositif adopté, ils seraient intrinsèquement attentatoires au principe de liberté et disproportionnés avec n'importe quel objectif (a fortiori avec un objectif dont on vient de voir que lui-même ne peut se prévaloir d'aucune justification admissible).
L'effet le plus immédiat du seuil fixé à 10 % des électeurs inscrits sera le plus souvent, puisque c'est son objet même, de ne laisser subsister que deux listes au second tour, tandis que seules des situations exceptionnelles permettront d'en voir concourir davantage. Ceci alimente plusieurs séries d'observations.
32. La première observation consiste à relever cette étrangeté qui fait que le devenir des listes présentes au premier tour dépendra, comme on l'a déjà mentionné (supra, 8), non du choix des électeurs mais de celui des abstentionnistes.
Ceci est pour le moins discutable au regard de la première phrase du premier alinéa de l'article 4 de la Constitution, qui assigne aux formations politiques le soin de concourir à l'expression du suffrage et non celui d'assumer sa non-expression, que tous regrettent, dans laquelle tous ont sans doute une part de responsabilité, mais qui ne justifie nullement que certains en soient seuls pénalisés, alors surtout que d'autres en tireraient profit en nombre d'élus.
33. A cette première observation, il a été répondu à plusieurs reprises au cours des débats que ce dispositif se bornait à reprendre un seuil existant pour les élections cantonales. Mais cette objection, et c'est la seconde observation, est dénuée de toute pertinence.
La différence majeure, ici, n'est pas celle qui oppose les scrutins majoritaires par rapport aux scrutins proportionnels, mais bien les scrutins uninominaux par rapport aux scrutins de liste.
34. Il va de soi que, dans les scrutins uninominaux, le pluralisme, dans lequel vous avez vu rien moins que "le fondement de la démocratie" (décision 89-271 DC, considérant n° 12), n'est pas recherché et n'est pas susceptible d'être obtenu au niveau de la circonscription, mais à celui de l'ensemble des circonscriptions qui, par addition, formeront l'assemblée délibérante. Une formation qui a perdu ici peut gagner là, et c'est grâce à cela que l'Assemblée nationale ou les conseils généraux ont bien une composition politiquement très pluraliste.
A l'inverse, dans les scrutins de liste, l'assemblée délibérante est formée en bloc, et le pluralisme ne naît que de l'élection de candidats issus de listes différentes. Ainsi, une liste absente du second tour n'aurait aucun élu au sein du conseil régional, quel que soit le score, même significatif, qu'elle a réalisé au premier ou eût réalisé au second si elle avait pu être présente.
Dans ces conditions, toute comparaison, sur ce point, entre les scrutins cantonaux (ou législatifs) et régionaux repose sur une faille du raisonnement qui rend irrecevable un argument comme celui avancé par le ministre de l'intérieur lorsqu'il a dit à propos de ce seuil "le Gouvernement s'est référé à l'exemple des élections cantonales" (Sénat, séance du 4 mars 2003).
35. Cela acquis, et c'est la troisième observation, le seuil adopté aurait comme conséquence de porter au pluralisme une atteinte d'une gravité extrême, en excluant du conseil régional toute représentation autonome de listes dont la présence, pourtant, ne menacerait nullement l'existence d'une majorité, de sorte qu'il s'agirait d'une exclusion, si l'on ose dire, purement gratuite.
L'on a vu que l'existence d'une majorité n'est pas en cause, puisqu'elle est déjà assurée par l'institution de la prime. Dès lors, non seulement il n'existe aucune utilité à restreindre à ce point les conditions de présence au second tour, mais encore le mécanisme pourrait-il produire des effets d'exclusion encore plus radicalement contraires à la liberté et au pluralisme que ce que l'on imagine a priori.
36. Pour n'en donner qu'un exemple, lors des dernières élections régionales en Alsace, le score réalisé au tour unique par la gauche aurait eu comme effet, si le présent dispositif avait existé, de l'exclure du second tour qui, alors, se fût limité à un duel entre l'actuelle UMP et le Front national.
En soi, cette situation ne serait pas nouvelle puisque, hélas, de tels duels ont déjà existé dans des scrutins uninominaux. Mais, pour un scrutin de liste, il serait sans précédent puisqu'il aboutirait à ce que le conseil régional ne soit composé que de seuls élus issus de l'UMP et du Front national, et l'on ne saurait raisonnablement envisager que la principale liste de gauche ait pu, entre les deux tours, fusionner avec l'une ou l'autre des seules listes maintenues.
Il n'est pas indifférent de rappeler que dans les élections municipales un tel résultat est rendu impossible par le fait que la principale liste de gauche (ou, le cas échéant, de droite) est toujours présente au second tour, ce qui lui permet d'avoir des élus, même si sa force locale ne lui permet pas d'emporter la majorité, acquise en tout état de cause à l'une des deux autres listes.
L'on se doit d'ajouter, parce que l'expérience récente en France et en Europe démontre que le plus inattendu, comme le plus inquiétant, peut se produire à tout moment, qu'il pourrait parfaitement arriver, dans une région, un jour, que seules deux listes populistes ou extrémistes franchissent, au hasard de circonstances particulières, le seuil de présence au second tour. Dans cette situation, aucun sursaut ne serait possible aux électeurs eux-mêmes, qui n'auraient alors de choix, et pour six ans, qu'entre les deux faces de la même catastrophe.
37. La quatrième observation tend à rappeler que le mode de scrutin en vigueur pour les élections municipales et celui résultant de la loi de 1999 pour les élections régionales, confirmé sur ce point par la loi déférée, s'analyse, techniquement, non comme un scrutin réellement proportionnel, mais comme un scrutin majoritaire garantissant la représentation des minorités.
Or, le dispositif adopté le transformerait, profondément, en un scrutin majoritaire garantissant la représentation d'une seule minorité, puisque toutes les autres seraient purement et simplement exclues de toute présence dans des assemblées comptant pourtant plusieurs dizaines de membres (de 43 à 209 en métropole).
38. L'on ne saurait ensuite, c'est la cinquième observation, passer sous silence les effets politiques du mécanisme proposé.
Il permettrait en effet aux listes sélectionnées pour le second tour d'imposer des conditions drastiques à quiconque serait prêt à fusionner avec elles, puisque ceux-ci n'auraient de choix qu'entre accepter ces conditions ou disparaître complètement, lors même qu'ils auraient pu réunir un pourcentage important des suffrages exprimés.
Il peut même se produire qu'un faible écart suffise - essentiellement dû, rappelons-le, aux abstentionnistes - à ce que l'une se qualifie et l'autre non, la seconde étant alors intégralement assujettie à la volonté de la première.
39. Certes, l'on ne manquera pas de dire que la liste sélectionnée a tout intérêt à se renforcer en vue du second tour, ne serait-ce que pour accroître ses chances d'y terminer en tête et de bénéficier de la prime, de sorte qu'il lui faudra, à cette fin, ne pas maltraiter ses partenaires potentiels.
Mais cette vision lénifiante est démentie par la réalité, car il a déjà été maintes fois établi (v., par exemple, Colette Ysmal, "Triangulaires", Dictionnaire du vote, PUF, 2001, p. 905) que des formations politiques ne conservent d'influence sur leurs électeurs que lorsqu'elles sont elles-mêmes présentes au second tour, tandis que cette influence s'évanouit avec leur disparition, de sorte que, au cas présent, une liste aurait plus à gagner à l'élimination d'un concurrent proche d'elle qu'à la fusion avec celui-ci. A plus forte raison en va-t-il ainsi lorsque le concurrent est moins proche.
40. Mérite encore d'être rappelée l'incidente qui figurait dans le considérant n° 12 de votre décision 89-237 précitée, où vous preniez soin d'indiquer, à propos du mécanisme d'aide retenu en matière financière qu'il ne devait "aboutir ni à établir un lien de dépendance d'un parti politique vis-à-vis de l'Etat, ni à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions".
Que dire, alors, d'un seuil arbitrairement élevé qui aboutit à créer, puisque c'est son objet même, un lien de dépendance artificiel de partis politiques vis-à-vis d'autres partis politiques et, ce faisant, à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions ?
41. Enfin, c'est la sixième et dernière observation sur cet aspect, vous-mêmes, en plusieurs circonstances et en particulier dans la décision précitée du 11 janvier 1990, avez censuré des seuils non à raison de leur existence même et des ruptures d'égalité qu'ils occasionnent inévitablement, mais à raison de la disproportion entre la finalité du seuil et ses effets.
Si, en matière de financement, un seuil de 5 % des suffrages exprimés a été jugé de nature à "entraver l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions" (considérant n° 14), à plus forte raison, en matière d'élections, un seuil de 10 % des électeurs inscrits doit-il être jugé de nature à entraver l'expression et, plus encore, la représentation, de courants d'idées et d'opinion qui ont déjà démontré leur importance et leur implantation.
Les modalités retenues par la loi déférée les dissuadant de se présenter sous leurs propres couleurs et, en tous cas, les obligeant, puisque c'est leur objet même, à fusionner avec un grand parti au second tour, les partis ainsi dissuadés ou empêchés de présenter leur propre liste, alors pourtant que leur maintien ne menacerait pas l'existence d'une majorité, ne pourraient pas réellement et efficacement "concourir à l'expression du suffrage" ni "exercer leur activité librement".
Ces contraintes ne se borneraient pas à entraver les partis et à réduire leurs droits. Elles restreindraient aussi les droits des électeurs, qui, sauf à s'abstenir, ce qui ne serait certes pas un progrès, seraient contraints, inutilement, à des choix réducteurs, au lieu de disposer de la pluralité des listes, et donc des programmes, présentées par celles-ci.
Ce seuil doit alors, pour reprendre vos propres termes, "être déclaré contraire aux dispositions combinées des articles (1er) et 4 de la Constitution" (ibid.).
42. A tous ces titres, il apparaît clairement que le seuil retenu produirait des effets manifestement disproportionnés avec l'objectif poursuivi.
La finalité nécessaire et légitime consiste à doter les conseils régionaux d'une majorité claire et, partant, à la fois apte à diriger la région et effectivement responsable de sa gestion devant les électeurs.
Le législateur est toujours fondé à rechercher cet objectif, mais il doit le faire en respectant le plus possible la liberté des électeurs et des formations politiques.
S'il estimait insuffisant le dispositif résultant de la loi de 1999, il pouvait, à son choix, augmenter l'importance de la prime, voire relever raisonnablement le seuil de présence au second tour.
Mais il ne pouvait, même en baptisant bipolarisation ce qui serait en réalité une sorte de bipartisme contraint, tordre l'ensemble du système politique, exclure des conseils régionaux des partis et des électeurs qui devraient y être représentés sans nuire à l'existence d'une majorité, et prétendre ramener le choix du second tour à deux termes seulement, non par l'effet naturel des préférences exprimées par les citoyens mais par l'imposition autoritaire d'un mécanisme abusif d'exclusion, qui commanderait que seules deux formations politiques détiennent la quasi-intégralité des sièges de conseillers régionaux.
43. Dès lors, parce qu'il porte une atteinte d'une extrême gravité à la liberté et au pluralisme, tant par l'inconsistance, dans leur principe même, des objectifs prétendument poursuivis, que par le caractère manifestement disproportionné des effets qui en résulteraient, le seuil fixé à 10 % du nombre des électeurs inscrits ne pourra qu'être censuré pour cette deuxième raison.
c) Sur la violation des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité
44. Que, dans la logique d'un scrutin majoritaire uninominal, il faille se coaliser pour espérer emporter un siège, c'est efficace sans être malsain. Que cette exigence conduise à ce que le vainqueur, même par 50,01 % des suffrages, obtienne 100 % de la représentation de la circonscription, tandis que celui qui aura plafonné à 49,99 % sera exclu de toute représentation n'a rien non plus qui puisse choquer puisque la formation qui aura perdu de justesse ici pourra gagner de justesse ailleurs.
Que, du fait de ces logiques, il puisse exister une distorsion importante entre le pourcentage des voix obtenues dans un premier tour et celui des sièges conquis au second est alors naturel puisque consubstantiel à un mode de scrutin choisi pour son efficacité.
En revanche, n'est pas acceptable le fait qu'une distorsion presque aussi importante puisse exister dans un scrutin que caractérise sa vocation à assurer la représentation des minorités au sein de l'assemblée délibérante où, par ailleurs, est garantie l'existence d'une majorité.
Dans le premier cas, le résultat est conforme à la philosophie même du mode de scrutin, au point qu'il est non pertinent d'y voir une quelconque rupture d'égalité. Dans le second cas, le résultat est opposé à la philosophie même du mode de scrutin, de sorte que doit être sanctionnée toute rupture d'égalité qui y apparaît sans être justifiée par une considération d'intérêt général qui pourrait la légitimer.
A cette lumière, le seuil de 10 % du nombre des électeurs inscrits, institué au a) du 2° de l'article 4 de la loi est, pour plusieurs motifs, contraire au principe d'égalité.
45. En premier lieu, si l'institution de la prime n'a rien qui soit contraire à la Constitution comme vous-mêmes l'avez explicitement jugé, s'il en va de même de l'existence d'un seuil à atteindre au premier tour pour avoir le droit de concourir au second, tout autre est la situation dans laquelle la prime coexiste avec un seuil abusivement élevé.
A cet égard, il n'est pas indifférent de souligner que, lors des dernières élections municipales dans les villes de plus de 100 000 habitants, seules deux d'entre elles (Grenoble et Reims) ont vu trois listes réunir plus de 10 % des électeurs inscrits au premier tour, toutes les autres n'en connaissant qu'une ou deux. De la même manière, lors du tour unique des dernières élections régionales, en 1998, seules quatre régions ont vu trois listes franchir la barre des 10 % d'électeurs inscrits (Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, PACA), alors que deux seulement atteignaient ce pourcentage dans toutes les autres.
Il ressort donc tant de l'arithmétique politique que de l'intention affichée par les auteurs du texte chaque fois qu'ils ont insisté, en parlant de bipolarisation, sur leur souhait de voir limité à deux le nombre des listes présentes au second tour, que ce serait, de très loin, le cas le plus fréquent.
Mais alors, lorsque seules deux listes restent en compétition, et que l'une obtiendra forcément la majorité des suffrages exprimés, donc celle des sièges attribués à la représentation proportionnelle, la prime perd à la fois toute utilité et, du même coup, toute légitimité.
46. Puisque le suffrage universel est toujours égal, il est inadmissible que, dans un duel devant déboucher sur une attribution de sièges proportionnellement aux suffrages recueillis par chaque liste, les électeurs et les formations de l'une des deux, celle arrivée en tête, obtiennent un quart d'élus en plus, alors qu'ils détiennent déjà la majorité. Il ne s'agit plus alors d'un mécanisme pour assurer une majorité, mais d'une pure et simple libéralité offerte au vainqueur et que rien ne peut justifier.
En d'autres termes, dès lors que le relèvement du seuil vise explicitement à ce que seules subsistent deux listes au second tour, le législateur aurait dû, pour respecter le principe d'égalité, ne prévoir la prime que pour les seuls cas dans lesquels, malgré ses efforts, plus de deux listes sont présentes au tour décisif (qu'il s'agisse alors du premier ou du second tour).
En conséquence, il vous faudra déclarer ce nouveau seuil contraire au principe d'égalité, sauf à ce que vous préfériez constater que c'est la prime elle-même qui y est devenue contraire, à l'occasion de la nouvelle loi qui en modifie la portée, faute d'avoir été limitée aux seuls cas dans lesquels plus de deux listes seraient en compétition.
47. En deuxième lieu, le principe d'égalité entre les électeurs est rompu à nouveau en ceci qu'ils pourront être privés, ou non, de toute représentation pour des causes qui leur seraient totalement étrangères.
Ainsi, dans deux régions différentes, une liste représentant la même formation peut avoir réalisé exactement le même score (voire le même nombre de voix), par exemple 16 % des suffrages exprimés. Dans une région, parce qu'il y aura eu 35 % d'abstention, la liste aura atteint 10 % des électeurs inscrits et pourra se maintenir au second tour, cependant que, dans la région voisine, et seulement parce qu'il y aura eu 40 % d'abstention, la liste sera exclue du second tour.
Dès lors, si aucune fusion n'est politiquement possible, la seconde liste sera exclue non seulement du second tour mais, surtout, exclue du conseil régional, qui plus est pour six ans.
48. Certes, il s'agit là d'un effet qui est inséparable de toute logique de seuil et il pourrait se produire de manière équivalente avec n'importe quel seuil, y compris celui aujourd'hui en vigueur.
Mais il est tout aussi indiscutable que tant la plausibilité que la gravité de la rupture d'égalité s'élèvent au fur et à mesure que s'élèvent les seuils eux-mêmes.
Dès lors, sachant que le nouveau seuil, situé à un niveau exceptionnellement élevé, ne correspond à aucune nécessité tangible, bien au contraire, sa fixation à 10 % des électeurs inscrits procède ici d'une simple volonté partisane, qui se traduit par une erreur manifeste dans l'appréciation de ce que peut autoriser le respect du principe d'égalité.
49. En troisième lieu, une liste ayant recueilli 5,1 % des exprimés, parce que pouvant alors fusionner avec une autre, aurait grâce à cela des élus au conseil régional, tandis qu'une autre, qui aurait recueilli presque quatre fois plus de suffrages (par exemple 19,8 %, alors que l'abstention s'est élevée à 50 %), n'aurait aucun élu, faute d'avoir pu ni se maintenir ni fusionner.
Celle-ci serait alors exclue de toute représentation non à raison du choix des électeurs, non afin de préserver l'émergence d'une majorité, acquise par ailleurs, mais seulement parce qu'elle ne serait politiquement compatible avec aucune des deux listes maintenues.
La rupture d'égalité, dont seraient ensemble victimes ses électeurs et ses candidats, serait alors aussi violente qu'insusceptible d'être justifiée par l'objet de la loi.
50. Ainsi, contraire tant à l'article 39 de la Constitution par sa procédure d'insertion dans le texte, qu'aux principes de liberté et d'égalité tels qu'ils résultent de la Constitution et de la Déclaration de 1789, le seuil de 10 % du nombre des électeurs inscrits qu'une liste doit atteindre au premier tour pour avoir le droit de concourir au second sera immanquablement annulé.
51. Cette censure ne compromet pas l'ensemble de la loi, ni même du titre.
Théoriquement, elle pourrait porter soit sur les mots "10 % du nombre des électeurs inscrits", soit seulement sur les mots "du nombre des électeurs inscrits". Dans le premier cas, le seuil résultant de votre décision serait le seuil actuel ("5 % du total des suffrages exprimés"), dans le second, il se trouverait situé à 10 % des suffrages exprimés, ce qui non seulement est plus conforme aux volontés du législateur, mais encore reprendrait le texte du véritable projet, c'est-à-dire tel qu'il avait été soumis au Conseil d'Etat.
Mais surtout le Parlement, dans l'un et l'autre cas, disposera de tout le temps nécessaire pour définir et adopter rapidement un nouveau seuil qui, cette fois-ci, soit conforme à la Constitution.
2° - Sur le seuil autorisant une liste à fusionner avec une autre
52. La loi déférée le porte de 3 % à 5 % des suffrages exprimés. Il vise à exclure de toute représentation au sein du conseil régional les listes qui auront obtenu entre 3 et 5 % des suffrages exprimés.
S'il est vrai que le Parlement dispose d'un pouvoir d'appréciation et de décision large, il est également vrai, de nouveau, qu'il ne peut en user que dans le respect des règles constitutionnelles au nombre desquelles la liberté figure en place éminente.
Or l'atteinte ainsi portée à la liberté des listes souhaitant fusionner, et de leurs électeurs, ne peut, ici non plus, se réclamer d'aucune nécessité objective.
Sans qu'il soit besoin ni, partant, souhaitable, de refaire la démonstration précédente (supra, 24 et suiv.), l'unique motif qui préside au relèvement de ce seuil n'est nullement l'émergence d'une majorité, puisqu'il est sans effet sur ce point, mais seulement la formation d'une majorité fonctionnant sur le modèle monolithique qui a les faveurs de l'actuel gouvernement.
53. Au-delà de cette motivation, pour le moins discutable et fragile, c'est à chacune des listes présentes au second tour de se donner la configuration politique de son choix. Si elle souhaite intégrer quelques candidats issus de listes ayant réuni entre 3 et 5 % des suffrages exprimés, cela ne concerne qu'elle, les listes concernées, et les électeurs de l'une et des autres.
L'existence de la majorité est assurée par ailleurs, quant à sa solidité, il n'y a aucun motif objectif qui permette de penser (au contraire) que les partenaires issus d'une liste ayant recueilli entre 3 et 5 % des suffrages seraient moins solidaires que ceux ayant obtenu plus de 5 %.
Enfin, quand surgiraient des problèmes de division, d'une part, le Président de la région a reçu de la loi les moyens d'y faire face, d'autre part, ces divisions éventuelles recevraient s'il y a lieu la seule sanction légitime, celle infligée par les électeurs eux-mêmes lors du scrutin suivant.
54. Pour ces raisons, et sans qu'il y ait lieu à prolonger inutilement l'argumentation, sur laquelle les soussignés se permettent de renvoyer aux développements qui précèdent, ce seuil aussi méritera d'être déclaré contraire à la Constitution.
3° - Sur les dispositions particulières relatives à la Corse
55. Le gouvernement, suivi en cela par sa majorité, a fait le choix de maintenir, pour l'Assemblée de Corse, le mode de scrutin actuel. Quelque opinion que ce choix puisse susciter, il n'est pas en lui-même discutable en termes constitutionnels.
En revanche, il est un aspect qui rendra pourtant sa censure inéluctable, et c'est naturellement l'omission concernant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
56. L'on sait que la législation en vigueur est antérieure à l'insertion, dans la Constitution, du principe aujourd'hui proclamé par le cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution.
Malgré cela, la loi de 1999 avait anticipé. Celle qui vous est déférée pousse ce principe à son aboutissement logique en ce qui concerne les régions.
Dès lors, ne pas faire de même pour la Corse est à la fois contraire au cinquième alinéa de l'article 3 et au principe d'égalité puisque les femmes, en Corse, bénéficieraient de capacités d'accès aux mandats électoraux moindres que celles légitimement aménagées pour la totalité des autres femmes vivant dans les régions françaises.
57. Aucune considération, ni de droit ni même d'opportunité ne peut, sauf à résonner comme une insulte aux femmes désireuses de briguer un mandat en Corse, justifier une telle violation simultanée du plus ancien et du plus récent de nos principes constitutionnels.
De nouveau, il pourra être aisément et rapidement remédié à cette censure inévitable, ce qui rend d'autant plus certain qu'elle sera prononcée.
II - Sur le mode de scrutin applicable aux élections européennes
58. Le principe de la réforme consiste à effacer l'actuelle circonscription unique au profit de huit grandes circonscriptions que l'on a appelées "super-régionales".
Deux objectifs sont théoriquement poursuivis : d'une part, rapprocher l'électeur et l'élu, d'autre part, représenter notre pays dans sa diversité géographique.
Cette dualité n'est que théorique car le second de ces objectifs est en réalité peu présent, et il convient donc de commencer par l'écarter.
59. Dès l'exposé des motifs de la loi (p. 6), le Gouvernement lui-même tempère fortement l'importance de cette considération en écrivant :
"Certes, les responsables de la constitution des listes ont soin, ne serait-ce que dans le souci de rassembler le maximum de voix des courants d'opinion qui leur sont favorables, de faire figurer sur les listes soumises aux suffrages des électeurs des candidats originaires de zones aussi diverses que possible".
Ainsi, les auteurs du texte montrent eux-mêmes que le problème qu'ils posent se règle de lui-même, du moins pour l'essentiel (car ils évoquent ensuite à juste titre le fait que cette diversité peut néanmoins ne pas toujours se retrouver parmi les élus).
60. Au-delà de cette première considération, l'on est en droit de s'interroger sur la pertinence même de l'objectif. L'on ne voit pas bien, en effet, à quel titre les élections européennes devraient refléter la diversité géographique de notre pays plus qu'elles ne le font naturellement par la composition des listes actuelles.
Il existe à cette fin, et il arrive même que certains le regrettent, un Comité des régions institué par le traité d'Union européenne, qui a justement vocation à représenter la diversité géographique de chacun des Etats membres. En outre, nul n'ignore la place qu'occupent les politiques régionales dans les préoccupations et le budget européens.
Dès lors, et sans même parler des conditions mises en oeuvre pour atteindre ce pseudo-objectif, son existence même ne saurait être fondée sur aucune considération issue ni du droit constitutionnel ni du droit communautaire, pas plus que sur une nécessité de fait dont la réalité serait attestée.
Pour le dire autrement, la représentation de la diversité géographique à l'occasion des élections européennes, au-delà de ce qui se fait déjà spontanément, n'est pas à ce point impérative qu'elle puisse rendre légitimes des entraves significatives à la liberté et à la sincérité du scrutin.
61. Dès lors, ne subsiste en réalité, parmi les deux motivations avancées par le Gouvernement et constamment reprises dans les débats, que la première d'entre elles, le souci de rapprocher l'électeur de l'élu.
Mais celle-ci, à son tour, appelle quelques remarques liminaires.
62. La première de ces remarques consiste à relever que cette proximité, si elle peut être bienvenue, n'est nullement une exigence de caractère constitutionnel.
Vous-mêmes avez reconnu, ce que personne ne conteste, l'utilité qui peut s'attacher à "assurer un lien étroit entre l'élu d'une circonscription et les électeurs" (décision 86-208 DC, considérant n° 22), mais vous ne l'avez fait que pour préciser aussitôt que ce souci ne pouvait être pris en compte, au détriment du principe d'égalité, que pour des aménagements marginaux.
63. La deuxième remarque tend à observer que la taille des "super-régions" rend illusoire toute idée de lien réel entre les candidats, donc les élus, et les électeurs (rappelons que, en métropole, les circonscriptions iront de plus de 4 millions à plus de 10 millions d'habitants).
Non seulement la distance restera considérable entre les uns et les autres, non seulement les premiers pourront venir d'une région autre que celle de la plus grande majorité des seconds et être parfaitement inconnus de ces derniers, mais encore y a-t-il lieu de relever qu'il n'existe aucun organe de communication, ni écrit ni audiovisuel, dont le périmètre corresponde à celui des "super-régions", de sorte que l'espérance même de campagnes localisées est matériellement illusoire.
A cela, on peut encore ajouter que, autant les électeurs peuvent se reconnaître sans difficulté dans une circonscription unique nationale ou, à l'inverse, dans des circonscriptions de communes, de cantons ou d'arrondissements, autant l'on peine à concevoir que puissent avoir un sentiment d'appartenance commune et distinctive l'électeur de Bonifacio ou de Menton avec celui Bourg en Bresse, l'électeur de Perpignan avec celui de Bordeaux, l'électeur d'Avranches avec celui de Laon, pour s'en tenir à ces quelques exemples.
64. La troisième remarque vise à souligner les contradictions du discours gouvernemental. Dans le même exposé des motifs, traitant des circonscriptions régionales actuelles pour l'élection des conseillers régionaux, le Gouvernement lui reproche de "supprimer l'ancrage territorial des élus régionaux et de distendre le lien entre les élus et les citoyens" (p. 4), puis, en venant aux circonscriptions européennes, il mentionne "l'ancrage territorial des élus et (...) leur rapprochement avec les citoyens" (p. 7).
Ainsi, dans un cas, la dimension régionale est jugée trop vaste pour permettre un ancrage territorial et simultanément, dans l'autre cas, la dimension "super-régionale", beaucoup plus vaste encore, est présentée comme assurant un tel ancrage. Comprenne qui pourra.
De fait, parler de proximité à propos de circonscriptions hétérogènes comptant plusieurs millions d'habitants, dont chaque élu sera supposé représenter près de 800 000 d'entre eux, est tout simplement une plaisanterie, que l'on ne peut pas même juger aimable.
65. La quatrième et dernière remarque préliminaire est pour observer que le Gouvernement a profité de l'engagement de sa responsabilité pour supprimer les articles 13 et 14 du projet initial. De fait, ceux-ci, qui prétendaient opérer une répartition régionale des sièges dans chaque "super-région", étaient à ce point amphigouriques qu'ils n'eussent certainement pas satisfait aux exigences d'intelligibilité de la loi, et le Gouvernement a fini, même tardivement, par en prendre conscience.
Au moins ces articles tentaient-ils, toutefois, de donner un peu de substance, certes légère, à l'objectif affiché de rapprochement entre élus et électeurs. Leur suppression aboutit ainsi à ce que cet objectif, comme il vient d'être établi, n'est plus du tout susceptible d'être atteint.
En d'autres termes, l'on est passé d'un texte totalement inintelligible, mais partiellement efficace au regard de l'objectif invoqué, à un texte partiellement intelligible, mais totalement inefficace au regard de l'objectif invoqué. L'on ne sait ce qui, constitutionnellement, est le pis.
66. Toujours est-il que, à la lumière des remarques qui précèdent, le dispositif adopté est lui aussi contraire à la Constitution parce qu'attentatoire tant au principe de parité qu'au principe de liberté et au principe d'égalité.
Les normes de référence ici concernées étant les mêmes que celles déjà mises à l'épreuve par le mode de scrutin régional, l'on se permettra donc de ne pas rappeler ce qui a déjà été écrit à propos de la liberté (supra, 17 à 19) et de l'égalité (supra, 44).
Toutefois, le Conseil constitutionnel n'aura peut-être pas même besoin d'examiner les moyens fondés sur ces principes, puisqu'il en est un, premier dans l'ordre logique, qui suffit à entraîner la censure de l'ensemble du titre II de la loi.
a) En ce qui concerne la violation du principe d'universalité
67. Le découpage adopté par le législateur a pour premier effet de priver du droit de vote les citoyens français résidant hors des frontières de l'Union européenne.
Ceux-ci ont participé à ce scrutin, depuis sa création, soit en votant auprès des consulats, soit, plus rarement, en demeurant inscrits sur la liste où ils étaient inscrits lorsqu'ils résidaient encore en France. Dans le second cas, ils ne seront pas spécialement affectés par la réforme.
Dans le premier, en revanche, sont concernés (selon les données obtenues auprès de la Maison des Français de l'étranger) 245 074 électeurs (pour la dernière élection présidentielle) inscrits auprès des consulats extérieurs aux frontières de l'Union, qui, quoi que vivant souvent depuis longtemps à l'étranger, ne se sentent pas moins, voire au contraire, citoyens français et citoyens européens. La loi déférée priverait purement et simplement beaucoup d'entre eux du droit de vote aux élections européennes.
Nombreux sont ceux, en effet, qui ne relèvent d'aucune des catégories de l'article L. 12 du code électoral (il suffit de songer aux Français nés et résidant dans des pays - par exemple les anciennes colonies ou encore la Suisse - où leurs propres parents avaient eux-mêmes passé leur vie), sans pour autant cesser d'être citoyens.
Il eût été aisé de prévoir, au moins pour ces cas, la possibilité d'un mécanisme de rattachement, résultant, dans des conditions objectives, du décret prévu à l'article 15 de la loi déférée. Mais le législateur ne pouvait s'en tenir à l'abrogation pure et simple, qui résulte de l'article 28 de la loi qui vous est soumise, de l'article 23 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 19977.
68. Quelle que soit la conception du peuple qu'il s'agit de représenter au Parlement européen, soit peuple de France, soit fraction française du peuple de l'Europe et citoyens européens résidant en France, nos concitoyens établis à l'étranger y appartiennent tous, sans exception.
Tous, sans exception, sont membres de plein droit de l'universalité du collège électoral et nul ne peut les en exclure, à aucun titre.
Dès lors, tout mode de scrutin qui prive certains d'entre eux, quel que soit leur nombre, non seulement de toute représentation mais, plus inacceptable encore, de tout suffrage porte atteinte au plus sacré de nos principes démocratiques, celui selon lequel le suffrage est universel, comme l'énonce solennellement l'article 3 de la Constitution.
Au demeurant, le Gouvernement lui-même en a pris conscience qui, devant le Sénat, a pris l'engagement de traiter ce "problème délicat" (séance du 11 mars 2003) par une loi à venir. Mais cet engagement souligne l'inconstitutionnalité bien plus qu'il ne l'efface : c'est par la loi déférée qu'elle est créée aujourd'hui, c'est dans la loi déférée qu'elle doit être aujourd'hui sanctionnée. Ceci, de surcroît, obligera le Gouvernement à matérialiser les intentions qu'il a affichées et, ainsi, le secondera dans ses efforts qui seraient louables s'ils n'étaient si tardifs.
Dans ces conditions, la censure immanquable de l'article 28 de la loi déférée ne saurait suffire, puisqu'elle rétablirait certes le droit de vote des citoyens concernés, mais ne les autoriserait pas à l'exercer, faute qu'aient été prises les dispositions permettant de les rattacher à l'une ou l'autre des huit circonscriptions.
C'est ainsi l'ensemble du titre II de la loi qui se trouve affecté, et c'est donc l'ensemble de ce titre qui doit être déclaré contraire à la Constitution pour ce premier motif.
b) Sur la violation du principe de parité
69. Du seul fait que l'actuelle circonscription unique nationale serait divisée en huit, le nombre d'élus obtenus par chaque liste en présence sera considérablement réduit.
En conséquence, nombreuses seront celles qui n'obtiendront qu'un seul siège ou, si elles font mieux, un nombre impair de sièges. Il en résultera nécessairement un déséquilibre important entre hommes et femmes, en termes d'élus, alors que l'article 7 de la loi n° 2000.295 du 6 juin 2000, modifiant le premier alinéa de l'article 9 de la loi précitée de 1977, a déjà établi le système selon lequel "chaque liste est composé alternativement d'un candidat de chaque sexe".
De ce fait, l'écart de parité maximum est aujourd'hui de un pour chaque liste obtenant des élus (et seulement s'il y a un nombre impair d'élus, par exemple, trois hommes et deux femmes, si la tête de liste est occupée par un homme). Lorsqu'il n'y a de listes que nationales, seules, à l'expérience, moins d'une dizaine de listes obtiennent des élus(e)s, de sorte que l'écart de parité total porte sur moins d'une dizaine des sièges.
Au contraire, avec huit circonscriptions, l'on peut aisément imaginer qu'environ une vingtaine de listes pourront obtenir des élu(e)s (les deux listes principales en obtenant dans chacune des circonscriptions et quelques listes moyennes parvenant à en obtenir un ici ou là). En conséquence, l'écart de parité actuel pourra être, ipso facto, multiplié par deux, voire davantage.
70. Cette démonstration, difficilement réfutable, suffit à établir que loin qu'elle "favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs", comme l'exige pourtant de manière formelle le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution, la loi régresse brutalement par rapport au droit existant.
Si le pouvoir constituant a pris la peine d'opérer cette révision, par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, c'est justement pour que le législateur ordinaire, non seulement améliore la situation chaque fois que pertinent mais, surtout, ne fasse rien qui puisse la dégrader.
Peu importe alors que cette dégradation ne soit pas l'objet poursuivi par les auteurs du texte. Il suffit que ce soit l'effet de sa décision pour que cette dernière soit contraire à la Constitution.
L'on pourra répondre que cela signifierait l'impossibilité totale de découper des circonscriptions pour les élections européennes, à quoi l'on répliquera que c'est effectivement le plus probable, pour cause de parité principalement mais pas seulement (infra, 79), et que si d'aucuns peuvent le regretter, ils ne peuvent plus l'ignorer : la révision constitutionnelle de 1999 oblige, y compris parfois à renoncer à des mesures dont on n'avait pas jusqu'alors perçu l'inconstitutionnalité nouvelle.
C'est donc l'ensemble du titre II que s'en trouve affecté et sera déclaré contraire à l'article 3 de la Constitution.
c) Sur la violation des principes de liberté et de pluralisme
71. C'est de la liberté des électeurs eux-mêmes qu'il s'agit ici au premier chef.
En 2004, la France élira 78 membres du Parlement européen. Deux d'entre eux le seront dans la circonscription d'outre-mer. Les autres circonscriptions auront entre 6 (Massif central-Centre) et 14 (Ile-de-France) élus.
Ainsi, même à s'en tenir à la métropole, où le seuil d'éligibilité est aujourd'hui de 5 %, il s'élèvera, au minimum, à 7,1 % dans la plus grande circonscription (100 : 14) et à 16,6 % dans la moins vaste (100 : 6).
De ce seul fait, certaines listes aujourd'hui représentées au Parlement en seront désormais exclues, tandis que d'autres verront leurs effectifs actuels notablement amputés lors même, dans l'un et l'autre cas, qu'ils feraient en 2004 les mêmes scores qu'en 1999, et ce indépendamment de l'abaissement de 87 à 78 du nombre des élus français.
72. Face à cette situation, les électeurs, qui sont les destinataires premiers d'un mode de scrutin et doivent en comprendre la logique, n'auront de choix, pour un nombre très important d'entre eux, qu'entre voter selon leurs convictions, au risque de perdre toute chance d'être représentés, ou choisir d'être représentés mais à condition de voter pour une liste autre que celle qui aurait leur préférence.
Tous, parce qu'ils ont une expérience démocratique élevée, connaissent la notion de vote utile, de sorte que tous, lorsque leur préférence ne les porte pas naturellement vers l'une des grandes listes en présence, seront confrontés à ce dilemme.
73. Ainsi, c'est un véritable marché de dupe qui leur serait imposé, puisqu'il leur faudrait sacrifier la proximité politique réelle sur l'autel d'une proximité géographique irréelle, troquer leurs convictions politiques contre un pseudo-avantage territorial.
Présenter ainsi - et cette présentation est indiscutable - les termes de l'échange que la loi prétend opérer autoritairement, c'est sinon le disqualifier - pas encore - du moins établir qu'il est intrinsèquement attentatoire à la liberté des électeurs, et qu'il est d'ailleurs fait avant tout pour cela, tant il est clair que les arrière-pensées partisanes l'inspirent seules.
Mais cette atteinte objective à la liberté démocratique des électeurs, ainsi qu'à celle des partis qui les représentent, et donc au pluralisme, pourrait, on le sait, être admise, à défaut d'être approuvée, si elle pouvait se réclamer d'une justification d'intérêt général.
Il n'en est rien.
74. Dans le débat, plusieurs arguments ont été avancés, en plus de celui de la proximité géographique dont on a déjà mesuré l'inconsistance. Sont ainsi apparus tour à tour le rôle croissant du Parlement européen, l'anonymat des élus français (qui apprécieront), l'ampleur de l'abstention.
Reprenons-les dans l'ordre inverse.
75. L'ampleur de l'abstention est à la fois spectaculaire et préoccupante. Toutefois, l'on voit mal comment il serait possible de lutter efficacement contre elle en adoptant un mode de scrutin décourageant pour les soutiens des petites et moyennes listes sans être en rien mobilisateur pour ceux des grandes.
L'abstention, et les soussignés ne l'écrivent qu'à regret, doit tout au système politique et rien au mode de scrutin, comme le prouvent ses progrès hélas continus dans des élections qui toutes, pourtant, obéissent aux règles et aux mécanismes les plus divers.
Le phénomène n'est nullement propre aux élections européennes, même si c'est à cette occasion qu'il est le plus visible, ce qui suffit à exclure qu'il puisse être dû au(x) mode(s) de scrutin. De plus, on l'aura compris, ceci vaut, en tant que de besoin, pour le mode de scrutin régional aussi (supra, 23).
76. L'anonymat des élus français est doublement relatif.
Il l'est une première fois en ceci que figurent sur les listes nationales actuelles des dirigeants importants, souvent très connus à l'échelle nationale ou, à défaut, locale, de sorte que l'on voit mal comment la ventilation entre huit méga-circonscriptions ferait surgir des personnalités moins "anonymes".
Il l'est une seconde fois en ceci que, dans les scrutins de liste existants, même au niveau municipal, a fortiori au niveau départemental ou régional, les électeurs connaissent, souvent, la tête de liste, parfois, mais déjà beaucoup plus rarement, quelques uns des colistiers, et jamais l'ensemble des candidats, fût-ce simplement de nom. Et encore cette observation vaut-elle pour des niveaux géographiques effectivement anciens et assez proches. A plus forte raison vaudrait-elle pour un échelon qui ne correspondrait à aucune pratique ou tradition et demeurerait extrêmement éloigné.
A ce double titre, nul ne peut sérieusement être convaincu par l'argument du gain de notoriété des candidats, donc des élus, que provoquerait le découpage adopté.
77. Le troisième argument, celui tiré de l'accroissement du rôle du Parlement européen, est le seul qui, dans un premier temps, pourrait être convaincant.
En effet, ce qui est souhaitable dans une assemblée délibérative nationale - l'existence d'une majorité, la lutte contre l'atomisation de la représentation, etc. - ne cesse pas de l'être au niveau européen.
A cette évidence peuvent s'ajouter encore deux considérations. Premièrement, il est de l'intérêt de la France de pouvoir peser dans l'enceinte européenne et, à cette fin, d'avoir une présence forte dans les divers groupes parlementaires qui s'y forment. Deuxièmement, même si elle n'a pas les moyens, seule, d'y favoriser la bipolarisation, elle peut choisir de commencer par y apporter sa propre contribution, en espérant que son exemple inspirera ses partenaires.
Si pertinents que puissent être ces arguments, l'on va vite découvrir qu'ils ne résistent pas à l'examen.
78. S'agissant, tout d'abord, de la présence française dans les divers groupes parlementaires, elle est le reflet de la diversité des opinions nationales, et rien ne permet d'affirmer que la France perde à cette variété, dans laquelle elle est rejointe par d'autres nationalités, faute de quoi il serait impossible de réunir les effectifs nécessaires à la formation d'un groupe.
Dès lors, l'on peut être fondé à penser que la France gagne davantage à être représentée dans de nombreux groupes qu'à l'être un peu plus dans quelques-uns uns seulement.
L'on conviendra aisément que les deux thèses ont leurs mérites, et que l'on peut plaider aussi raisonnablement pour l'une que pour l'autre, le choix étant alors affaire de priorités.
Mais justement parce que les deux thèses sont défendables, cela exclut que l'une d'elles soit à ce point dirimante qu'elle puisse justifier que, en son nom, soit gravement entravée la liberté de choix des électeurs.
79. S'agissant ensuite de la formation de majorités au sein du Parlement européen, l'objectif n'a nul lieu d'être poursuivi puisqu'il est déjà atteint.
Depuis qu'il est élu au suffrage universel direct, en effet, le Parlement européen a toujours eu une majorité ample, solide, formée des principaux groupes parlementaires.
Que ces groupes dessinent ainsi une majorité aux contours politiques très différents de ce qui existe en France ne fait aucun doute.
Mais il ne fait aucun doute non plus, premièrement, que cette majorité existe bien et, grâce à un esprit de compromis qui l'honore, fonctionne globalement sans problèmes graves ; deuxièmement, qu'il est naturel que les clivages politiques européens puissent être différents, justement parce qu'européens, des clivages politiques nationaux ; troisièmement, que la France n'a ni capacité ni légitimité à prétendre imposer à l'Europe les frontières politiques de son choix, reproduisant à l'identique les siennes propres.
80. Dans ces conditions, aucune des motivations avancées par les auteurs de la loi n'offre une justification suffisante, ni même significative, à l'atteinte portée à la liberté des électeurs et au pluralisme des élections. Ne subsistent donc que cette atteinte que rien, partant, ne vient rendre légitime ou simplement justifiable.
81. A cela, on ne manquera pas d'objecter que cette démonstration s'opposerait de la même manière à tout découpage, quelles qu'en soient les délimitations.
C'est exact et il est temps d'en prendre conscience, quitte à ce que ce soit, pour certains, à regret. En plus du principe de parité (supra, 70), s'opposent à toute division soit le droit communautaire soit d'autres considérations constitutionnelles.
D'un côté, en effet, cette démonstration ne s'opposerait pas à ce que soient découpées 78 circonscriptions uninominales (dont au moins une pour les Français établis hors des frontières européennes), mais cela se heurterait au principe européen qui privilégie la représentation proportionnelle.
De l'autre côté, cette démonstration s'oppose effectivement à tout découpage qui aboutit arithmétiquement à relever le seuil d'éligibilité, sans motif légitime.
L'on en revient toujours ainsi à l'essentiel : l'objet de ces élections est de donner une représentation politique des citoyens concernés, nullement une représentation géographique, et cette seconde préoccupation ne saurait en aucun cas être recherchée ou satisfaite au détriment, si peu que ce serait, de la première.
82. En réalité, chacun sait que la représentation proportionnelle nationale pénalise avant tout les grands partis de gouvernement, où qu'ils se situent. C'est un désagrément que tous ont connu et c'est celui que la majorité souhaite s'épargner, ou limiter, par cette réforme qui n'obéit en vérité qu'à cet objectif.
Mais chacun sait aussi, en premier lieu, que toutes les autres élections - municipales, cantonales, régionales, législatives, sénatoriales et présidentielle - favorisent, pour des raisons facilement compréhensibles, les grandes formations au détriment des moins grandes et qu'il n'est donc pas inconvenant qu'il en aille autrement dans un seul scrutin, qui se différencie ainsi des six autres ; en second lieu, que la diversité de représentation qui en sort, même infidèle également à sa manière, présente des avantages réels, en termes d'expression brute du pluralisme, faisant contrepoids à ses inconvénients ; en troisième lieu que, en tout état de cause, épargner une mauvaise soirée, tous les cinq ans, aux dirigeants en fonction est un motif trivial à une réforme de cette gravité.
A ce deuxième titre, donc, elle sera déclarée contraire à la Constitution parce qu'attentatoire aux principes de liberté et de pluralisme.
d) Sur la violation du principe d'égalité
83. Elle résulte à la fois du principe même du découpage et de ses conséquences.
84. S'agissant, en premier lieu, du principe il consiste, divisant les 78 sièges actuellement disponibles en huit circonscriptions, non seulement à isoler les Européens jusqu'ici réunis dans un même corps électoral en France, mais encore à les faire bénéficier dans des conditions inégales de la règle commune de la représentation proportionnelle.
Celle-ci disparaît purement et simplement pour l'outre-mer, avec deux sièges qui ne permettent qu'un scrutin doublement inéquitable : une première fois en ceci qu'il devient majoritaire alors qu'il est proportionnel pour tous les autres ; une deuxième fois en ceci qu'il est, de surcroît, très injustement majoritaire, puisqu'une liste qui aura réuni un peu moins d'un tiers des suffrages exprimés n'aura aucun élu, tandis que si l'une réunit un peu plus d'un tiers et l'autre un peu moins des deux tiers, elles auront chacune un élu, le même nombre donc alors que la première aura réuni deux fois moins de suffrages que la seconde.
Au-delà, les Français ne retireront pas tous le même bénéfice de la représentation proportionnelle, puisque les effets de celle-ci diminuent avec le nombre de sièges à pourvoir. Même dans la région la mieux dotée, elle ne jouera que sur 14 sièges. Dans les autres, elle ne jouera que sur 6 sièges (Massif central-Centre), 10 sièges (Ouest, Sud-Ouest), 11 sièges (Est), 12 sièges (Nord-Ouest) ou 13 sièges (Sud-Est).
Dans tous les cas, l'on est fort loin de la proportionnalité qu'offre la circonscription unique avec ses 78 sièges, mais surtout on aboutit à ce que les électeurs voient leurs possibilités se restreindre les uns par rapport aux autres, au fur et à mesure que s'abaisse le nombre de sièges à pourvoir.
85. S'agissant, en second lieu, des effets de ce découpage, ils sont d'aboutir à des écarts de représentativité importants.
Ainsi, la circonscription Est compte, selon le recensement de 1999, 8 114 010 habitants et aura 11 élus, soit une moyenne de 737 637 habitants par siège.
L'outre-mer, avec 1 667 436 habitants et deux sièges établira sa moyenne à 833 718 habitants par siège.
Enfin, si l'on voulait s'en tenir à la seule métropole quoi que l'on ne voie pas bien ici à quel titre, le Sud-Est, avec 10 411 754 habitants et 13 élus aurait une moyenne par siège de 800 904 habitants.
Donc, un élu de l'Est représentera en moyenne 60 000 habitants de moins qu'un élu de du Sud-Est et près de 100 000 habitants de moins qu'un élu d'outre-mer.
Il résulte de ce constat que n'est pas respecté le principe, dont vous-mêmes avez rappelé l'importance, selon lequel un découpage doit s'opérer sur "des bases essentiellement démographiques" (décision 86-208 DC précitée, considérant n° 21).
86. Certes, en même temps que vous énonciez ce principe, vous indiquiez que le législateur pouvait atténuer cette règle fondamentale à la double condition que ce fût "dans une mesure limitée" et pour "tenir compte d'impératifs d'intérêt général" (ibid.).
Du même coup, vous aviez également admis l'existence d'écarts de population pouvant aller jusqu'à 20 % par rapport à la moyenne (ibid., considérant n° 23).
Dès lors, qui tentera de défendre le dispositif observera que, d'une part, l'écart de moyenne par siège d'une circonscription à l'autre est toujours inférieur à 20 %, d'autre part, qu'il se situe au niveau le plus faible qu'il était possible d'atteindre en respectant la continuité territoriale des huit circonscriptions.
87. De cela, on ne disconviendra nullement, mais on ne se contentera pas davantage, pour deux raisons essentielles.
Premièrement, le niveau de distorsion que vous avez admis pour le scrutin législatif n'est pas transposable au scrutin européen. Dans le premier cas, force était de découper des circonscriptions dans un espace étroit, avec des contraintes géographiques permanentes et des contraintes topographiques parfois importantes, de sorte que ces difficultés rendaient légitime l'admission d'un niveau de distorsion, 20 %, en lui-même élevé. Ces caractéristiques ne se retrouvent absolument pas pour le scrutin européen, en conséquence de quoi le niveau de distorsion tolérable doit être sensiblement plus bas.
Deuxièmement, seul le choix, compréhensible mais nullement impératif, de ne pas diviser les régions dans les huit circonscriptions fait que ce découpage est, peut-être, le moins mauvais possible à ce titre. Mais, puisque ces huit circonscriptions ne correspondent de toutes façons à rien d'existant, ne vivront, mal, que le jour du scrutin, réuniront des électeurs qui n'ont souvent rien en commun, tout plaidait pour les former à partir des départements plutôt que des régions, moyennant quoi il eût été aisé de parvenir à un équilibre démographique, donc démocratique, rigoureux.
88. Ainsi, les conditions posées par votre décision précitée ne sont pas remplies ici. Seule, pour cette élection, la circonscription nationale unique garantit un équilibre démographique absolu, étendu même aux Français expatriés, tandis que tout découpage le rompt sans utilité, et le rompt d'autant plus gravement qu'il choisit arbitrairement de ne regrouper que des régions plutôt que des départements.
Où la voix de chaque Français et de chaque citoyen de l'Union vivant en France était exactement égale à celle de tous les autres, le découpage aura pour effet que certaines pèseront sensiblement plus, ce qui est la définition même de la rupture d'égalité.
Sur ce moyen aussi, donc, le titre II devrait être censuré s'il ne l'avait pas déjà été sur l'un des deux fondements précédents.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.
le 14 mars 2003, par MM. Jean-Marc AYRAULT, François BAYROU, Alain BOCQUET, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Yves COCHET, François HOLLANDE, Mme Marie-George BUFFET, MM. Hervé MORIN, René DOSIERE, André SANTINI, Jacques BRUNHES, Bruno LE ROUX, Damien ALARY, Mme Sylvie ANDRIEUX-BACQUET, MM. Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Éric BESSON, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Jean-Michel BOUCHERON, Pierre BOURGUIGNON, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Thierry CARCENAC, Christophe CARESCHE, Mme Martine CARILLON-COUVREUR, MM. Laurent CATHALA, Jean-Paul CHANTEGUET, Michel CHARZAT, Alain CLAEYS, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Gilles COCQUEMPOT, Pierre COHEN, Mme Claude DARCIAUX, M. Michel DASSEUX, Mme Martine DAVID, MM. Marcel DEHOUX, Michel DELEBARRE, Bernard DEROSIER, Michel DESTOT, Marc DOLEZ, François DOSÉ, Julien DRAY, Tony DREYFUS, Pierre DUCOUT, Jean-Pierre DUFAU, Jean-Louis DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Yves DURAND, Henri EMMANUELLI, Claude ÉVIN, Laurent FABIUS, Jacques FLOCH, Pierre FORGUES, Michel FRANÇAIX, Jean GAUBERT, Mmes Nathalie GAUTIER, Catherine GÉNISSON, MM. Jean GLAVANY, Gaétan GORCE, Alain GOURIOU, Mmes Elisabeth GUIGOU, Paulette GUINCHARD-KUNSTLER, M. David HABIB, Mme Danièle HOFFMAN-RISPAL, MM. Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Serge JANQUIN, Jean-Pierre KUCHEIDA, Mme Conchita LACUEY, MM. Jérôme LAMBERT, François LAMY, Jack LANG, Jean LAUNAY, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Gilbert LE BRIS, Jean-Yves LE DÉAUT, Jean-Yves LE DRIAN, Jean LE GARREC, Jean-Marie LE GUEN, Mme Marylise LEBRANCHU, MM. Michel LEFAIT, Patrick LEMASLE, Guy LENGAGNE, Mme Annick LEPETIT, MM. Jean-Claude LEROY, Michel LIEBGOTT, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. François LONCLE, Victorin LUREL, Bernard MADRELLE, Philippe MARTIN, Christophe MASSE, Didier MATHUS, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Didier MIGAUD, Mme Hélène MIGNON, MM. Arnaud MONTEBOURG, Henri NAYROU, Alain NÉRI, Mme Marie-Renée OGET, MM. Michel PAJON, Christian PAUL, Germinal PEIRO, Jean-Claude PEREZ, Mmes Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Geneviève PERRIN-GAILLARD, MM. Jean-Jack QUEYRANNE, Paul QUILÈS, Alain RODET, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Patrick ROY, Mme Ségolène ROYAL, M. Michel SAINTE-MARIE, Mme Odile SAUGUES, MM. Henri SICRE, Dominique STRAUSS-KAHN, Pascal TERRASSE, Philippe TOURTELIER, Daniel VAILLANT, André VALLINI, Manuel VALLS, Michel VERGNIER, Alain VIDALIES, Jean-Claude VIOLLET, Philippe VUILQUE, Mme Chantal ROBIN-RODRIGO, M. Simon RENUCCI, Mme Christiane TAUBIRA, MM. Noël MAMÈRE, Mme Martine BILLARD, MM. Emile ZUCCARELLI, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER, Michel VAXÈS, Jean-Pierre ABELIN, Pierre ALBERTINI, Gilles ARTIGUES, Pierre-Christophe BAGUET, Christian BLANC, Bernard BOSSON, Mme Anne-Marie COMPARINI, MM. Charles de COURSON, Stéphane DEMILLY, Jean DIONIS du SÉJOUR, Philippe FOLLIOT, Francis HILLMEYER, Olivier JARDÉ, Yvan LACHAUD, Jean-Christophe LAGARDE, Jean LASSALLE, Maurice LEROY, Claude LETEURTRE, Nicolas PERRUCHOT, Jean-Luc PRÉEL, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, François SAUVADET, Rodolphe THOMAS, Francis VERCAMER, Gérard VIGNOBLE et Philippe de VILLIERS, députés,
et le 18 mars 2003, par M. Claude ESTIER, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Bernard ANGELS, Bertrand AUBAN, Robert BADINTER, Jean-Pierre BEL, Jacques BELLANGER, Mme Maryse BERGÉ-LAVIGNE, M. Jean BESSON, Mme Marie-Christine BLANDIN, M. Didier BOULAUD, Mmes Yolande BOYER, Claire-Lise CAMPION, M. Bernard CAZEAU, Mme Monique CERISIER-ben GUIGA, MM. Gilbert CHABROUX, Michel CHARASSE, Roland COURTEAU, Yves DAUGE, Marcel DEBARGE, Jean-Pierre DEMERLIAT, Claude DOMEIZEL, Michel DREYFUS-SCHMIDT, Mme Josette DURRIEU, MM. Jean-Claude FRÉCON, Bernard FRIMAT, Charles GAUTIER, Jean-Pierre GODEFROY, Jean-Noël GUÉRINI, Claude HAUT, Mme Odette HERVIAUX, MM. André LABARRÈRE, Serge LAGAUCHE, Louis LE PENSEC, André LEJEUNE, Jacques MAHÉAS, Jean-Yves MANO, François MARC, Marc MASSION, Gérard MIQUEL, Michel MOREIGNE, Jean-Marc PASTOR, Daniel PERCHERON, Jean-Claude PEYRONNET, Jean-François PICHERAL, Bernard PIRAS, Jean-Pierre PLANCADE, Mmes Danièle POURTAUD, Gisèle PRINTZ, MM. Daniel RAOUL, Paul RAOULT, Daniel REINER, Roger RINCHET, Gérard ROUJAS, Claude SAUNIER, Michel SERGENT, Jean-Pierre SUEUR, Michel TESTON, Jean-Marc TODESCHINI, Pierre-Yvon TRÉMEL, Marcel VIDAL, Henri WEBER, Mme Nicole BORVO, MM. Guy FISCHER, François AUTAIN, Jean-Yves AUTEXIER, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Marie-France BEAUFILS, Danielle BIDARD, MM. Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Evelyne DIDIER, MM. Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Paul LORIDANT, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE, sénateurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen ;
Vu la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 relative au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 27 mars 2003 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés auteurs de la première saisine, enregistrées le 28 mars 2003 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 31 mars 2003 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;1. Considérant que les auteurs des saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques ; qu'ils contestent plus particulièrement la procédure d'élaboration et d'adoption de la loi, les dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux, ainsi que celles relatives aux membres du Parlement européen ;
- Sur la procédure d'élaboration et d'adoption de la loi :
. En ce qui concerne le droit d'amendement :
2. Considérant que les sénateurs requérants, pour critiquer la procédure d'adoption de la loi déférée, soutiennent que le droit d'amendement des sénateurs aurait été méconnu ; qu'ils font valoir à cet égard que le Sénat a voté sans modification le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale à la suite de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution ;
3. Considérant que le bon déroulement du débat démocratique et, partant, le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels supposent que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, et que parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition à ces fins ; que cette double exigence implique toutefois qu'il ne soit pas fait un usage manifestement excessif de ces droits ;
4. Considérant, en l'espèce, que de nombreux amendements ont été présentés en commission et en séance publique ; que la seule circonstance qu'aucun d'entre eux n'ait été adopté par le Sénat n'a pas vicié la procédure d'adoption de la loi ;
. En ce qui concerne la consultation du Conseil d'État :
5. Considérant que les députés et les sénateurs requérants soutiennent que la procédure législative serait viciée du fait que le texte du projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale aurait été différent tant de celui soumis au Conseil d'État que de celui adopté par lui ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution : "Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres après avis du Conseil d'État et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées" ;
7. Considérant que, si le Conseil des ministres délibère sur les projets de loi et s'il lui est possible d'en modifier le contenu, c'est, comme l'a voulu le constituant, à la condition d'être éclairé par l'avis du Conseil d'Etat ; que, par suite, l'ensemble des questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d'Etat lors de sa consultation ;
8. Considérant, en l'espèce, qu'en substituant, pour l'accès au second tour des élections régionales, un seuil égal à 10 % du nombre des électeurs inscrits au seuil de 10 % du total des suffrages exprimés retenu par le projet de loi soumis au Conseil d'État, le Gouvernement a modifié la nature de la question posée au Conseil d'État ; que ce seuil de 10 % des électeurs inscrits n'a été évoqué à aucun moment lors de la consultation de la commission permanente du Conseil d'État ; que les requérants sont dès lors fondés à soutenir que cette disposition du projet de loi a été adoptée selon une procédure irrégulière ;
9. Considérant qu'il y a lieu, par voie de conséquence, de déclarer contraires à la Constitution, au a) du 2° de l'article 4, les mots : "" 5 % du total des suffrages exprimés " et", "respectivement" et "" 10 % du nombre des électeurs inscrits" et" ;
10. Considérant que ces dispositions sont séparables des autres dispositions de la loi ;
- Sur les dispositions relatives à l'élection des conseillers régionaux :
. En ce qui concerne l'article 4 :
11. Considérant, en premier lieu, que, du fait de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions précitées de l'article 4 de la loi déférée relatives au seuil nécessaire à une liste pour se maintenir de façon autonome au second tour, il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs dirigés contre ces dispositions et notamment celui tiré de l'atteinte au principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
12. Considérant, en second lieu, que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ;
13. Considérant, à cet égard, que le seuil de 5 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir la possibilité de fusionner avec une autre liste au second tour, seuil déjà retenu par d'autres dispositions du code électoral lorsqu'il s'agit d'assurer la conciliation entre représentation proportionnelle et constitution d'une majorité stable et cohérente, ne porte atteinte par lui-même ni au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ni à l'égalité devant le suffrage, ni à la liberté des partis politiques ;
14. Considérant qu'il s'ensuit que les dispositions subsistantes du a) du 2° de l'article 4 ne sont pas contraires à la Constitution ;
. En ce qui concerne l'article 3 :
15. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que les dispositions de l'article L. 338-1 inséré dans le code électoral par l'article 3 et relatif au nouveau mode d'élection des conseillers régionaux ne répondent pas à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ; que, selon eux, ce mode de scrutin rendra difficile pour l'électeur la mesure de la portée de son vote ; que le candidat placé en tête de liste pour la région pourrait ne pas être placé en tête de liste d'une section départementale, voire ne pas figurer en rang utile pour être élu, ce qui pourrait permettre des manœuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin ;
16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 338 du code électoral modifié par l'article 2 de la loi déférée : "Les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l'ordre de présentation. Chaque liste est constituée d'autant de sections qu'il y a de départements dans la région..." ; que le même article attribue à la liste arrivée en tête au tour décisif une prime majoritaire égale au quart des sièges à pourvoir ; que le nouvel article L. 338-1 dispose : "Les sièges attribués à chaque liste en application de l'article L. 338 sont répartis entre les sections départementales qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département. Cette attribution opérée, les sièges restant à attribuer sont répartis entre les sections départementales selon la règle de la plus forte moyenne..." ;
17. Considérant, en premier lieu, que la complexité que revêt ce mode de scrutin, s'agissant en particulier de la répartition des sièges entre sections départementales, trouve son origine dans la conciliation que le législateur a voulu opérer entre la représentation proportionnelle dans le cadre d'un vote régional, la constitution d'une majorité politique au sein du conseil régional et la restauration d'un lien entre conseillers régionaux et départements ; que cette complexité répond à des objectifs que le législateur a pu regarder comme d'intérêt général ;
18. Considérant, toutefois, qu'il incombera aux autorités compétentes de prévoir toutes dispositions utiles pour informer les électeurs et les candidats sur les modalités du scrutin et sur le fait que c'est au niveau régional que doit être appréciée la représentativité de chaque liste ; qu'il leur appartiendra en particulier d'expliquer que le caractère régional du scrutin et l'existence d'une prime majoritaire peuvent conduire à ce que, dans une section départementale donnée, une formation se voie attribuer plus de sièges qu'une autre alors qu'elle a obtenu moins de voix dans le département correspondant ; qu'il leur reviendra également d'indiquer que le mécanisme de répartition retenu peut aboutir, d'une élection régionale à la suivante, à la variation du nombre total de sièges attribués à une même section départementale ;
19. Considérant, enfin, que, pour assurer la bonne information de l'électeur et éviter par là une nouvelle augmentation de l'abstention, le bulletin de vote de chaque liste dans chaque région devra comprendre le libellé de la liste, le nom du candidat tête de liste et, répartis par sections départementales, les noms de tous les candidats de la liste ;
20. Considérant que, sous les réserves énoncées aux considérants 18 et 19, la loi déférée n'est pas contraire à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi ;
21. Considérant, en second lieu, que la loi ne favorise pas par elle-même les manœuvres électorales ; qu'il appartiendrait au juge de l'élection, saisi d'un tel grief, d'apprécier si la désignation comme tête de liste régionale d'un candidat qui ne serait pas placé en rang utile pour être élu a ou non altéré, dans les circonstances de l'espèce, la sincérité du scrutin ;
. En ce qui concerne l'article 9 :
22. Considérant que le premier alinéa de l'article L. 346 du code électoral, dans la rédaction que lui donne l'article 4 de la loi déférée, impose, pour les élections régionales, que les listes des candidats des sections départementales soient composées alternativement d'un candidat de chaque sexe ; que l'article 9 de la loi déférée, tout en modifiant sur certains points les règles relatives à l'Assemblée de Corse, n'étend pas ces modalités à l'élection de ladite assemblée ; que sont ainsi maintenues pour celle-ci les dispositions de l'article L. 370 du code électoral en vertu desquelles : "Sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Au sein de chaque groupe entier de six candidats dans l'ordre de présentation de la liste doit figurer un nombre égal de candidats de chaque sexe" ;
23. Considérant que les députés et sénateurs requérants dénoncent une atteinte au principe d'égalité dans cette différence de traitement ;
24. Considérant que l'article 3 de la Constitution dispose, en son cinquième alinéa, que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives" ;
25. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
26. Considérant que, compte tenu de leurs compétences, de leur place dans l'organisation décentralisée de la République et de leurs règles de composition et de fonctionnement, l'Assemblée de Corse et les conseils régionaux ne se trouvent pas dans une situation différente au regard de l'objectif inscrit au cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution ; qu'aucune particularité locale, ni aucune raison d'intérêt général, ne justifie la différence de traitement en cause ; qu'ainsi, celle-ci est contraire au principe d'égalité ;
27. Considérant, toutefois, que le Conseil constitutionnel ne pourrait mettre fin à cette rupture d'égalité qu'en censurant les nouvelles dispositions de l'article L. 346 du code électoral ; qu'une telle censure méconnaîtrait la volonté du constituant de voir la loi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ;
28. Considérant, que, dans ces conditions, l'article 9 de la loi déférée ne peut être déclaré contraire à la Constitution ; qu'il appartiendra à la prochaine loi relative à l'Assemblée de Corse de mettre fin à cette inégalité ;
. En ce qui concerne l'article 10 :
29. Considérant qu'en application de l'article L. 280 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi du 19 janvier 1999 susvisée, les sénateurs sont élus par un collège électoral composé notamment de conseillers régionaux ou de conseillers de l'Assemblée de Corse dont la répartition par département est décidée dans le mois qui suit leur élection, selon les modalités fixées aux articles L. 293-1 à L. 293-3 du même code ; que l'article 10 de la loi déférée se borne à modifier l'article L. 280 pour prévoir que le collège électoral procédant à l'élection des sénateurs comprend, dans chaque département, les conseillers régionaux de la section départementale correspondante ;
30. Considérant que les sénateurs requérants exposent qu'en raison du mécanisme retenu par le titre Ier de la loi déférée pour l'élection des conseillers régionaux dans le cadre de sections départementales, la composition et l'effectif de chaque collège départemental d'électeurs sénatoriaux varieraient "sans véritable lien avec les rapports de force politiques établis au niveau de chaque section départementale" ; qu'ils soutiennent qu'une telle variation méconnaîtrait l'objectif d'intelligibilité de la loi, les principes d'égalité du suffrage et de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ainsi que les dispositions de l'article L.O. 274 du code électoral fixant le nombre de sénateurs élus dans le département ;
31. Considérant que les règles de calcul prévues par le nouvel article L. 338-1 du code électoral peuvent avoir pour effet de faire varier de quelques unités l'effectif du collège électoral sénatorial de chaque département, d'une élection régionale à l'autre ; qu'en outre, elles peuvent exercer un effet limité sur sa composition politique en raison principalement de la prime majoritaire instituée par l'article L. 338 ;
32. Considérant que, s'ils se produisent, ces effets ne porteront que sur une faible fraction des conseillers régionaux appartenant à chaque section départementale ; que, de plus, les conseillers régionaux constituent eux-mêmes une part réduite des collèges électoraux pour l'élection des sénateurs ; que, dès lors, il était loisible au législateur de substituer les règles critiquées aux dispositions antérieures sans méconnaître, s'agissant des élections sénatoriales, ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, ni le principe d'égalité devant le suffrage, ni le pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
33. Considérant que manque en fait le moyen tiré de la violation de l'article L.O. 274 du code électoral qui a pour seul objet de fixer le nombre des sénateurs élus dans les départements ;
34. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens dirigés contre l'article 10 doivent être écartés ;
- Sur les dispositions relatives à l'élection des membres du parlement européen :
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte à l'indivisibilité de la République et à l'unicité du peuple français :
35. Considérant que les sénateurs requérants critiquent la création, par les articles 14 et 15 de la loi déférée, de huit circonscriptions ; qu'ils font valoir que seul un ressort unique s'étendant à l'ensemble du territoire national respecterait le principe d'indivisibilité de la République et permettrait aux membres du Parlement européen élus en France de représenter le peuple français dans sa totalité ;
36. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences" ; qu'en vertu des dispositions de l'article 17-1 du traité instituant la Communauté européenne résultant du traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 et ratifié avec l'autorisation du peuple français : "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre." ; que ces dispositions ont été ainsi précisées par le traité signé le 2 octobre 1997 à Amsterdam : "La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas" ; que, selon l'article 19-2 du traité instituant la Communauté européenne, "tout citoyen de l'Union résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État" ;
37. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les membres du Parlement européen élus en France le sont en tant que représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France ;
38. Considérant, par suite, que doivent être rejetés comme inopérants les moyens tirés de l'atteinte au principe d'indivisibilité de la République énoncé par l'article 1er de la Constitution, et de l'atteinte au principe de l'unicité du peuple français proclamé par le Préambule de la Constitution de 1958 ;
. En ce qui concerne le grief tiré de la violation du principe d'universalité du suffrage :
39. Considérant que, par son article 28, la loi déférée abroge l'article 23 de la loi susvisée du 7 juillet 1977, en vertu duquel les Français établis hors d'un État membre de l'Union européenne et inscrits sur les listes des centres de vote pour l'élection du Président de la République étaient admis à voter dans ces centres pour l'élection au Parlement européen ; que les députés requérants estiment que cette abrogation prive purement et simplement les intéressés de leur droit de vote à cette élection, en violation du principe d'universalité du suffrage ;
40. Considérant toutefois que l'article L. 12 du code électoral ouvre aux Français établis hors de France le droit d'être inscrits, à leur demande, sur la liste électorale de la commune de leur naissance, de leur dernier domicile, de leur dernière résidence ou de celle où est né, est inscrit ou a été inscrit un de leurs ascendants, ou encore sur la liste électorale où est inscrit un de leurs descendants au premier degré ; qu'en outre, l'article L. 14 du même code leur permet, le cas échéant, de demander à être inscrits sur la même liste électorale que leur conjoint ; que ces dispositions sont de nature à permettre aux Français établis hors de l'Union européenne de participer à l'élection au Parlement européen ; que le grief doit être dès lors écarté ;
. En ce qui concerne les griefs tirés d'atteintes à la liberté et au pluralisme :
41. Considérant que, selon les deux saisines, le remplacement d'un ressort national unique par huit circonscriptions réduirait les chances des candidats qui n'appartiennent pas aux grandes formations politiques, portant ainsi à la liberté des électeurs et au pluralisme des courants d'idées et d'opinions une atteinte qui ne serait justifiée par aucun motif d'intérêt général ;
42. Considérant que la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui revient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif poursuivi ; qu'en l'espèce, le législateur a entendu concilier, d'une part, la recherche d'une plus grande proximité entre les électeurs et leurs élus et, d'autre part, la représentation des divers courants d'idées et d'opinions ; que la conciliation ainsi opérée n'est pas entachée d'erreur manifeste ; que le grief doit être par suite écarté ;
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte au principe d'égalité :
43. Considérant, d'une part, que, contrairement aux affirmations des sénateurs requérants, les critères sur lesquels repose la délimitation des circonscriptions établies par la loi déférée ne sont entachés d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;
44. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article 4 de la loi du 7 juillet 1977 susvisée, dans la rédaction que leur donne l'article 15 de la loi déférée, que la répartition des sièges entre circonscriptions reposera sur des bases essentiellement démographiques, révisées après chaque recensement général de la population ; que les députés requérants ne sont donc pas fondés à soutenir que l'égalité devant le suffrage serait rompue ;
. En ce qui concerne le grief tiré d'une atteinte au principe de parité :
45. Considérant que les députés requérants font valoir que la création de circonscriptions aura également pour effet de réduire le nombre de sièges obtenus par chaque liste en présence ; que nombreuses seront les listes qui n'obtiendront qu'un siège et qu'il en "résultera nécessairement... un déséquilibre important entre hommes et femmes en termes d'élus" ; que, de ce fait, l'écart actuellement constaté au profit des élus masculins pourrait s'en trouver accru ; que la loi méconnaîtrait, à cet égard, le cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution ;
46. Considérant que les dispositions critiquées n'ont ni pour objet ni, par elles-mêmes, pour effet de réduire la proportion de femmes élues en France au Parlement européen ; que le législateur a maintenu la règle de l'alternance entre candidats féminins et masculins sur les listes de candidats qui prévalait sous l'empire des dispositions précédentes ; que, par suite, le grief manque en fait ;
47. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution, au a) du 2° de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, les mots : « " 5 % du total des suffrages exprimés " et », « respectivement » et « " 10 % du nombre des électeurs inscrits" et ».
Article 2 :
Sous les réserves énoncées aux considérants 18 et 19, les autres dispositions de la même loi critiquées par l'une ou l'autre saisine ne sont pas déclarées contraires à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 avril 2003, où siégeaient : MM. Yves GUÉNA, Président, Michel AMELLER, Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE, Pierre JOXE, Pierre MAZEAUD, Mmes Monique PELLETIER, Dominique SCHNAPPER et Simone VEIL
# SAISINES:
Réplique par plus de 60 sénateurs aux observations du gouvernement
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,
2 rue de Montpensier,
75001 Paris.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les conseillers, les observations en réponse formulées par le gouvernement sur notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, appellent la brève réplique suivante.
I. Sur la violation de l'article 39 de la Constitution
Il sera seulement fait observer que la modification introduite dans le projet de loi entre la version soumise à l'avis du Conseil d'Etat et celle adoptée par le Conseil des Ministres n'est pas mineure comme le prétend le gouvernement. Bien au contraire.
Le changement de seuil en cause n'est pas une modification de "degré" mais bien "de nature" de la disposition concernée. Ainsi que cela a été amplement démontré, le passage d'un seuil de 10 % des suffrages exprimés à un seuil de 10 % des électeurs inscrits, tout en maintenant un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour les fusions de listes, bouleverse l'économie du texte dont s'agit. Cette question posant des difficultés constitutionnelles fondamentales, il était pour le moins indispensable que le Conseil d'Etat puisse en connaître à ce stade de la procédure.
C'est pourquoi, et quoi qu'il en soit de la comparaison avec le rôle du Conseil d'Etat en matière de textes réglementaires, il est acquis que c'est bien une modification substantielle du projet de loi qui a été opérée.
L'invalidation intervenant sur ce terrain n'aurait pas pour effet d'ériger le Conseil d'Etat en co-auteur du projet de loi, le gouvernement demeurant maître de la suite à donner à son avis, mais, plus simplement, de ne pas laisser l'article 39 C dépourvu de sanction. L'importance de cette consultation, ainsi que l'atteste votre jurisprudence relative à la lettre rectificative, serait alors garantie conformément à la lettre et à l'esprit de la Constitution.
II. Sur l'article 4 de la loi
II.1. Sur l'intelligibilité et la clarté de la loi
Le gouvernement confirme le peu de clarté et d'intelligibilité de la loi quand il indique, en substance, que ce mécanisme est aisément compréhensible dans la mesure où le nombre de conseillers régionaux élus par département n'est pas fixé a priori, ce qui garantira une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires (cf. observations en réponse, page 4,
2 et 3).
Cette conception du conseiller régional "aléatoire" ne manque pas de sel et, sauf à réduire l'élection des conseils régionaux à une loterie, ne peut qu'éloigner encore un peu plus les citoyens de certaines institutions dont le mode de désignation emprunte des voies particulièrement complexes.
Encore une fois, s'agissant de l'organisation d'élections politiques, la transparence, prise au sens de clarté, du mécanisme déterminé doit être la plus grande possible. Surtout, si elle doit aboutir à revivifier la participation des citoyens à la vie démocratique.
II.2. Sur le principe de pluralisme et sur l'article 4 de la Constitution
Il est flagrant que le gouvernement ne répond pas aux critiques de fond articulées par la saisine.
En premier lieu, contrairement à ce que prétend le gouvernement dans ses observations (p. 11,
2), le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, fondement même de la démocratie, a une portée tout aussi essentielle lorsqu'il s'agit de la détermination des modes de scrutin. En effet, l'organisation des élections politiques doit être conçue de telle sorte que leur déroulement garantisse une société pleinement libre et démocratique, et nul n'ignore que les modes de scrutins ont une importance première en la matière.
Votre jurisprudence trouve donc pleinement à s'appliquer en l'espèce.
Car, en deuxième lieu, on relèvera que le gouvernement ne peut pas convaincre lorsqu'il cite pour vertus de son texte, la nécessaire constitution de majorités stables dans les conseils régionaux, et le fait d'avoir veillé à ce que deux listes soient présentes au second tour.
D'abord, et ainsi que cela a déjà été montré, le mécanisme institué par la loi de 1999 a précisément prévu un mécanisme stabilisateur, ce à quoi le texte présent n'apporte rien. En revanche, il retranche des possibilités d'élection pour des formations politiques librement constituées et ayant obtenues un nombre important de suffrages exprimés.
Ensuite, il est patent, en effet, que le mécanisme critiqué est de nature à affaiblir la représentation de listes représentant des courants d'opinions peut-être minoritaires mais réels et dotés d'une audience certaine, et dont l'expression politique sera affectée par l'élévation manifestement disproportionnée du seuil à atteindre pour être présent au second tour.
La question posée est donc moins celle de l'existence en soi de seuils, mécanisme connu, que de la coexistence pour une même élection, et dans une même circonscription, de deux seuils dont chacun repose sur des bases différentes, et dont le résultat inévitables sera d'écarter de la représentation politique des listes ayant recueillies un nombre important de suffrages exprimés, voire ayant obtenues plus de voix que d'autres qui, elles, auront des élus grâce au second seuil.
On relèvera que le gouvernement se garde bien de justifier l'existence de ces deux seuils reposant sur des mécanismes différents ; celui pertinent pour le maintien au second tour étant plus restrictif que celui utile pour la fusion de listes. Logique paradoxale et inédite. Ainsi, à titre d'exemple, le mécanisme applicable aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3500 habitants, prévoit certes des seuils différents pour, d'une part, pouvoir se maintenir au second tour, et d'autre part, pour pouvoir fusionner. Mais, aux termes de l'article L. 264 du code électoral, ces seuils sont fondés sur une même base : le nombre de suffrages exprimés.
Enfin, l'exemple tiré des seuils applicables aux élections cantonales et législatives n'est pas pertinent dès lors que dans ces deux cas, il s'agit de scrutins uninominaux et qu'il n'existe qu'un seul et même seuil applicable à tous les candidats.
En réalité, cette disposition, sans le dire, a pour effet de contraindre les partis politiques à fusionner ou à n'avoir pas d'élus. Elles les place face à un choix qui limite plus qu'abusivement leur liberté, et sans aucune justification tirée d'un quelconque principe de même valeur.
A cette restriction du pluralisme, le citoyen ne gagne rien, sinon un peu plus de complexité dans la vie publique.
III. Sur l'article 9 de la loi
Le gouvernement feint de ne pas mesurer la portée du grief ainsi articulé contre l'article 9 de la loi. Or, en refusant d'étendre à la Corse une disposition prévue pour les autres régions françaises en application des articles 3 et 4 de la Constitution, et ce sans justification objective, le législateur s'est abstenu d'épuiser sa compétence, et par voie de conséquence, a violé le principe d'égalité.
A cet égard, les tentatives d'explication du gouvernement, ne peuvent convaincre.
Encore une fois, ce qui est en cause tient à un principe fondamental de la représentation politique ayant fait l'objet d'une consécration dans le texte même de la loi fondamentale. Or, rien dans le statut de la Corse ni dans les règles d'élections à l'assemblée territoriale, l'absence de sectionnement étant indifférente à la mise en oeuvre de l'alternance déterminée par l'article 4 de la loi querellée, ne saurait justifier que l'on applique différemment le principe d'égalité dont il s'agit.
S'agissant d'un droit fondamental, il est tout simplement impossible d'envisager que les femmes soient moins bien traitées en Corse que dans les autres régions françaises. C'est ici une disposition liée aux élections politiques. Mais, en outre, il est important que nulle expérimentation législative ne soit admise à cet égard, au risque, sinon, d'autoriser d'autres dérogations dans des domaines où les droits et libertés du citoyen peuvent être concernées.
IV. Sur les articles 14 et 15 de la loi
Les saisissant n'entendent revenir que brièvement sur les articles en cause.
S'agissant du principe de pluralisme et de l'erreur manifeste d'appréciation qui résulte du découpage artificiel porté par la présente loi, il est patent de constater que le gouvernement ne répond pas au fait que le mécanisme choisi empêchera plusieurs courants d'opinion d'obtenir des élus alors même qu'ils répondent, au plan national, à une demande et une expression fortes de la part des citoyens.
Un récent rapport d'information de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne examinant l'hypothèse d'un tel découpage du territoire national en huit circonscriptions, concluait par la négative en ces termes :
"En fait, le principal défaut de ce système est de n'avoir aucun avantage par rapport au mode de scrutin actuel, tout au moins au regard des objectifs évoqués par votre rapporteur : servir les intérêts de la France au Parlement européen, donner davantage de légitimité à la construction européenne.
Le rapprochement entre l'élu et l'électeur ne serait aucunement assuré, les listes continueraient d'être constituées selon les mêmes principes qu'actuellement. Si, par exemple, le territoire métropolitain était divisé en huit circonscriptions, chacune d'entre elles comprendrait environ sept millions d'habitants, chargés d'élire une dizaine de députés européens. L'intérêt d'une telle évolution en termes de responsabilisation des élus paraît donc limité. En revanche, le débat national sur l'Europe que permet le mode de scrutin actuel pourrait être altéré par ce découpage du territoire." (Faut-il modifier le mode de scrutin pour les élections européennes ?, Christian de la Malène, Délégation du Sénat pour l'Union européenne, Rapport n° 123, 1996-1997, page 27 et 28).
On ne saurait mieux dire.
Alors que les pouvoirs du Parlement européen vont s'accroissant, c'est donc au prix d'une atteinte grave au pluralisme des courants d'idées et d'opinion et d'un découpage territorial sans rationalité ni objectivité, que l'on va atteindre un résultat ne présentant d'avantages ni pour les citoyens, ni pour la France, ni pour la construction européenne.
Sans même revenir sur la question de l'indivisibilité de la République, les articles critiqués ne servent aucun principe ni aucun objectif qui puissent justifier que le pluralisme des courants d'idées et d'opinions soit aussi gravement méconnu.
Les auteurs de la saisine persistent donc de plus fort dans les conclusions de leur saisine.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre haute considération.Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les membres
du CONSEIL CONSTITUTIONNEL
2, rue Montpensier 75001 PARIS
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Le Gouvernement vous a adressé ses observations en réponse à notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Ces observations appellent de notre part la réplique suivante, que nous nous sommes efforcés de rendre aussi concise que possible.
I - A propos de l'article 4 de la loi déférée
a) Sur le grief tiré de la violation de l'article 39
Premièrement, s'il est vrai que le Conseil des ministres peut adopter des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis au Conseil d'Etat c'est, comme le Gouvernement l'indique lui-même, dans la limite des « questions posées ». L'on ne peut sérieusement soutenir que la présence d'un seuil dans l'avant-projet soumis à la Haute Assemblée suffit à ce qu'ait été posée la question de son niveau, puis à rendre possible la fixation, a posteriori, dudit seuil à n'importe quel niveau. Ce n'est pas d'une différence de niveau qu'il s'agit, comme le soutient le Gouvernement, mais bien d'une différence de nature, comme en témoigne la réaction de l'ensemble des formations signataires de la saisine.
Quant à l'affirmation, deuxièmement, selon laquelle une lecture stricte de l'article 39 - celle que commandent ses termes mêmes - porterait atteinte aux pouvoirs du collège gouvernemental, elle est inexacte : la procédure de la lettre rectificative est justement là pour permettre au Conseil des ministres d'exercer librement ses compétences sans porter atteinte à celles que la Constitution confie expressément au Conseil d'Etat. La « marge de liberté » qu'invoque le Gouvernement est définie par l'article 39 lui-même : elle ne saurait l'autoriser à introduire un élément substantiel qui n'a pas été soumis au Conseil d'Etat, alors surtout, d'une part, que le débat parlementaire a prouvé qu'il s'agissait de la mesure la plus controversée du texte et que, d'autre part, notre saisine a démontré qu'il soulevait des questions constitutionnelles majeures, ce qui n'était nullement le cas, sur ce point, du seuil dont le Conseil d'Etat avait eu connaissance.
Troisièmement, la comparaison faite avec d'autres consultations obligatoires est distrayante. C'est son seul mérite. Qu'il s'agisse du Conseil supérieur de la fonction publique, ou encore du Conseil économique et social ou des assemblées d'outre-mer, il n'est jamais attendu des instances éminentes de ce type qu'elles veillent à la qualité juridique des textes qui leur sont soumis, laquelle, au contraire, est dans la vocation même du Conseil d'Etat. De celles-là, on attend des prises de position d'ensemble, qui peuvent éventuellement s'accommoder de certaines lacunes. De celui-ci, on attend un examen détaillé, disposition par disposition, qui perd son sens si lui est soustrait un élément essentiel surtout si, de surcroît, il est hautement problématique.
Quatrièmement, enfin, la référence à l'article 44, sous la plume du Gouvernement lui-même, achève de démontrer son erreur. L'article 39 et l'article 44, ainsi que vous l'avez souligné et que nous l'avons rappelé, instituent des procédures différentes, et l'on ne saurait en aucun cas s'affranchir des exigences du premier prétexte pris de l'existence du second.
En définitive, la question n'est pas de savoir si l'article 39 est trop rigoureux - il ne l'est d'ailleurs nullement. Elle est seulement de savoir s'il peut être méconnu impunément. La réponse va d'elle-même.
b) Sur les griefs tirés de l'atteinte à la liberté et au pluralisme
Le Gouvernement, en premier lieu, ne répond pas à la démonstration selon laquelle, compte tenu du droit en vigueur, l'objectif prétendument poursuivi est intrinsèquement inconstitutionnel en ce qu'il ne vise nullement à faire émerger une majorité, puisque c'est déjà acquis, mais seulement à procéder à des éliminations abusives, non seulement attentatoires au pluralisme, mais encore inutilement attentatoires à celui-ci.
Le Gouvernement, en second lieu, invoque comme un mérite particulier le fait d'avoir prévu la présence minimale de deux listes au second tour. C'était la moindre des choses et il n'y a pas lieu à s'en auto-satisfaire. En revanche, il est muet sur le fait que, précisément lorsque ce résultat serait atteint - seulement deux listes en présence - la prime de 25 % des sièges perdrait toute utilité et, du même coup, toute légitimité, cessant d'être une nécessité pour former une majorité et devenant un privilège indu au profit des vainqueurs.
Dès lors, les soussignés maintiennent l'ensemble de leur argumentation, à laquelle il n'a été opposé aucune objection réelle. Pour faire bonne mesure, ils se permettent d'ajouter deux remarques.
Premièrement, les résultats électoraux constatés, tant dans les scrutins régionaux anciens que dans les autres scrutins plus récents, donnent à penser que, loin de combattre les extrêmes (cf. annexe), le seuil retenu pourrait souvent aboutir à exclure du second tour l'une des listes représentatives des grands partis nationaux, pour ne laisser de place qu'à un face-à-face incertain entre l'autre liste des formations parlementaires et une liste extrémiste, comme c'eût été le cas en Alsace en 1998 mais aussi, en 1992, en Alsace, en Ile-de-France, en Lorraine et en Rhône-Alpes ! L'on n'ose croire que cela fasse partie des effets sournoisement recherchés.
Deuxièmement, le mécanisme envisagé aurait pour effet d'exclure des listes dont ni la présence, ni l'autonomie éventuelle ne soulève la moindre difficulté. A titre d'exemples, l'on rappellera que celle qui, en 1992, a conquis la présidence de la région Corse, eût été éliminée, cependant que celui qui, après ces mêmes élections, fut élu président de la région Alsace dirigeait une liste indépendante qui elle aussi avait dépassé 10 % des suffrages exprimés mais n'avait pas non plus recueilli 10 % du nombre des électeurs inscrits, ce qui, avec le dispositif envisagé, l'eût empêché de figurer au second tour, a fortiori d'être porté à la présidence (à laquelle les électeurs le confirmèrent pourtant, en 1998).
c) Sur les griefs tirés de l'atteinte à l'égalité
Le Gouvernement, à nouveau, s'abstient de répondre à l'argumentation précise et circonstanciée des saisissants qui, partant, la maintiennent.
Tout au plus invoque-t-il derechef la comparaison avec les seuils calculés par rapport au nombre des électeurs inscrits qui existent déjà dans le droit positif. L'on sait que ce précédent est sans pertinence puisque, quel que soit le nombre des candidats au second tour d'un scrutin uninominal, un seul est élu, tandis que dans un scrutin confrontant des listes, toutes peuvent, dans des proportions variées, prétendre obtenir les sièges que les électeurs conservent le droit de leur attribuer.
Au-delà, et d'une manière générale, l'insistance avec laquelle le Gouvernement rappelle le pouvoir général d'appréciation du législateur lui tient lieu, en réalité, d'unique argument.
Mais nous avons déjà démontré dans notre saisine, d'une part, que nous n'ignorons rien de ce principe, qui au contraire nous est cher en toutes circonstances, d'autre part, qu'il connaît cependant des limites qui, toutes, ont été franchies au cas présent, comme vous ne manquerez pas de le constater et de le sanctionner.
II - A propos de l'article 9 de la loi déférée
Il convient, en premier lieu, d'éclairer la vision du Gouvernement qui « voit mal » quelle disposition « pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité ».
Premièrement, l'inconstitutionnalité peut résulter d'une commission mais également d'une omission (il suffit de songer, par exemple, à une nationalisation sans indemnisation juste et préalable). Dans ce second cas, l'absence d'un élément indispensable entache la constitutionnalité de tous ceux qui sont présents. Il en va d'autant plus ainsi, en l'occurrence, que l'article 9 est effectivement indispensable à la tenue des élections en Corse, de sorte que sa censure obligera le législateur à intervenir et, à cette occasion, à combler la lacune, contraire à la Constitution, qu'il a laissé s'établir.
Que, deuxièmement, cette lacune existe et soit contraire à la Constitution ne faisait guère de doute avant les observations du Gouvernement et en fait moins encore après. Celui-ci, en effet, souligne à l'envi tout ce qui distingue l'assemblée de Corse, et le statut de l'île, de leurs équivalents continentaux, mais il se trouve qu'aucune de ces différences, réelles, n'a le moindre rapport avec l'objet ou la finalité de la disposition dont l'absence est dénoncée. D'une part, l'article 3 de la Constitution pose aujourd'hui, dans son dernier alinéa, un principe clair et contraignant, d'autre part, la loi déférée met ce principe en oeuvre pour toutes les régions de France. Or, au regard de ces deux éléments, aucune des singularités corses n'est concernée. La rupture d'égalité résultant, au détriment des femmes corses, du dispositif adopté par le Parlement ne peut donc se réclamer d'aucune justification, d'aucune sorte, et sera censurée en conséquence.
III - A propos des articles 14 et 15 de la loi déférée
Exactement comme pour les élections régionales, le Gouvernement se borne ici, pour l'essentiel, à invoquer le pouvoir général d'appréciation et de décision du Parlement. Ici comme là, c'est un peu court.
Le Gouvernement, en premier lieu, demeure muet sur l'essentiel de l'argumentation et, notamment, sur les termes étranges de ce marché de dupe dans lequel on contraindrait les électeurs à sacrifier une proximité politique réelle au profit d'un rapprochement géographique illusoire, pour le plus grand dommage du principe de pluralisme.
On ne peut qu'être surpris, en deuxième lieu, de voir mettre en doute l'opposabilité du principe selon lequel les découpages doivent s'opérer sur des bases essentiellement démographiques. Le fait que le Parlement européen relève effectivement d'un ordre juridique distinct de l'ordre national n'autorise pas ce dernier, pour ce qui le concerne, à s'affranchir des exigences les plus élémentaires de la démocratie, dont vous avez justement rappelé la prégnance.
Les soussignés, au-delà, n'entendent pas abuser de votre temps en répétant ce qu'ils ont déjà exposé, à quoi il n'a pas été réellement répondu, et qu'ils maintiennent d'autant plus.
IV - A propos de l'article 28 de la loi déférée
Sur cette disposition, dont la censure entraînera inévitablement celle des articles 14 et 15, inséparables, nous nous bornerons également à quelques brèves remarques.
Toute la défense du Gouvernement le conduit, comme on pouvait s'y attendre, à tenter de se réfugier derrière l'article L. 12 du code électoral. Nul ne saurait s'en satisfaire.
Premièrement, il est des Français qui ne présentent aucune des conditions, même libérales, permettant de s'inscrire sur une liste en France ou dans un Etat de l'Union. Peu importe leur nombre, seul importe le principe. Celui ici en cause n'est pas le principe d'égalité, qui peut connaître toutes sortes de nuances, mais, de manière très choquante, le principe d'universalité qui, lui, est un absolu, dont on ne peut exclure que ceux qui ne sont pas en mesure de voter, soit parce qu'ils n'en ont pas encore l'âge, soit parce qu'ils ont commis des faits qui ont amené à les juger indignes d'exercer leurs droits civiques. Hors ces deux cas, de surcroît passagers l'un et l'autre, nul ne peut être retranché de l'universalité des citoyens et la loi qui l'oublie est tout simplement aberrante.
Ce n'est donc que tout à fait subsidiairement que nous ajouterons que si, deuxièmement, nos concitoyens établis hors de France sont autorisés à voter néanmoins en se faisant inscrire sur le territoire national, pour ceux du moins qui entrent dans l'une des catégories limitativement prévues, c'est une faculté bienvenue, non une nécessité (rappelons qu'ils bénéficient d'une représentation parlementaire spécifique au Sénat, qui fait que leur participation aux élections législatives n'est nullement nécessaire, tandis que leur vote aux élections locales ne correspond à aucun impératif de droit ou de fait). En conséquence, l'on ne saurait se prévaloir de ce que certains disposent de facultés que la Constitution n'impose pas pour s'autoriser à les priver tous de droits que la Constitution consacre à leur profit.
Troisièmement, même pour ceux des intéressés qui ont la faculté de figurer sur une liste en France, ils perdent, en le faisant, la possibilité de demeurer inscrits dans un consulat, de sorte que, afin de pouvoir voter, par procuration, aux élections européennes, ils devraient s'obliger à voter également par procuration aux élections présidentielles et aux référendums, ne pouvant plus alors s'exprimer personnellement dans aucun de ces trois types de scrutins majeurs.
Quant à l'argument ultime selon lequel, pour éviter cela, il eût fallu « rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions », il prête quelque peu à sourire, compte tenu de la dose d'arbitraire que l'on tente d'introduire par ailleurs en donnant Lille comme capitale européenne aux électeurs de Cherbourg, ou en faisant voter dans la même circonscription ceux de Nouméa et de Saint-Pierre-et-Miquelon !
A tous ces titres, les soussignés persistent dans leur argumentation et ne doutent pas qu'elle conduira à la censure des dispositions contestées. Quoi que son origine soit controversée, puisque certains dictionnaires la font provenir de la pétanque, d'autres de la pêche, d'autres encore du jeu de bouchon lui-même (Robert, Dictionnaire historique, Dictionnaire des expressions, L'argot français et ses origines), l'expression « pousser le bouchon trop loin » correspond parfaitement, et sur tous les poins contestés, à l'attitude adoptée par les auteurs de la loi déférée, ce qui, en termes juridiques, se traduit par autant d'atteintes inacceptables à la Constitution.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.
OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT
sur le recours dirigé contre la loi relative à l'election des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de deux recours dirigés contre la loi relative à l' élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, en particulier ses articles 3, 4, 9, 10, 14, 15, 17 et 28.
Ces saisines appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I/ Sur la procédure législative
A/ Les sénateurs requérants, après avoir relevé que le Gouvernement avait engagé sa responsabilité devant l'Assemblée nationale conformément à la procédure prévue à l'article 49, 3ème alinéa, de la Constitution, soutiennent que l'organisation et la conduite des débats devant le Sénat n'aurait pas respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution, ce qui aurait altéré la sincérité du débat démocratique au Sénat et vicié la procédure d'adoption de l'ensemble de la loi
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
La loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques a été adoptée dans le respect des règles de valeur constitutionnelle relatives à la procédure législative.
Le projet de loi, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, a été considéré comme adopté en première lecture par cette Assemblée le 15 février 2003, par application des dispositions de l'article 49, 3ème alinéa, de la Constitution. Après que le conseil des ministres en eut délibéré en sa séance du mercredi 12 février 2003, le Premier ministre avait, en effet, engagé la responsabilité du Gouvernement sur le vote de ce texte - y intégrant 38 amendements présentés devant l'Assemblée -, et l'Assemblée nationale n'a pas adopté de motion de censure dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 49.
Le Sénat a ensuite adopté le texte issu de l'Assemblée nationale, sans y apporter de modifications mais après avoir délibéré conformément aux règles constitutionnelles relatives à la procédure législative. Au cours des débats qui ont eu lieu les 4, 5, 6, 7, 11 et 12 mars 2003, le Sénat a examiné 347 amendements portant sur les différents aspects du texte. Ces amendements ont été défendus par leurs auteurs conformément à la procédure législative. Le Sénat s'est prononcé sur chacun d'entre eux. La circonstance qu'aucun amendement n'ait finalement été adopté par le Sénat n'est constitutive d'aucune irrégularité, dès lors que l'exercice du droit d'amendement prévu à l'article 44 de la Constitution - s'il garantit que les amendements recevables et régulièrement déposés soient examinés conformément aux règles de la procédure législative - ne saurait évidemment garantir leur adoption par l'assemblée devant laquelle ils ont été déposés.
Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la procédure législative a été menée dans le respect des règles constitutionnelles applicables et que le grief articulé à cet égard par la seconde saisine ne peut qu'être écarté.
II/ Sur les articles 3 et 4
A/ L'article 3 de la loi déférée, ajoutant un article L 338-1 au code électoral, détermine les modalités de répartition des sièges de conseillers régionaux entre les sections départementales qui composent chaque liste.
L'article 4, pour sa part, modifie l'article L 346 du code électoral, relatif aux déclarations de candidature pour l'élection des conseillers régionaux. Son paragraphe 1° prévoit notamment que les listes de candidats doivent être composées, au sein de chaque section départementale, alternativement d'un candidat de chaque sexe. Son paragraphe 2° élève le seuil permettant à une liste de se maintenir au second tour de scrutin, en substituant à la disposition exigeant l'obtention de 5% du total des suffrages exprimés une disposition nouvelle exigeant d'avoir obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 10% des électeurs inscrits. Il est expressément précisé, dans le cas où une seule liste aurait atteint ce dernier seuil au premier tour, comme dans le cas où aucune liste ne l'aurait atteint, que les deux listes ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages peuvent se maintenir au second tour. Le paragraphe 2° de l'article 4 élève, en outre, le seuil permettant à une liste, en vue du second tour, de fusionner avec une autre liste. La loi déférée porte ce seuil de 3% à 5% des suffrages exprimés.
Selon les députés, auteurs du premier recours, les dispositions relatives au relèvement du seuil de participation au second tour auraient été adoptées au terme d'une procédure contraire à l'article 39 de la Constitution. Ces mêmes dispositions méconnaîtraient, au surplus, les termes de l'article 4 de la Constitution et de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que le principe d'égalité garanti par l'article 3 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les députés saisissants articulent les mêmes griefs à l'encontre des dispositions relatives au relèvement du seuil exigé pour permettre la fusion de listes.
Selon les sénateurs, auteurs du second recours, les dispositions des articles 3 et 4 méconnaîtraient l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Ils soutiennent, en outre, que l'article 4 aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière au regard de l'article 39 de la Constitution, que cet article porterait atteinte au principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion, serait contraire à l'article 4 de la Constitution et au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution et par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
B/ Le Gouvernement estime que ces griefs ne sont pas fondés.
1) La critique formulée par les sénateurs requérants au titre de la clarté et de l'intelligibilité de la règle de droit ne peut être suivie. Le mécanisme d'attribution et de répartition des sièges organisé par les articles L 338 et L 338-1 du code électoral, tels qu'ils résultent des articles 2 et 3 de la loi déférée, a été clairement et précisément déterminé par le législateur, qui a prévenu tout risque d'ambiguïté ou difficulté d'interprétation (V. en ce sens la décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999).
En vertu de l'article L 338, les conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours. Les candidats se répartissent sur chaque liste en sections départementales. Dans un premier temps, les sièges sont attribués aux différentes listes en fonction du nombre de suffrages obtenus dans la région par chaque liste. Cette attribution est faite au premier tour de scrutin si une liste a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés et au second tour de scrutin, dans les autres cas. La liste arrivée en tête obtient le quart du nombre des sièges à pourvoir, les autres sièges étant répartis entre les listes qui ont obtenu au moins 5% des suffrages exprimés, suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
Dans un deuxième temps, en vertu du nouvel article L 338-1, les sièges attribués à chaque liste sont répartis, à l'intérieur de la liste, entre les sections départementales proportionnellement aux voix obtenues par la liste dans chaque département, selon la règle de la proportionnelle à la plus forte moyenne. Le nombre de conseillers généraux par département n'est pas fixé a priori. Cette répartition des sièges entre sections départementales est faite en proportion du nombre de suffrages obtenus dans chaque département. A titre d'exemple, une liste ayant obtenu 10 sièges au conseil régional en vertu de l'article L 338 et dont les suffrages se répartissent entre départements à raison de 50% du total dans un premier département, de 30% dans un deuxième et de 20% dans un troisième département, verra ses sièges répartis, en vertu de l'article L 338-1, de la manière suivante : 5 sièges dans le premier département, 3 dans le deuxième et 2 dans le troisième.
Un tel mécanisme est aisément compréhensible. Il est dépourvu d'ambiguïté et a été clairement et précisément déterminé par le législateur. Il permet de concilier deux exigences essentielles : voter dans le cadre de la région pour permettre l'émergence de majorités responsables dans les conseils régionaux, tout en garantissant une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires. On peut relever que le système retenu présente en outre deux avantages : d'une part, celui de prendre automatiquement en compte les évolutions démographiques à l'intérieur d'une région, en ce que les variations de la population - et donc du nombre d'électeurs - se traduiront directement sur le nombre d'élus de chaque section départementale ; d'autre part, celui d'ajuster précisément la représentation départementale de chaque liste en fonction du nombre de voix obtenues dans chaque département. Ces deux objectifs peuvent être atteints parce que le nombre de conseillers régionaux par département n'est pas limité a priori : si toutes les listes obtiennent leur plus grand nombre de suffrages dans un département en raison de son poids démographique ou d'une plus forte participation, le nombre des conseillers régionaux figurant sur les listes au titre de la section de ce département sera plus élevé, sans pour autant aboutir à priver aucun département d'une représentation.
On peut aussi observer que la détermination de seuils de fusion de listes ou de participation au second tour en fonction de suffrages exprimés ou d'électeurs inscrits ne peut susciter de critiques en termes d'intelligibilité de la règle de droit : les règles sont clairement énoncées par le législateur et ne suscitent aucune difficulté de compréhension ou d'application.
Enfin, il faut relever que ne saurait emporter la conviction sur un plan constitutionnel le reproche selon lequel aucune disposition n'imposerait au candidat tête de liste au plan régional d'être inscrit en tête au titre d'une section départementale. En s'abstenant de prévoir des dispositions à ce titre, le législateur n'a méconnu aucune exigence constitutionnelle : la composition des listes relève de la responsabilité des candidats aux élections et des partis politiques ; l'élection du président du conseil régional appartient au conseil régional ; la question de la place des candidats sur une liste et du choix de la personnalité appelée à en prendre la tête relève du débat politique et non du contrôle de constitutionnalité des lois.
Pour ces raisons, le Gouvernement considère que le grief tiré du défaut de clarté ou d'intelligibilité de la loi manque en fait.
2) En ce qui concerne l'article 4 de la loi déférée, les auteurs des recours critiquent d'abord la procédure ayant conduit à l'adoption de certaines des dispositions de cet article, en se prévalant des termes de l'article 39 de la Constitution.
Aux termes du second alinéa de cet article, « les projets de lois sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ». Le Conseil constitutionnel a déjà été conduit à vérifier, par application de ces dispositions, que des projets de loi présentés par le Premier ministre avaient été délibérés par le Conseil des ministres et avaient fait l'objet d'une consultation du Conseil d'Etat (décision n°90-285 DC du 28 décembre 1990 ; décision n°94-357 DC du 25 janvier 1995 ; décision n°2000-433 DC du 27 juillet 2000).
En l'espèce, le Conseil d'Etat a bien été saisi d'un projet de loi relatif à l'élection des sénateurs, des conseillers régionaux, des représentants au Parlement européen et à l'aide publique aux partis politiques, sur lequel il a émis un avis au cours de sa séance du 27 janvier 2003. Les saisissants font toutefois valoir que cette consultation n'a pas été régulière, au motif que le projet de loi déposé au Parlement, après sa délibération lors du Conseil des ministres du 29 janvier 2003, comporte, à son article 4, les mots « du nombre des électeurs inscrits », mots qui ne figuraient ni dans le texte soumis au Conseil d'Etat, ni dans l'avis rendu par ce dernier.
Contrairement à ce que soutiennent les auteurs des saisines, le Gouvernement estime que cette seule circonstance ne constitue pas une violation de l'article 39 de la Constitution affectant la constitutionnalité de la loi votée par le Parlement.
Il convient de rappeler à cet égard l'objet de la consultation du Conseil d'Etat sur les projets de loi, telle qu'elle est prescrite par l'article 39 de la Constitution.
Ainsi que le reconnaissent d'ailleurs les auteurs du premier recours, la portée juridique de cette consultation doit être clairement distinguée de celle à laquelle il est procédé sur des textes à caractère réglementaire, lorsque ces textes doivent revêtir la forme d'un décret pris « en Conseil d'Etat ». Dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat doit être regardé comme le véritable « co-auteur » des dispositions réglementaires. Le Gouvernement, après la consultation du Conseil d'Etat, ne peut que choisir entre son projet initial et celui adopté par le Conseil. Il ne saurait recourir à une rédaction tierce sans que le texte ainsi amendé soit entaché d'incompétence (CE Sect. 1er juin 1962, Union générale des syndicats de mandataires des halles centrales et autres, Rec. p.362 ; CE 26 avril 1974, Villate, Rec. p.253 ; CE 9 février 1994, Préfet de Seine et Marne, Rec. p.60 ; CE 4 avril 1997, Marchal, Rec. p.131). Mais cette solution ne s'explique que par le fait que le Gouvernement, lorsqu'il agit par la voie de décrets en Conseil d'Etat, exerce une compétence conjointement avec le Conseil d'Etat (V. les motifs de CE Ass 9 juin 1978, Société civile immobilière du 61-67 boulevard Arago, Rec. p.237).
C'est d'ailleurs en raison de la force juridique particulière de l'avis ainsi rendu que le Conseil constitutionnel a considéré que le renvoi à un décret en Conseil d'Etat pouvait constituer une garantie essentielle et relever, à ce titre, de la compétence du législateur (décision n°73-76 L du 20 février 1973).
L'intervention du Conseil d'Etat dans la procédure d'élaboration des projets de loi, même si elle a été consacrée pour la première fois par la Constitution du 4 octobre 1958, n'a pas une telle portée. Le pouvoir constituant n'a pas entendu faire du Conseil d'Etat le « co-auteur » des projets de loi. Il a voulu garantir, dans un souci de qualité du travail d'élaboration de la loi, que la délibération, de nature politique, du Conseil des ministres, serait éclairée par l'expertise du Conseil d'Etat. Destiné au Gouvernement, et à lui seul, l'avis du Conseil d'Etat, qui est en principe secret, a pour objet de lui permettre d'arrêter en Conseil des ministres le texte définitif des projets dont il entend saisir le Parlement.
En résumé, l'article 39 de la Constitution pose une obligation de consultation, tout en préservant entièrement la compétence du Conseil des ministres pour arrêter le projet de loi. Il en résulte, assurément, que le Conseil d'Etat doit avoir été saisi de l'économie du projet de loi envisagé. Si le Conseil constitutionnel estimait que la formalité prévue par l'article 39 est plus exigeante, ce ne pourrait être qu'en considérant que cet article implique que le Conseil d'Etat ait été mis à même de se prononcer sur l'ensemble des questions posées par le projet. Cela interdirait au Gouvernement de retenir des dispositions étrangères au champ de la saisine du Conseil d'Etat. Mais, en tout état de cause, l'article 39 ne saurait faire obstacle à ce que soient adoptées, en Conseil des ministres, et au vu de l'avis du Conseil d'Etat sur les questions posées, des dispositions différentes de celles figurant dans le texte soumis à ce dernier.
Telle est aussi la pratique constante suivie sous l'empire de la Constitution de la Vème République, ainsi qu'en témoigne la rédaction de la circulaire du Premier ministre en date du 30 janvier 1997 relative aux règles d'élaboration, de signature et de publication des textes au Journal officiel et à la mise en oeuvre de procédures particulières incombant au Premier ministre (point 3.7. - JO du 1er février 1997).
Telle est aussi la position adoptée par le Conseil d'Etat pour les consultations qui précèdent l'adoption d'actes réglementaires, réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat.
Au cas présent, le Gouvernement entend souligner que le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble des questions soulevées par le projet de loi délibéré au cours de la séance du Conseil des ministres du 29 janvier 2003. Le Conseil d'Etat a notamment été saisi de la question posée par la modification introduite au deuxième alinéa de l'article L 346 du code électoral, qui était celle du seuil nécessaire pour qu'une liste de candidats aux élections régionales puisse se maintenir au second tour de scrutin. Le projet soumis au Conseil d'Etat soulevait cette question, puisqu'il envisageait un relèvement de ce seuil, passant de 5 à 10% des suffrages exprimés. Le Conseil d'Etat a été ainsi mis à même d'exprimer son avis sur cette question du seuil au second tour. La circonstance que le Gouvernement ait finalement décidé d'introduire dans le projet qu'il entendait soumettre au Parlement, seul investi du pouvoir de décision, des dispositions relevant de manière plus significative ce seuil de maintien au second tour ne constitue pas une question nouvelle par rapport à celles qui avaient été soumises au Conseil d'Etat, dès lors que ces dispositions ne présentent pas de différence de nature, mais simplement de degré, avec celles dont le Conseil d'Etat avait été saisi.
Les saisissants souhaiteraient aller au-delà et faire consacrer une conception particulièrement restrictive de la liberté dont dispose le Gouvernement lorsqu'il arrête les projets de loi. Mais cette conception ne paraît pas admissible, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, elle reviendrait nécessairement à faire une nouvelle lecture de l'article 39 de la Constitution, qui prévoit que « les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres », en réduisant, en pratique, cette délibération à une simple alternative d'acceptation ou de rejet du texte qui, en pareil cas, devrait à nouveau être soumis à la consultation du Conseil d'Etat. Une telle lecture porterait atteinte aux pouvoirs du Conseil des ministres et à la marge d'appréciation des autorités politiques qui serait très strictement limitée par l'avis rendu. Elle aurait ainsi une incidence non négligeable sur le fonctionnement des institutions. L'article 39 ne peut être interprété que d'une manière telle qu'il concilie le rôle et les attributions respectifs du Conseil des ministres et du Conseil d'Etat, sans que cette interprétation ne déséquilibre leurs rapports mutuels.
En deuxième lieu, privant le Gouvernement de la marge de liberté dont il estimait jusqu'ici disposer, une telle interprétation l'empêcherait de procéder à des ajustements souvent nécessaires pour concilier les améliorations apportées au texte par le Conseil d'Etat avec des préoccupations d'ordre politique et le contraindrait, sauf à recommencer la consultation du Conseil d'Etat, à revenir à son texte initial, ce qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi par l'article 39, qui est d'assurer la qualité des textes. Les conditions mêmes d'élaboration des projets de loi seraient sérieusement affectées, en ce que les pratiques usuelles, expressément codifiées par la circulaire susmentionnée du 30 janvier 1997 qui n'ont jamais donné lieu à critique, seraient remises en cause.
Il y aurait, en troisième lieu, quelque paradoxe à ce que le Gouvernement soit soumis à des contraintes supérieures, lorsqu'il consulte en vue de la mise au point d'un projet de loi dont la teneur sera, en tout état de cause, décidée par le Parlement, que lorsqu'il recueille l'avis d'organismes en vue d'une décision qu'il prendra lui-même.
Or, toujours réserve faite du cas particulier des décrets en Conseil d'Etat, on rappellera que, s'agissant des consultations précédant l' adoption de dispositions réglementaires, la jurisprudence administrative se montre soucieuse d'éviter que le Gouvernement ne puisse, sans recommencer la consultation, faire évoluer le texte sur lequel un avis a été recueilli. Ainsi la consultation est-elle régulière, dès lors que l'organisme consulté a été mis à même d'exprimer son opinion sur la question posée, sans que la définition de la question fasse l'objet d'une très stricte appréciation (CE Sect. 12 novembre 1954, Jammes, Rec.p.585 ; CE 15 mai 1959, Lacroix, Rec.p.310, CE 16 octobre 1974, Syndicat national de l'éducation physique de l'enseignement public, p.487). L'autorité compétente dispose d'une marge d'appréciation étendue pouvant conduire à l'adoption régulière de dispositions dont la portée est très sensiblement différente de celles qui avaient été présentées à l'organisme consulté.
A titre d'exemple, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a jugé que le conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat avait été régulièrement consulté sur un texte disposant que, pour la détermination de certains droits, les périodes de travail à temps partiel des stagiaires de l'Etat étaient prises en compte « pour leur durée effective », alors que le projet qui lui avait été soumis prévoyait, au demeurant de manière indirecte, qu'elles seraient assimilées à des périodes de temps plein : comme le relève cette décision du Conseil d'Etat, l'organisme consulté avait été mis en mesure de se prononcer sur la question posée, qui était celle des modalités de prise en compte des périodes de travail à temps partie des stagiaires (CE Ass. 23 octobre 1998, Union des fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilées (UFFA-CFDT), Rec. p.360).
Enfin, on soulignera que la Constitution prévoit d'autres consultations obligatoires sur les projets de loi (par exemple celle du Conseil économique et social ou des assemblées des collectivités d'outre-mer), qui ne sont pas, d'un point de vue juridique, d'une nature différente de celle du Conseil d'Etat. On imagine la rigidité dont serait affectée l'élaboration des projets de loi, si l'interprétation de l'article 39 préconisée par les saisissants valait également pour ces consultations qui s'ajoutent à celle du Conseil d'Etat.
Une telle contrainte serait d'autant plus vaine que le droit d'amendement constitutionnellement reconnu par l'article 44 de la Constitution au Gouvernement comme aux parlementaires peut ensuite conduire à modifier substantiellement le projet de texte soumis au Parlement y compris en y ajoutant des dispositions entièrement nouvelles, dès lors qu'elles ne sont pas dénuées de tout lien avec le texte initial, ainsi que le juge le Conseil constitutionnel.
C'est pourquoi le Gouvernement estime que l'adoption du projet de loi par le Conseil des ministres avant son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale ne peut être jugée contraire à l'article 39 de la Constitution.
3) Les saisines critiquent également le bien-fondé des dispositions de l'article 4 par lesquelles le législateur a, d'une part, relevé à 5% des suffrages exprimés le seuil permettant la fusion de listes en vue du second tour et, d'autre part, relevé à 10% des électeurs inscrits le seuil en dessous duquel une liste ne peut se maintenir au second tour. Elles soutiennent à cet égard que les dispositions nouvelles porteraient atteinte à la liberté des partis politiques garantie par l'article 4 de la Constitution, au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et méconnaitraient le principe d'égalité.
Le Gouvernement estime qu'aucune de ces critiques n'est fondée.
Il entend rappeler, d'abord, que la Constitution n'impose aucun mode de scrutin pour les élections autres que celle du Président de la République. Sans doute des règles constitutionnelles, au premier rang desquelles l'égalité du suffrage, doivent recevoir application, mais c'est au législateur, compétent en vertu de l'article 34 de la Constitution, qu'il appartient de déterminer le mode de scrutin applicable à chaque élection et de retenir, ce faisant, parmi la très grande variété de systèmes possibles, celui qui lui paraît le mieux adapté. Il procède, ce faisant, à un nécessaire arbitrage entre des considérations liées à la représentation des différents courants politiques et les impératifs qui appellent l'émergence de majorités claires pour conduire l'action des collectivités publiques.
A cet égard, ainsi qu'il a déjà expressément été jugé, la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation identique à celui du Parlement. Il n'appartient pas au Conseil de rechercher si l'objet que le législateur s'est assigné aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées (V. précisément pour le mode de scrutin régional la décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999 ; V. aussi, pour le découpage des circonscriptions électorales législatives, la décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986).
En l'espèce, l'objectif poursuivi par le législateur consiste à favoriser la constitution de majorités stables et cohérentes dans les conseils régionaux, en remédiant à l'émiettement de la représentation dans ces conseils. Les seuils requis pour se maintenir au second tour ou pour procéder à une fusion de listes, respectivement fixés à 10% des électeurs inscrits et 5% des suffrages exprimés, ne sont pas manifestement inappropriés par rapport à l'objectif poursuivi. Ils visent à permettre aux électeurs de choisir entre les différentes listes, dans la clarté et en toute connaissance de cause. Sans doute le législateur aurait-il pu décider d'autres modalités - les règles applicables aux différents scrutins montrent d'ailleurs qu'il lui est loisible d'adopter des dispositions très variées selon les types d'élection -, mais celles qu'il a adoptées en l'espèce dans le cadre de son pouvoir d'appréciation ne sont pas susceptibles d'être jugées contraires à la Constitution.
En particulier, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions adoptées par le législateur ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté des partis politiques, au pluralisme des courants d'idées et d'opinions, ou au principe d'égalité.
La liberté des partis politiques qui, selon l'article 4 de la Constitution, concourent à l'expression du suffrage et doivent pouvoir se former et exercer leur activité librement n'est nullement mise en cause. Les seuils fixés par l'article 4 de la loi déférée n'ont ni pour objet ni pour effet de régir la création ou le fonctionnement des partis politiques ou d'interdire à quiconque de se présenter aux élections régionales ; ils n'interdisent pas aux partis de constituer des listes de candidats ou de participer librement au débat politique et à la campagne électorale. Ils constituent seulement l'un des éléments de la règle du jeu électoral applicable aux élections régionales. L'article 4 de la Constitution n'implique évidemment pas que tous les partis qui présentent des candidats aux élections aient le droit d'être présents au second tour de scrutin ou d'avoir des représentants élus.
L'exigence du pluralisme des courants d'idées et d'opinions constitue, ainsi qu'il a été jugé, le fondement même de la démocratie (décision n°89-271 DC du 11 janvier 1990). Mais les conséquences qui en découlent ne sont naturellement pas de même nature selon que le législateur détermine les règles applicables à la communication audiovisuelle (décision n°81-129 DC des 30 et 31 octobre 1981 ; décision n°82-141 DC du 27 juillet 1982 ; décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986), aux entreprises de presse (décision n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984), au financement public des partis politiques (décision n°89-271 DC du 11 janvier 1990) ou selon qu'il détermine un mode de scrutin. L'objet même d'une loi fixant un mode de scrutin est de déterminer les règles selon lesquelles est organisée la compétition électorale qui voit s'affronter plusieurs candidats. Elle vise à concilier des exigences de représentation avec la nécessité de permettre l'émergence de majorités de gestion à même de diriger, dans la durée, l'action des collectivités publiques. L'exigence constitutionnelle de pluralisme pourrait sans doute s'opposer à ce que le législateur subordonne le droit de se porter candidat à des conditions injustifiées ; mais elle ne paraît pas s'opposer par principe à ce que le législateur mette des conditions d'accès au second tour de scrutin, sauf à ce qu'elles aient pour effet de dénaturer l'exercice démocratique.
Sur ce dernier point, le Gouvernement entend souligner que l'article 4 de la loi déférée a expressément veillé à ce qu'en toute hypothèse au moins deux listes soient présentes au second tour de scrutin, quels que soient les résultats obtenus par les listes en présence au premier tour. Le législateur a aussi prévu la possibilité pour des listes de fusionner entre les deux tours de scrutin. Compte tenu de ces précisions, il ne peut être valablement soutenu que les seuils fixés par l'article 4 seraient de nature à dénaturer l'exercice démocratique : le second tour offrira toujours aux électeurs un choix entre au moins deux listes, dont la composition pourra être pluraliste selon les options retenues par les candidats. Dans ces conditions, il n'apparaît pas au Gouvernement que les dispositions adoptées par le législateur porteraient atteinte à l'exigence constitutionnelle de pluralisme. On peut d'ailleurs noter que l'article 7 de la Constitution réserve l'accès du second tour de l'élection présidentielle à seulement deux candidats.
Les règles adoptées par le législateur ne portent, enfin, pas atteinte au principe d'égalité du suffrage. Les mêmes règles seront appliquées pour l'élection de tous les conseils régionaux. La circonstance qu'un seuil de maintien d'une liste au second tour soit déterminé en fonction non des suffrages exprimés mais des électeurs inscrits ne peut être regardée comme étant contraire au principe d'égalité : dans les deux cas, les résultats dépendent du choix des électeurs et de l'expression de leurs suffrages, mesurés dans le cadre de règles connues d'eux et déterminées par la loi. Il n'est, dès lors, pas vrai de dire que des listes pourraient être privées de représentation pour des causes qui sont étrangères au déroulement du scrutin. On peut aussi observer que le droit positif connaît déjà des seuils de maintien au second tour déterminé en fonction des électeurs inscrits (V. pour les élections cantonales l'article L 210-1 du code électoral qui prévoit un seuil de 10% des électeurs inscrits, ainsi que, pour les élections législatives, l'article L 162 du code électoral qui fixe un seuil de 12,5% des électeurs inscrits).
Le Gouvernement estime ainsi que le choix de relever les seuils de maintien au second tour et de fusion des listes, qui ont été effectués par le législateur dans le cadre de son pouvoir général d'appréciation, ne méconnaissent aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle. Il considère, en conséquence, que les griefs des saisines critiquant le bien fondé de ces dispositions de l'article 4 de la loi déférée ne pourront qu'être écartés.
III/ Sur l'article 9
A/ L'article 9 modifie certaines des dispositions particulières applicables à l'élection des membres de l'assemblée de Corse, sans modifier l'article L 370 du code électoral qui traite des déclarations de candidature à ces élections.
Les députés et sénateurs saisissants critiquent ces dispositions au motif qu'elles ont maintenu, pour l'élection à l'assemblée de Corse, les règles antérieures relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes, sans étendre les dispositions, différentes, adoptées par la loi déférée pour l'élection des conseillers régionaux, ce qui porterait atteinte au principe d'égalité garanti par les articles 1er et 3 de la Constitution.
B/ Une telle argumentation ne pourra être retenue.
On voit mal, en premier lieu, quelle serait au cas présent la disposition votée par le Parlement qui pourrait faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Comme le reconnaissent les auteurs des recours, le législateur n'a pas modifié les règles relatives à la composition des listes entre les femmes et les hommes s'agissant des élections à l'assemblée de Corse : les dispositions en cause, qui figurent à l'article L 370 du code électoral, résultent d'une loi promulguée qui n'a été sur ce point ni modifiée, ni complétée, ni affectée par la loi déférée. Dans un tel cas, le Conseil constitutionnel considère qu'il ne peut examiner la conformité à la Constitution de telles dispositions (décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985 ; décision n° 86-211 DC du 26 août 1986 ; décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 ; décision n°99-410 DC du 15 mars 1999 ; décision n° 99-414 DC du 8 juillet 1999 ; décision n°2002-464 DC du 27 décembre 2002).
En second lieu, et en tout état de cause, on doit relever que la collectivité de Corse constitue une collectivité territoriale de la République à statut particulier (décision n°91-290 DC du 9 mai 1991 ; décision n°2001-454 DC du 17 janvier 2002). Le législateur a pu doter cette collectivité d'un statut spécifique comportant, notamment, des règles particulières pour l'élection de l'assemblée délibérante. C'est ainsi que, depuis le statut de 1991, les dispositions qui régissent l'élection des membres de l'assemblée de Corse diffèrent des règles applicables aux élections régionales, notamment en ce que les élections à l'assemblée de Corse ont lieu, depuis cette date, dans un cadre territorial sans ancrage départemental (décision n°91-290 DC du 9 mai 1991).
Peut-être le principe d'égalité pourrait-il s'opposer, dans certaines circonstances, à ce que le législateur institue des règles pour les membres de l'assemblée de Corse qui diffèrent des règles applicables aux conseillers régionaux. Ce serait toutefois à la double condition que le législateur entende procéder à une forme d'assimilation entre les collectivités et qu'aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne puisse être avancée (V. pour le cumul des mandats électifs la décision n°91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 23 et 24).
Mais, en l'espèce, le Gouvernement relève que le mode de scrutin applicable aux élections à l'assemblée de Corse diffère de celui retenu pour les élections régionales, notamment en ce que les élections à l'assemblée de Corse se déroulent sans sections départementales. Le législateur pouvait ainsi, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité, conserver ce mode de scrutin spécifique résultant du statut de la Corse : c'est pourquoi il n'a, par la loi déférée, expressément repris pour la Corse que les seules dispositions susceptibles de valoir indifféremment pour les conseils régionaux et pour l'assemblée de Corse. Tel n'était pas le cas des règles relatives à la parité qui trouvent leur traduction dans les règles de composition des listes de candidats : ces règles seront différentes pour les élections régionales et pour les élections à l'assemblée de Corse, compte tenu de l'absence en Corse de sections départementales. En raison des différences objectives qui séparent ces deux modes de scrutin, qui sont liées à la spécificité de la collectivité territoriale de Corse, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité en conservant, pour l'heure et pour cette collectivité, les règles de composition des listes de candidats qui prévalaient antérieurement.
IV/ Sur l'article 10
A/ L'article 10 de la loi déférée modifie les dispositions de l'article L 280 du code électoral relatif à la composition du collège électoral procédant à l'élection des sénateurs, pour préciser que les conseillers régionaux relèvent du collège électoral du département correspondant à la section départementale de laquelle ils relèvent.
Les sénateurs, auteurs du second recours, contestent l'intelligibilité de cette disposition qui serait, de surcroît, contraire à l'article LO 274 du code électoral, au principe d'égalité et au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
B/ Ces griefs seront écartés.
Les dispositions de l'article 10 de la loi déférée, et d'ailleurs aussi celles de son article 11, se bornent à tirer les conséquences, sur la composition du collège électoral départemental appelé à élire les sénateurs, de l'élection des conseillers régionaux dans le cadre de sections départementales. La loi n°99-36 du 19 janvier 1999 avait été conduite à préciser, pour les conseillers régionaux que cette loi faisait élire dans un cadre régional sans ancrage départemental et pour les membres de l'assemblée de Corse, les modalités selon lesquelles ces grands électeurs devaient être rattachés à un collège départemental (V. les articles L 280 et L 293-1 à L 293-3 du code électoral dans leur rédaction résultant de la loi du 19 janvier 1999, qui n'ont pas été jugés contraires à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n°98-407 DC du 14 janvier 1999). Dès lors que, pour les conseillers régionaux, leur élection sera désormais acquise après une candidature présentée dans le cadre d'une section départementale, la procédure de désignation prévue antérieurement n'avait plus lieu d'être conservée pour ce qui les concerne. C'est ce qui explique les modifications adoptées par les articles 10 et 11 de la loi déférée.
Le rattachement au collège électoral correspondant à la section départementale au titre de laquelle sont élus les conseillers régionaux est, contrairement à ce qui est soutenu, parfaitement intelligible. La règle nouvelle est objective et rationnelle et n'emportera aucune distorsion arbitraire, compte tenu de ce que la répartition, selon le mécanisme précédemment exposé, des sièges de conseillers régionaux entre les différentes sections départementales se fera proportionnellement au nombre de voix obtenues par les listes dans chaque département.
On peine enfin à discerner en quoi l'article 10 de la loi déférée pourrait méconnaître l'article LO 274 du code électoral selon lequel « le nombre de sénateurs élus dans les départements est de 304 ». Le Conseil constitutionnel a déjà écarté un grief tiré de l'article LO 274, alors dirigé contre les dispositions sur le rattachement des conseillers régionaux à un collège départemental qui figuraient dans la loi du 19 janvier 1999 (décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999). On voit encore moins pourquoi la disposition aujourd'hui déférée pourrait encourir la censure.
V/ Sur les articles 14 et 15
A/ L'article 14, modifiant l'article 3 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977, détermine le mode de scrutin applicable aux élections des représentants au Parlement européen, en retenant un scrutin de liste par circonscription, à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel ; les sièges sont répartis entre les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés suivant la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. L'article 15 précise que la composition des circonscriptions est fixée conformément à l'annexe 2 de la loi et détermine les conditions de répartition des sièges entre ces circonscriptions.
Les députés, auteurs du premier recours, soutiennent que ces dispositions porteraient atteinte aux principes de liberté et de pluralisme, ainsi qu'au principe d'égalité.
Les sénateurs saisissants estiment que la substitution d'un mode de scrutin par circonscriptions régionales à un mode de scrutin à circonscription nationale unique porterait atteinte au principe d'indivisibilité de la République ainsi qu'au principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions.
B/ Le Gouvernement ne souscrit pas à cette analyse.
1) Le grief tiré de l'atteinte à l'indivisibilité de la République tente de prendre appui sur la décision n°76-71 DC du 30 décembre 1976 par laquelle le Conseil constitutionnel a estimé que l'acte du 20 septembre 1976 relatif à l'élection des représentants à l'Assemblée des communautés européennes ne comportait pas de clause contraire à la Constitution. Dans cette décision, le Conseil avait relevé que l'acte soumis à son examen ne modifiait pas la nature de cette Assemblée, qui demeurait composée de représentants des peuples des Etats membres et qu'il ne comportait aucune stipulation fixant, pour l'élection des représentants français, des modalités de nature à mettre en cause l'indivisibilité de la République.
Certains avaient cru pouvoir déduire des motifs retenus par le Conseil que seul un scrutin dans le cadre d'une circonscription nationale unique serait susceptible de respecter le principe d'indivisibilité de la République, en considérant que les élus au Parlement européen, destinés à représenter le peuple français dans son entier, ne pouvaient se borner à représenter telle ou telle région. Cette interprétation de la décision du 30 décembre 1976 a été contestée par une partie de la doctrine, qui a critiqué l'idée selon laquelle des circonscriptions régionales pour les élections européennes pourraient être contraires au principe d'indivisibilité de la République alors qu'il n'a jamais été soutenu que l'élection des députés à l'Assemblée nationale dans le cadre de circonscriptions législatives porterait atteinte à ce principe. On peut par ailleurs rappeler que l'Assemblée européenne n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française et qu'elle ne participe pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision n°76-71 DC du 30 décembre 1976 ; décision n°92-308 DC du 9 avril 1992). Plus certainement, sans doute, les motifs de la décision du 30 décembre 1976 entendaient interdire l'instauration de circonscriptions transfrontalières, communes à plusieurs Etats membres des communautés européennes.
Au cas présent, le Gouvernement estime en tout état de cause que les articles 14 et 15 de la loi déférée, qui retiennent le principe d'un scrutin européen dans le cadre de 8 circonscriptions régionales, ne portent pas atteinte au principe d'indivisibilité de la République. Il relève, en particulier, que le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992 a introduit dans le Traité instituant la Communauté européenne des stipulations relatives à la citoyenneté de l'Union européenne (V. les articles 8 à 8 E devenus les articles 17 à 22 du traité CE). L'article 19 du traité reconnaît ainsi à tout citoyen de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est pas le ressortissant le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. Le Conseil constitutionnel n'a pas estimé ces stipulations contraires à la Constitution (décision n°02-308 DC du 9 avril 1992), prenant particulièrement en considération les attributions et la nature du Parlement européen. Compte tenu de ces stipulations, il paraît difficile d'imaginer en quoi le mode de scrutin retenu pourrait porter atteinte à l'indivisibilité de la République.
2) Les griefs tirés des « principes de liberté et de pluralisme » n'emportent pas la conviction. Comme il a été dit précédemment à propos du mode de scrutin retenu pour l'élection des conseillers régionaux, il est loisible au législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, d'adopter le mode de scrutin qui lui paraît le mieux adapté à une catégorie d'élections. En l'espèce, prenant en considération l'intérêt général qui s'attache à une représentation équilibrée de l'ensemble du territoire et à une plus grande proximité entre les électeurs et les représentants au Parlement européen, le législateur a décidé de retenir un mode de scrutin dans le cadre de huit grandes circonscriptions régionales. Il n'en résulte aucune atteinte au pluralisme. On peut relever, d'ailleurs, que le mode de scrutin retenu est la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne.
3) S'agissant du principe d'égalité et de la répartition du nombre de sièges dévolus à la France entre les huit circonscriptions régionales, les députés saisissants se prévalent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au découpage des circonscriptions électorales.
On pourrait s'interroger à cet égard sur le cadre constitutionnel applicable aux élections au Parlement européen. Il est vrai que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques (décision n°85-196 DC du 8 août 1985 ; décision n°85-197 DC du 23 août 1985 ; décision n°86-208 DC du 2 juillet 1986 ; décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986). Mais ce principe, qui trouve sa source dans les articles 1er et 3 de la Constitution et dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, vaut pour les élections politiques qui mettent en cause l'expression de la souveraineté nationale. S'il est applicable pour l'élection du congrès de Nouvelle Calédonie, c'est parce que cet organe ne se limite pas à la simple administration du territoire (décision n°85-196 DC du 8 août 1095) ; s'il est applicable aux élections municipales, c'est parce que des élus municipaux participent à l'élection du Sénat (décision n°87-227 DC du 7 juillet 1987).
Or le Parlement européen relève d'un ordre juridique propre, distinct de l'ordre institutionnel de la République française, et ne concourt pas à l'exercice de la souveraineté nationale (décision n°92-308 DC du 9 avril 1992). On peut dès lors s'interroger sur la transposition directe du principe selon lequel la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée sur des bases essentiellement démographiques. Cette interrogation pourrait conduire à estimer que le législateur dispose, pour les élections au Parlement européen, d'une marge d'appréciation plus large, sans que cela lui permette, pour autant, de s'affranchir du respect du principe d'égalité pris dans son acception générale.
En l'espèce, il résulte, en tout état de cause, des termes mêmes de la loi déférée que la critique tirée du principe d'égalité ne peut qu'être écartée et que la répartition des sièges a été organisée par le législateur de telle façon que sont pleinement respectées les exigences constitutionnelles rappelées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le législateur a adopté le principe d'un scrutin par circonscriptions régionales. Il a fixé à huit le nombre de ces circonscriptions et déterminé leur composition, en respectant les limites administratives des régions. L'article 15 de la loi déférée précise que les sièges des représentants français au Parlement européen sont répartis entre les circonscriptions régionales proportionnellement à leur population, avec application de la règle du plus fort reste, en se fondant sur le chiffre de la population résultant du dernier recensement général. Le nombre de sièges est constaté par décret au plus tard à la date de convocation des électeurs. Il résulte directement de ces dispositions que la répartition des sièges entre les huit circonscriptions régionales sera faite sur des bases essentiellement démographiques, selon une règle précisément fixée par le législateur de proportionnalité par rapport à la population des circonscriptions. De telles dispositions législatives ne peuvent être regardées comme étant contraires au principe constitutionnel d'égalité.
VI/ Sur l'article 17
A/ L'article 17, modifiant l'article 9 de la loi du 7 juillet 1977, détermine les règles relatives aux déclarations de candidature pour les élections des représentants au Parlement européen et précise, notamment, que les listes présentées par circonscription sont composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.
Cette dernière disposition est critiquée par les députés saisissants au motif qu'elle méconnaîtrait l'article 3 de la Constitution selon lequel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
B/ Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir cette critique.
En adoptant les nouvelles dispositions de l'article 3 de la Constitution, le pouvoir constituant a entendu permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (décision n°2000-429 DC du 30 mai 2000). Comme l'a reconnu le Conseil constitutionnel, le législateur peut ainsi adopter des dispositions revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant. Mais c'est au législateur qu'il appartient de déterminer, pour chaque élection, les dispositions qui lui paraissent le plus appropriées et il lui est loisible de modifier pour l'avenir les règles antérieurement édictées. On ne saurait, dès lors, déduire des dispositions de l'article 3 de la Constitution qu'elle s'opposeraient à ce que le législateur modifie les règles applicables à un mode de scrutin déterminé au motif que cette modification serait susceptible d'avoir pour conséquence une moindre représentation des femmes.
Au demeurant, il faut souligner que le législateur, dans le cadre du mode de scrutin par circonscriptions régionales qu'il a décidé d'instituer, a prévu que les listes de candidats par circonscription devront être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe. Il ne peut être démontré que ces règles, par elles-mêmes, aboutiraient nécessairement à une moindre représentation des femmes au Parlement européen que celle qu'impliquaient les dispositions antérieures, qui n'ont, d'ailleurs, compte tenu de leur date d'entrée en vigueur, jamais reçu application.
VII/ Sur l'article 28
A/ L'article 28 abroge l'article 23 de la loi n°77-729 du 7 juillet 1977 relatif au vote des Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centre de vote pour l'élection du président de la République.
Selon les auteurs de la première saisine, cette abrogation aurait pour effet de priver de l'exercice du droit de vote les citoyens français résidant hors des frontières de l'Union européenne, ce qui serait contraire au principe d'universalité du collège électoral.
B/ Le Conseil constitutionnel devra écarter ce grief.
L'article 23 de la loi du 7 juillet 1977 avait pu prévoir, alors que le mode de scrutin en vigueur avait pour base une circonscriptions nationale unique, que les Français établis hors de France et inscrits sur des listes de centres de vote pour l'élection du Président de la République exercent leur droit de vote dans les conditions prévues par la loi organique n°76-97 du 31 janvier 1976, sous réserve qu'ils n'aient pas été admis à exercer leur droit de vote pour l'élection des représentants au Parlement européen de l'Etat membre de l'Union européenne où ils résident. Ces dispositions ne pouvaient être conservées dans le cadre d'un scrutin par circonscriptions régionales, sauf à rattacher de manière arbitraire les Français établis hors de France à l'une de ces circonscriptions.
Plutôt que d'organiser un tel rattachement, le législateur a préféré s'en tenir à l'application des dispositions générales du code électoral qui permettent l'inscription sur les listes électorales des communes des Français établis hors de France. Ainsi l'article L 12 du code électoral prévoit que les Français établis hors de France et immatriculés au consulat de France peuvent, sur leur demande, être inscrits sur la liste électorale de leur commune de naissance, de la commune de leur dernier domicile, de la commune de leur dernière résidence, de la commune où est inscrit un de leurs descendants au premier degré. L'article L 12 prévoit aussi la possibilité pour les Français établis hors de France de s'inscrire dans la commune où est né, est inscrit ou a été inscrit l'un de leurs ascendants : dans ce cas, le citoyen qui se prévaut de ces dernières dispositions n'a pas l'obligation de justifier cumulativement de la naissance de son ascendant dans la commune et d'une inscription, présente ou passée, de cet ascendant sur les listes électorales (Cass Civ II 3 juin 1977, Bull n°142 p.100). L'article L 13 du code électoral règle pour sa part la situation des militaires. L'article L 14 prévoit enfin que les Français établis hors de France et les conjoints des militaires de carrière peuvent demander leur inscription sur la liste électorale où est inscrit leur conjoint.
C'est en vertu de ces dispositions que les Français établis hors de France pourront participer à l'élection des représentants au Parlement européen, soit personnellement, soit par procuration, de la même façon qu'ils peuvent participer aux autres élections politiques qui se déroulent dans le cadre de circonscriptions sur le territoire national. On peut relever, en outre, que les Français établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne peuvent aussi choisir de voter dans cet Etat en s'y inscrivant sur les listes électorales propres à l'élection au Parlement européen. Dans ces conditions, il apparaît au Gouvernement que le grief adressé à l'article 28 de la loi déférée ne pourra être retenu.
En définitive, le Gouvernement est d'avis qu'aucun des griefs articulés par les parlementaires requérants n'est de nature à conduire à la censure des dispositions de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. Aussi estime-t-il que le Conseil constitutionnel devra rejeter les recours dont il est saisi.
RECOURS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
14 février 2003
Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
2 rue de Montpensier, 75002 Paris.
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil, nous avons l'honneur de déférer à votre examen, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, l'ensemble de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux, des représentants au Parlement européen et aide publique aux partis politiques.
Sur la procédure législative
Le texte critiqué a été adopté au terme d'une procédure législative méconnaissant les règles constitutionnelles applicables, et portant une atteinte à la sincérité du débat parlementaire. Qu'en particulier la violation du second alinéa de l'article 39 C, d'une part, et des articles 34 et 44 C, d'autre part, est certaine.
I. Sur la violation du second alinéa de l'article 39 de la Constitution
L'article 39 alinéa 2 dispose que les projets de loi sont délibérés en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat et déposés sur le bureau de l'une des deux assemblées. Cette obligation constitutionnelle quant à la procédure d'élaboration de la loi conduit à une vérification de la réalité de la consultation du Conseil d'Etat sur le projet de loi. C'est sur cette voie que vous vous êtes engagé par au moins deux décisions. Vous avez ainsi considéré « que le dépôt sur le bureau de l'Assemblée Nationale, le 4 octobre 1990, d'une lettre rectificative au projet de loi de finances pour 1991 relative à la contribution sociale généralisée a été précédé de la consultation du Conseil d'Etat et de la délibération du Conseil des Ministres ; qu 'il a été ainsi satisfait aux exigences posées par le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution » (Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, considérant 5 et 6 ; voir également : Décision n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, 9 et 10).
Cette procédure de consultation est donc constitutionnellement sanctionnée.
Il s'ensuit que si le gouvernement peut ne pas suivre l'avis donné par le Conseil d'Etat, il doit cependant l'avoir mis en situation de se prononcer sur le projet de texte tel qu'adopté en Conseil des Ministres. Toute hypothèse inverse conduirait à vider de sa substance la procédure ainsi instituée.
Or, en l'espèce, il est acquis que le projet de loi adopté par le Conseil des Ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale était substantiellement différent de celui proposé à l'avis du Conseil d'Etat. Qu'il en allait ainsi, en particulier, de la disposition relative aux seuils prévus par l'article 4 du projet de loi modifiant l'article L. 346 du code électoral et non soumise à l'avis du Conseil d'Etat. Que ces seuils posent un problème majeur au regard du principe de pluralisme et qu'en s'abstenant de consulter le Conseil d'Etat sur ce point, le gouvernement a violé l'article 39 de la Constitution.
Il ne saurait être tiré argument, à cet égard, du caractère non public de l'avis du Conseil d'Etat dès lors qu'à l'occasion de la saisine du Conseil Constitutionnel celui-ci peut lui être transmis (voir les Grands Avis, 1997, page 56) et qu'à défaut, le gouvernement devrait répondre à toute injonction de la part du Conseil Constitutionnel sur ce point, sauf à ce qu'un refus persistant fasse la preuve du fait avancé.
Cette méconnaissance d'une règle substantielle de la procédure législative se double, en l'occurrence, d'une autre atteinte à la régularité de la procédure d'adoption de la loi.
II. Sur la violation des articles 34 et 44 de la Constitution
La circonstance que le gouvernement fasse application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution ne saurait être discutée, sous la réserve cependant que la délibération en Conseil des Ministres autorisant le Premier Ministre à engager sa responsabilité soit réelle.
Il demeure que l'application de cette disposition ne doit pas empêcher un débat parlementaire respectueux des droits du Parlement, et en particulier que le Sénat exerce la plénitude de ses droits. Que le respect des droits de l'opposition est également indispensable.
Vous avez déjà eu l'occasion de veiller au respect de ces équilibres (Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994) en considérant, par ailleurs, que « le bon déroulement du débat démocratique, et partant le bon fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels, supposent que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 C et que, parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les procédures mises à leur disposition à ces fins » (Décision n° 95-370 DC du 30 décembre 1995).
Au cas présent, alors que le gouvernement a fait application de l'article 49 alinéa 3 C devant l'Assemblée Nationale et que les sénateurs soussignés n'ont pas fait un usage manifestement excessif de leur droit d'amendement, il était indispensable que le débat en Commission saisie au fond et en séance publique soit le plus complet possible. Que s'agissant d'un projet de loi portant sur les modes de scrutin et donc sur les modalités d'expression du droit de suffrage des citoyens, le bon déroulement du débat démocratique, et partant sa sincérité, devait être totale.
Il n'en a pourtant rien été.
Certes, les amendements déposés par les sénateurs ont pu être présentés en commission des lois et en séance publique. En apparence, les règles constitutionnelles ont donc été respectées.
Mais la réalité est tout autre.
Il ressort, en effet, des comptes rendus de la Commission des lois du Sénat comme des débats en séance publique que la décision de voter conforme le texte critiqué avait été prise quelque soit le nombre, la nature et la portée des amendements déposés. En sorte que ceux-ci n'ont fait l'objet que d'un débat formel ayant l'apparence, d'une procédure conforme aux prescriptions constitutionnelles.
Or, l'article 44 de la Constitution impose que le droit d'amendement comprenne non seulement le droit de proposer une modification ou une adjonction à un projet ou une proposition de loi mais également le droit que cette suggestion soit examinée et discutée sincèrement.
Une entrave à l'exercice d'un droit peut très bien, pour éviter certaines critiques par exemple, se traduire par une grève du zèle. La réalité de ce droit corollaire du droit d'initiative suppose donc que l'examen de chacun des amendements puisse conduire, le cas échéant, à leur adoption. Décider, par avance, que tout amendement sera refusé au motif que le texte examiné doit être voté en termes identiques pour des raisons d'opportunité politique, revient, in concrète, à entraver l'exercice des droits du Parlement et à altérer le bon déroulement du débat démocratique.
En l'espèce, la décision avait été prise, ainsi encore une fois qu'il ressort des débats, de ne donner aucune suite aux amendements déposés par quiconque.
Autrement dit, cette manière de faire n'a pu qu'altérer la sincérité du débat démocratique devant le Sénat avec des effets proches de l'emploi d'une question préalable « positive » ou du recours au vote bloqué tel que défini par l'article 44 C. Un tel refus de débattre véritablement des amendements régulièrement déposés, qui vient s'ajouter à l'absence de débat à l'Assemblée Nationale, en raison de l'application de l'article 49 alinéa 3 C, et alors que les sénateurs ont présenté un nombre d'amendements non manifestement excessifs ne pouvant être assimilé à de la flibuste, vicie la procédure législative dans son ensemble.
De tous ces chefs, la censure s'impose.
Sur le fond
III. Sur l'intelligibilité et l'accessibilité de la loi
L'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, propre à garantir le principe d'égalité des citoyens (Décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999), peut connaître, il est vrai, des appréciations différentes selon la nature des textes concernés. Il en va ainsi, en particulier, lorsque la complexité de la loi en cause trouve pour destinataires principaux des spécialistes dont le degré de connaissance juridique et technique les met en en mesure de considérer pleinement le sens et la portée des dispositions concernées (Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000).
En revanche, s'agissant .d'une loi portant sur les modes de scrutin, l'accessibilité et l'intelligibilité du texte pour les citoyens doit être la plus grande possible. D'autant plus qu'une mauvaise appréhension des conséquences de l'organisation du scrutin peut avoir des effets induits non prévisibles pour les électeurs, voire contraires à leur choix et à leur volonté réelle.
Cet objectif de valeur constitutionnelle garanti donc le respect des articles 3 et 4 de la Constitution et l'article 6 de la Déclaration de 1789.
Or, en l'occurrence, la loi déférée manque, c'est le moins qu'on puisse dire, à cet objectif.
Trois illustrations peuvent être proposées à cet égard.
- La première tient au libellé du texte lui-même. L'article 3 de la loi insérant un nouvel article L. 338-1 dans le code électoral dispose :
« Les sièges attribués à chaque liste en application de l'article L. 338 sont répartis entre les sections départementales qui la composent au prorata des voix obtenues par la liste dans chaque département. Cette attribution opérée, les sièges restant à a attribuer sont répartis entre les sections départementales selon la règle de la plus forte moyenne. Si plusieurs sections départementales ont la même moyenne pour l'attribution du dernier siège, celui-ci revient à la section départementale qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d'être proclamés élus.
Les sièges sont attribués aux candidats dans l'ordre de présentation sur chaque section départementale.
Lorsque la région est composée d'un seul département, les sièges sont attribués dans le ressort de la circonscription régionale selon les mêmes règles. »
Il est peu dire que ce mode de scrutin rendra difficile pour l'électeur la mesure de la portée de son vote. Que les opérations électorales et le calcul du décompte des voix s'avèrent plus que complexes.
- La seconde tient au fait que le candidat placé en tête de liste pour la Région peut ne pas être tête de liste dans une section départementale. En sorte qu'en raison du mécanisme précédemment décrit, il peut ne pas être élu et ce alors même qu'une part non négligeable des citoyens se sera déterminée en fonction de sa présence au niveau régional laissant comprendre qu'en cas de victoire de son camp politique, cette personne deviendrait président de l'exécutif régional.
Cette hypothèse évoquée dans le cours des débats, n'a absolument pas été démentie par le gouvernement.
Il s'ensuit une double atteinte à l'objectif recherché. D'une part, on peut craindre des manipulations quant à la réalité des personnalités appelées à jouer un rôle déterminant dans la gestion de la collectivité territoriale. D'autre part, ce risque, qui peut survenir pour de simples raisons électorales, et que l'on ne peut écarter, s'oppose à l'objectif affiché pour justifier cette réforme du mode de scrutin, à savoir la nécessité de clarifier les conditions d'élection des assemblées régionales.
- La troisième tient aux prescriptions de l'article 4 de la loi modifiant les seuils prévus à l'article L. 346 du code électoral.
En fixant le seuil nécessaire pour se maintenir au second tour à 10 % du nombre des électeurs inscrits, et en établissant le seuil nécessaire pour qu'une liste puisse fusionner avec une autre liste en vue du second tour à 5 % des suffrages exprimés, la loi a, outre l'atteinte au pluralisme, rendu inintelligible ce mode de scrutin et la portée de chaque vote des électeurs.
Il en résulte qu'une liste ayant atteint le seuil de 5 % des suffrages exprimés pourra avoir des élus grâce au mécanisme de fusion, alors qu'une liste ayant recueillie plus de voix que la précédente, mais n'ayant pas atteint le seuil de 10 % des inscrits et refusant de fusionner ou ne le pouvant pas pour des raisons propres à la configuration politique, n'aura aucun élu.
Ce scénario loin d'être irréaliste hypothèque largement la liberté de choix de l'électeur et ensemble l'égalité de suffrage.
Il s'ensuit que le mode de scrutin ainsi défini méconnaît l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.
IV. Sur l'article 4 de la loi
Cet article 4 modifie l'article L. 346 du code électoral applicable aux élections des conseils régionaux en fixant de nouveaux seuils pour que les listes puissent se maintenir au second tour ou fusionner avec une autre liste. Ainsi, pour pouvoir déclarer sa candidature au second tour de scrutin, chaque liste devra recueillir au moins 10 % des inscrits. Pour être en mesure de fusionner avec une autre liste, les listes présentes au premier tour de scrutin devront recueillir au moins 5 % des suffrages exprimés.
Une telle disposition est inconstitutionnelle à plusieurs titres.
IV.1. Sur le principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion
L'article 4 de la loi critiquée méconnaît gravement le principe du pluralisme des courants d'idée et d'opinion, exigence dont vous avez rappelé si fortement qu'elle constitue « le fondement de la démocratie » (Décision n° 89-271 DC du 11 janvier 1990, Recueil page 21) et en application duquel vous avez invalidé une disposition prévoyant un seuil de 5 % des suffrages exprimés dans chaque circonscription comme critère d'éligibilité à une fraction de l'aide de l'Etat allouée aux partis politiques.
Or, en l'espèce, en application de l'article 4 de la loi querellée, une liste ne pourra se maintenir au second tour qu'à la condition d'avoir obtenu des suffrages représentant au moins 10 % des électeurs inscrits.
Une double atteinte au principe du pluralisme en résulte.
Sur le principe même du mécanisme, il n'est pas acceptable que le seuil permettant, in fine, d'avoir des élus soit aussi élevé et prenne une base faisant dépendre le sort des élections des personnes qui ne votent pas. Car, de la sorte, il contribue à empêcher la plénitude d'expression des formations minoritaires ou correspondant à l'émergence d'un courant d'opinion nouveau, voire déjà existant mais ayant décidé d'une nouvelle organisation.
C'est pourtant bien ce à quoi concours le seuil ainsi déterminé.
Il est acquis, au surplus, qu'en adossant le seuil en cause au nombre des électeurs inscrits et non au nombre des suffrages exprimés, la loi fait prévaloir le poids des abstentionnistes sur les électeurs s'exprimant. Que les chiffres des taux d'abstentions constatés lors des différents scrutins s'étant déroulés ces dernières années montrent que le risque est réel de voir des listes obtenir près de 20 % des suffrages exprimés tout en restant en-deçà du seuil des 10 % des électeurs inscrits. Que la conséquence la plus directe, et non contestée car non contestable, sera de rendre plus difficile l'accès au second tour des élections des conseils régionaux pour les listes des partis politiques d'audience moyenne ou peu importante. Que ces effets seront encore plus violents pour les formations politiques en cours d'émergence.
Quoi que l'on puisse penser des opinions de tel ou tel parti ou groupement politique, cette limite quant à l'accès au second tour n'est pas démocratiquement acceptable. On fera litière ici de la comparaison avec les scrutins majoritaires uninominaux pour lesquels, le fait d'avoir deux candidats au second tour est un gage de clarté. Pour les scrutins de liste, le résultat conduit à composer une assemblée délibérante dont un exécutif sera l'émanation. En outre, cette comparaison est d'autant moins sérieuse, que le mécanisme critiqué traite différemment et plus favorablement les listes ayant atteint 5 % des suffrages exprimés et fusionnant. Or, rien de tel ne peut exister dans le cadre d'un scrutin uninominal !
Aucune justification ne peut légitimer une telle atteinte au principe du pluralisme. Il a certes été avancé que la modification proposée devrait permettre de dégager des majorités stables au sein des conseils régionaux.
Mais cet argument ne peut tromper personne.
Il est acquis que la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 en instituant une prime majoritaire de 25 % des sièges au bénéfice de la liste arrivée en tête avait mise en place un mécanisme de nature à satisfaire pleinement l'objectif de stabilité et de bonne gestion des conseils régionaux. C'est ce que vous aviez relevé dans votre décision rendue à propos de cette loi en considérant que les modalités alors retenues n'étaient pas, en l'espèce, « manifestement inappropriées à l'objectif visé, qui est défavoriser la constitution d'une majorité dans les conseils régionaux tout en assurant une représentation des différentes composantes du corps électoral » (Décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999). Mécanisme stabilisateur conforme aux principes de la démocratie majoritaire qui est d'ailleurs maintenu par le texte en cause.
Il ne saurait être sérieusement soutenu, à cet égard, que l'objectif poursuivi n'a pas été atteint, dès lors que cette loi du 19 janvier 1999 n'a pas encore reçue d'application, sa première mise en oeuvre étant prévue pour les élections des conseils régionaux de 2004.
C'est dire que la libre expression des courants d'idées et d'opinion est contrainte par un seuil excessivement élevé. Le pluralisme, fondement de la démocratie, est méconnu.
IV.2. Sur la violation de l'article 4 de la Constitution
Le mécanisme reposant sur des seuils différents pour le maintien au second tour et la fusion entre les listes aboutit, ainsi qu'il a été montré, à contraindre à la fusion des listes ou à éliminer les listes ne souhaitant pas de tels rapprochements ou ne le pouvant pas.
Ce faisant, la loi porte atteinte au premier alinéa de l'article 4 de la Constitution au terme duquel :
« Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ».
On mesure d'autant mieux cette atteinte au pluralisme, que le même article prévoit une base différente pour déterminer le seuil nécessaire pour la fusion des listes en vue du second tour. Il suffit, en effet, qu'une liste recueille 5 °/o des suffrages exprimés au premier tour pour être admise à une fusion avec une autre liste encore en lice.
Dans ces conditions, il faut en déduire qu'est instituée une contrainte à la fusion des listes. Or, dans la mesure où existe le mécanisme rationnel de la prime majoritaire, cette incitation forcée ne peut trouver aucune justification suffisante dans la recherche d'une stabilité des exécutifs régionaux et des majorités dans les conseils régionaux.
Cette fusion est d'autant moins acceptable qu'elle pourra favoriser des listes ayant recueillies moins de suffrages que d'autres mais refusant, pour leur part et pour des raisons propres parfaitement légitimes, de ne pas fusionner. Selon le taux d'abstention, une liste obtenant 5,1 % des suffrages décidant de fusionner, et le pouvant politiquement, sera mieux représentée qu'une liste ayant obtenue 9,9 % des inscrits et 18,9 % des suffrages exprimés, mais ne voulant ou ne pouvant, politiquement, fusionner.
Il s'agit bien d'une contrainte pesant sur les partis et groupements politiques tendant les obliger à fusionner ou à risquer de n'avoir pas de représentants s'ils ne peuvent y prétendre ou ne le veulent pas pour des raisons politiques.
La méconnaissance de la liberté de formation et d'activité des partis politiques est flagrante.
IV.3. Sur la violation des articles ler et 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789
Le mécanisme en cause viole l'article l" de la Constitution aux tenues duquel la loi assure l'égalité devant la loi des citoyens, l'article 3 de la Constitution en ce qu'il dispose que le suffrage « est toujours universel, égal et secret », et l'article 6 de la Déclaration de 1789 énonçant que la loi doit être la même pour tous.
Statuant sur une loi modifiant le régime électoral pour un scrutin non politique, vous aviez censuré une disposition instaurant un vote plural dépendant du poids effectif de certains électeurs (Décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979, Recueil p. 23). Cette logique s'impose de plus fort pour des élections politiques pour lesquelles on ne saurait admettre, en aucune façon, qu'un électeur « pèse » plus qu'un autre, et surtout si le premier pèse plus au motif qu'il ne s'est pas exprimé.
En l'espèce, l'existence de deux seuils dont l'un est dépendant du nombre d'électeurs abstentionnistes rompt l'égalité de suffrage entre les citoyens.
D'abord, la voix de chaque citoyen ayant voté sera dépendante de l'attitude des autres électeurs qui n'auront pas exercé leur droit de vote. Autrement dit, l'article 4 de la loi critiquée subordonne le plein effet de l'expression du suffrage au choix fait par certains citoyens de ne pas voter.
L'attitude de l'électeur ne votant pas sera donc plus déterminante que la voix de l'électeur ayant exprimé son suffrage. C'est là une atteinte au caractère universel et égal du suffrage particulièrement inadmissible.
Ensuite, il est mécaniquement acquis que le taux d'abstention bénéficiera aux listes des partis et groupements politiques les plus importants. De cette façon, le poids d'une voix exprimée ne sera pas le même selon que le taux de participation. Plus gravement, les voix se portant sur une liste n'ayant pas atteint 10 % du nombre des électeurs inscrits mais ne fusionnant pas, et peu importe les raisons parfois indépendantes de la volonté des candidats composant ladite liste, comptera moins que la voix s'étant portée sur une liste ayant atteint 5 % des suffrages exprimés et fusionnant au second tour.
Enfin, la variable d'ajustement étant le taux d'abstention, il s'ensuit que deux listes ayant obtenus le même nombre de suffrages dans deux régions mais où le taux de participation aura été différent ne se trouveront pas dans la même situation au regard de la possibilité de se maintenir au second tour de l'élection.
Le suffrage n'est donc plus universel et égal sur l'ensemble du territoire.
De tous ces chefs, la censure est, là encore, certaine.
V. Sur l'article 9 de la loi
Cet article modifie l'article L. 366 du code électoral applicable au mode de scrutin pour l'élection des conseillers à l'Assemblée de Corse. Il prévoit, notamment, qu'en cas d'égalité de suffrage, l'attribution de 3 sièges de plus et l'attribution du dernier siège, respectivement à la liste arrivée en tête au second tour, dont les candidats ont la moyenne d'âge la plus élevée et au plus âge des candidats susceptibles d'être proclamés élus.
Ce faisant, l'article 9 de la loi critiquée reprend les modifications apportées dans le même sens par l'article 3 de la loi modifiant l'article L. 338 du code électoral.
En revanche, les modifications prévues par l'article 4 de la loi à l'article L. 346 du code électoral concernant la mise en oeuvre du principe de parité en prévoyant que chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe ne sont pas applicables pour les élections à l'Assemblée de Corse.
Une telle différence méconnaît les articles 3 et 4 de la Constitution.
Nul ne peut contester que le dernier alinéa de l'article 3 C en disposant que la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, a établi une règle dont l'application ne saurait varier pour des circonstances particulières à telle ou telle collectivité territoriale. Que rien ne saurait justifier, à cet égard, que la Corse soit soumise à un régime différend, surtout si la nouvelle règle a pour but de rendre encore plus effectif le principe énoncé à l'article 3 de la Constitution.
Qu'il en va de même quant à l'article 4 C en ce qu'il impose aux partis et groupements politiques de contribuer à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution. Rien ne peut justifier, objectivement, que les partis et groupements n'aient pas les mêmes obligations selon les collectivités territoriales concernées.
Il s'agit là d'une règle fondamentale pour l'égalité de représentation et les caractéristiques essentielles de la démocratie et aucun élément tenant au mode de scrutin pour l'élection à l'Assemblée de Corse ou à la situation du corps électoral de cette collectivité ne peut fonder une telle discrimination.
Le rapporteur de la Commission des lois du Sénat montre assez l'embarras du législateur à cet égard lorsqu'on réponse à l'exception d'irrecevabilité, il indique : « je comprends les élus corses veuillent voir appliquer la parité, et le ministre de l'intérieur s'est engagé, hier, à réexaminer le problème en ce sens. Mais il n'y a là aucune inconstitutionnalité, la Corse n 'étant pas soumise aux mêmes lois que les autres régions » (Sénat, Séance du 4 mars 2003). Une telle argumentation ne peut que laisser interdit dès lors que votre jurisprudence relative aux collectivités territoriales et particulièrement à la Corse marque comme limite aux expérimentations et autres adaptations requises par des circonstances particulières, les libertés publiques et les droits fondamentaux (Décision n° 2001-454 DC du 17 janvier 2002).
En l'espèce, il s'agit de la mise en oeuvre du principe d'égalité des citoyens quant aux principes de la représentation politique, et l'on peine à comprendre la justification d'un régime distinct applicable sur le territoire de la collectivité territoriale de Corse. Le fait que cette question soit susceptible d'être abordée ultérieurement ne saurait, évidemment, purger le vice d'inconstitutionnalité.
L'inconstitutionnalité de cet article 9 résultant de l'absence de disposition législative pertinente, en quelque sorte pour incompétence négative, pose une question quant à son impact effectif.
Dans ces conditions, la conséquence de cette inconstitutionnalité viciant l'article 9 de la loi ne peut qu'être de rendre l'ensemble de la loi inconstitutionnelle, sauf à maintenir deux régimes distincts quant à la mise en oeuvre plus effective du principe d'égal accès pour les femmes et pour les hommes aux mandats électifs sur le territoire national.
VI. Sur l'article 10 de la loi
Cet article modifie l'article L. 280 du code électoral relatif à la composition du collège électoral des sénateurs en prévoyant que les conseillers régionaux seront grands électeurs de la section départementale dans laquelle ils sont inscrits.
Une telle disposition, outre son manque d'intelligibilité, méconnaît l'article L.O. 274 du code électoral, ensemble le principe d'égalité de suffrage et le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinion.
En l'espèce, il résultera du mécanisme mis en place une variation du collège électoral évoluant selon la pondération des votes obtenus et ce sans véritable lien avec les rapports de force politique établis au niveau de chaque section départementale. En sorte que la force politique majoritaire au sein du Conseil régional influera indirectement, mais nécessairement, et indépendamment de la réalité politique des départements concernés, le collège des électeurs pour les élections sénatoriales.
On le voit, le dispositif critiqué tend à favoriser certaines formations politiques dans le cadre du scrutin sénatorial. La question posée est donc bien distincte de celle à laquelle vous avez déjà répondu à propos de la loi du 19 janvier 1999 et concerne l'égalité de suffrage et le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinion qui vaut également pour les élections du Sénat.
VII. Sur l'article 12 de la loi
L'article 12 de la loi modifie l'article 3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen en substituant à l'élection dans le cadre d'une circonscription unique correspondant au territoire national, un mode de scrutin par circonscriptions interrégionales.
VII.1. Sur l'indivisibilité de la République
Une telle disposition méconnaît le principe de l'indivisibilité de la République que vous avez affirmé dans une décision du 30 décembre 1976 rendue au sujet, précisément, de l'élection au suffrage universel direct des députés français au Parlement européen. Vous avez ainsi considéré que l'engagement international du 20 septembre 1976 ne contient aucune stipulation fixant pour cette élection, « des modalités de nature à mettre en cause l'indivisibilité de la République dont le principe est réaffirmé à l'article 2 de la Constitution ; que les termes de procédure électorale uniforme dont il est fait mention à l'article 7 de l'acte soumis au Conseil Constitutionnel ne sauraient être interprétés comme pouvant permettre qu 'il soit porté atteinte à ce principe ».
A l'occasion du débat relatif à la loi du 7 juillet 1977 dont modification est portée par l'article critiqué, le ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Christian Bonnet, répondant à une question de M. Michel Debré, député, indiquait que « le gouvernement a pensé que le cadre national pourrait seul, dans un tel scrutin respecter le principe de l'indivisibilité de la République, réaffirmé par le Conseil Constitutionnel, et permettre aux élus de représenter le peuple français dans sa totalité », ajoutant quant au principe d'indivisibilité que « le gouvernement estime qu'il ne serait à aucun moment possible de s'en extraire, pour quelque gouvernement que ce soit qui prendra sa suite » (J.O. Débats, Assemblée Nationale, séance du 21 juin 1977, page 3988).
En l'occurrence, en créant des circonscriptions interrégionales dont, au demeurant rien n'assure qu'elles garantissent l'égalité de suffrage dès lors que les bases géographiques sur lesquelles elles reposent sont sans doute entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, le législateur a porté atteinte au principe d'indivisibilité de la République.
VII.2. Sur l'atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions
C'est en vain que l'on prendrait dans les conditions fixées par la présente loi de la nécessité de proximité entre les citoyens et les électeurs.
D'une part, la taille des circonscriptions figurant en annexe II de la présente loi laisse à penser que ce rapprochement est plus qu'illusoire. D'autre part, il est tout aussi certain que ce mode de scrutin aura pour conséquence de limiter le nombre d'élus des listes présentées par des partis et groupement politiques de petites ou moyennes importances. Que ce mode de scrutin, se déroulant sur un seul tour, ne donnera aucune possibilité, par exemple par l'effet d'une fusion, de donner aux petites listes l'occasion d'avoir des élus au Parlement européen.
En réalité, l'article 12 critiqué aura pour résultat de réduire le champ des opinions politiques existantes en France au Parlement européen. Or, cette institution ne connaissant aucun problème de stabilité ou de cohérence, la modification du mode de scrutin critiquée aura pour conséquence de réduire l'expression des courants d'idées et d'opinion sans aucune justification tenant à la rationalité de l'institution concernée ou, en réalité, à la proximité des électeurs avec leur représentants.
De ce chef, également, la censure est encourue.
Nous vous prions de croire. Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre haute considération.RECOURS AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques
Paris, le 14 mars 2003
Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les membres
du CONSEIL CONSTITUTIONNEL
2, rue Montpensier
75001 PARIS
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Nous avons l'honneur, conformément au second alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déférer devant vous la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, telle qu'elle a été définitivement adoptée le 12 mars 2003.
1. Il n'est pas inutile de rappeler, à titre liminaire, que cette loi n'a été adoptée à l'Assemblée nationale qu'après utilisation du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, tandis que le Sénat, rejetant tous les amendements présentés, a voté le texte en termes identiques dès sa première lecture.
Ce n'est pas la première fois qu'une loi électorale naît dans ces conditions expéditives. C'est au contraire la troisième puisque à deux reprises déjà, en 1986, il avait été procédé ainsi, ce qui donne à penser que la majorité concernée dans les trois cas peine quelque peu à réunir un consensus dans une matière où, pourtant, il serait bienvenu.
2. Il semble, en revanche, que ce soit bien la première fois, dans toute l'histoire de la République, qu'une réforme électorale est imposée par un seul groupe parlementaire contre l'opposition de tous les autres, pourtant eux-mêmes situés sur l'échiquier politique en des lieux éloignés les uns des autres.
3. Aucune de ces deux remarques n'emporte, en elle-même, critique constitutionnelle. Mais l'une et l'autre traduisent un contexte qui ne peut que rendre suspecte une réforme électorale soutenue par un seul parti et adoptée par la contrainte.
C'est encore ce qui explique que la présente saisine soit, fait également sans précédent, présentée par des élus qui n'ont pas pour habitude d'agir conjointement. Mais s'ils ont décidé de le faire ensemble c'est parce que la Constitution, dont vous êtes les gardiens, est l'ultime rempart, à vrai dire l'unique limite, qui s'oppose aux éventuels abus de la toute puissance majoritaire et protège contre elle les droits des autres courants d'idées ou d'opinions.
4. De fait, il apparaît très vite que, si la réforme porte sur deux scrutins distincts, régional et européen, la distinction s'efface derrière la communauté d'inspiration, celle qui, sous des prétextes diaphanes, ne vise qu'à servir les intérêts politiques des auteurs. Or, cette observation fait pénétrer de plain-pied sur le terrain juridique car, s'il peut être admissible que les promoteurs d'une loi électorale recherchent des objectifs propres, ou qui au moins ne soient pas contraires à leurs intérêts, c'est à la double condition, d'une part, qu'ils respectent ce faisant l'ensemble des règles et principes de valeur constitutionnelle, d'autre part, que leur texte puisse se prévaloir de motivations autres qu'exclusivement partisanes.
Aucune de ces deux conditions n'est présente ici.
5. C'est ce que les développements qui suivent vont s'attacher à démontrer, mais il était d'autant plus nécessaire de souligner dès le début cette communauté d'inspiration que, pour des raisons évidentes, il va falloir analyser tour à tour la réforme du scrutin régional et celle du scrutin européen. Aussi, avant d'examiner ce qu'elles disent et qui les séparent, convenait-il de mettre l'accent sur ce qu'elles taisent et qui les réunit : la seule volonté de servir les intérêts électoraux d'une formation politique.
I - Sur le mode d'élection des conseillers régionaux
6. Par rapport au droit existant, le Titre Ier de la loi apporte, pour l'essentiel, les modifications suivantes :
1 - Allongement du mandat de cinq à six ans (article 1er) ;
2 - Création de sections départementales (article 2, 1°) ;
3 - Prime donnée à la moyenne d'âge la plus élevée, de préférence à la plus basse, en cas d'égalité (article 2, 2° et 5°) ;
4 - Relèvement de 3 à 5 % des suffrages exprimés du seuil à partir duquel une liste participe à la répartition des sièges (article 2, 3°) ;
5 - Adoption de listes composées alternativement d'un candidat de chaque sexe (article 4, 1°) ;
6 - Relèvement de 3 à 5 % des suffrages exprimés du seuil à partir duquel une liste présente au premier tour peut fusionner avec une autre (article 4, 2°) ;
7 - Relèvement de 5 % des suffrages exprimés à 10 % du nombre des électeurs inscrits du seuil à partir duquel une liste peut se maintenir au second tour (article 4, 2°).
Les autres dispositions du titre Ier se bornent à tirer les conséquences logiques ou rédactionnelles de ce qui précède, tandis qu'un article est consacré à des mesures propres à l'Assemblée de Corse.
7. Ces modifications, dont beaucoup sont regrettables aux yeux des soussignés, ne sont néanmoins pas toutes contestables en termes constitutionnels.
Il en est toutefois une, la dernière, qui ne pourra manquer d'être censurée (1), une autre, l'avant-dernière, qui pourrait également mériter de l'être (2), tandis que certains aspects du dispositif concernant la Corse apparaissent clairement contraires à la Constitution (3).
1° - Sur le seuil de maintien au second tour
8. Le relèvement de ce seuil est considérable. Si l'on tient compte des taux d'abstentions constatés, seules pourraient se maintenir des listes ayant réuni environ 15 à 20 % des suffrages exprimés, de sorte que l'exigence actuelle - 5 % des suffrages exprimés - serait ainsi multipliée par trois ou quatre. Il serait donc trois à quatre fois plus difficile pour une liste de se maintenir au second tour que dans le cadre de la législation en vigueur.
Deux conséquences en résultent mécaniquement. Premièrement, la présence au second tour sera déterminée non par les votants mais par les abstentionnistes. Deuxièmement, toutes les listes qui n'auront pas atteint ce seuil, tout en ayant dépassé celui à partir duquel la fusion est possible, n'auront d'alternative, sombre, qu'entre l'élimination pure et simple ou une fusion défavorable, celle opérée aux conditions posées par la liste susceptible de se maintenir au second tour.
9. Cette contrainte nouvelle, la plus novatrice de celles figurant dans cette partie de la loi, est contraire à la Constitution à plusieurs titres puisqu'elle viole les articles 39 de la Constitution, 4 de la Constitution et 4 de la Déclaration de 1789 en matière de liberté et de pluralisme, 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité.
a) Sur la violation de l'article 39
10. Selon le second alinéa de celui-ci, les projets de loi sont soumis pour avis au Conseil d'Etat avant leur délibération en Conseil des ministres et leur officialisation par décret du Premier ministre.
Au cas présent, le dispositif du texte sur lequel le Conseil d'Etat a émis son avis visait un pourcentage de 10 %, ce qui signifiait qu'il s'agissait de 10 % des suffrages exprimés, puisque c'est la référence qui figure actuellement dans le code électoral (et l'exposé des motifs aurait même explicitement insisté sur l'alignement par rapport aux règles applicables aux élections municipales), tandis qu'à aucun moment n'a été évoquée la perspective de l'instauration d'un seuil tout à fait nouveau, celui de 10 % du nombre des électeurs inscrits (s'il avait le moindre doute sur la matérialité de ces faits, ce qui ne semble pas pouvoir être le cas, le Conseil constitutionnel pourrait aisément le lever par la vérification appropriée auprès de son voisin).
Ce n'est qu'entre l'examen du Conseil d'Etat, achevé le 27 janvier 2003 et la réunion du conseil des ministres, intervenue le surlendemain, que le Premier ministre a décidé de changer de référence pour adopter celle des électeurs inscrits.
11. Le tollé soulevé par cette décision, ainsi que la place qu'elle a occupée dans les débats, même abrégés, du Parlement dispensent d'insister sur son importance. L'on peut, sans crainte d'être contredit, affirmer que l'établissement de ce seuil est la mesure la plus significative de cette partie de la loi, voire de la loi elle-même.
Dans ces conditions, elle ne pouvait, sauf à méconnaître tant la lettre que l'esprit du second alinéa de l'article 39, être introduite autrement que par une lettre rectificative.
12. Certes, nous n'ignorons pas que la pratique des avis du Conseil d'Etat fait peser sur le Gouvernement des contraintes plus exigeantes lorsque l'examen porte sur l'exercice du pouvoir réglementaire que lorsqu'il intéresse des avant-projets de loi.
Mais, en réalité, l'on est ici davantage en présence d'exigences plus explicites qu'en présence d'exigences moins rigoureuses.
En d'autres termes, dans l'exercice du pouvoir réglementaire, le Gouvernement n'a de choix, lorsque le Conseil d'Etat a été consulté, qu'entre suivre son avis ou préférer, en cas de divergence, son propre texte.
En matière d'avant-projets de loi, il est normal, compte tenu de l'intervention ultérieure du Parlement, seul détenteur effectif du pouvoir de décision, que le Gouvernement dispose de plus de souplesse, que l'alternative soit moins stricte et qu'il puisse choisir une troisième voie, par exemple en retenant une rédaction qui ne soit ni celle de son avant-projet initial ni celle proposée par la haute assemblée administrative.
En revanche, l'exigence constitutionnelle imposée par le second alinéa de l'article 39 serait vidée de tout sens si le Gouvernement pouvait innover sur le fond, qui plus est sur une disposition essentielle.
13. Il en va d'autant plus ainsi que l'objet même de cet avis, voulu par la Constitution, est de contribuer à éclairer l'environnement juridique des textes.
Au cas présent, le Conseil d'Etat n'avait nul motif à soulever d'objections constitutionnelles à l'égard d'un seuil de 10 % des suffrages exprimés. Mais tout autre, comme la suite l'a prouvé et comme la présente saisine le démontre, est la situation d'un seuil de 10 % des électeurs inscrits, et nul ne peut imaginer que le Conseil d'Etat l'eût approuvé en droit - à supposer qu'il l'eût fait - sans, au minimum, s'interroger sur sa conformité à la Constitution.
Dans ces conditions, le Gouvernement ne pouvait, comme il l'a fait, introduire un changement fondamental dans son texte à ce stade de la procédure. Il n'avait alors d'alternative qu'entre le recours à une lettre rectificative ou le dépôt ultérieur d'un amendement.
14. A cela on ne manquera pas d'objecter que cette démonstration fait trop de place au pur formalisme, voire qu'elle disqualifie un comportement voulu comme vertueux de la part du Gouvernement, celui consistant à assumer son choix précocement plutôt qu'à attendre le débat parlementaire pour l'imposer par amendement.
Mais de telles objections ne sauraient convaincre.
15. Premièrement, le formalisme, si formalisme il y a, n'est rien moins que celui imposé par la Constitution elle-même, dans les termes les plus clairs comme les plus explicites.
Deuxièmement, vous-mêmes avez rappelé et mis en évidence la distinction qui existe entre le pouvoir de l'article 39, qui appartient au seul Premier ministre, en Conseil d'Etat et en conseil des ministres, et celui que l'article 44, alinéa 1, attribue en matière d'amendements au Gouvernement (décision 90-285 DC, considérant 5).
Troisièmement, une même disposition obéit à des règles de procédures substantiellement différentes selon qu'elle est régie par l'article 39 ou l'article 44 puisque, dans le premier cas, la disposition appartient au texte en discussion tandis que, dans le second, il faut non seulement obtenir un vote favorable afin de l'y introduire, mais encore que ce vote intervienne dans le respect de toutes les autres exigences résultant de la Constitution ou des règlements des assemblées.
Quatrièmement, admettre que des changements importants puissent intervenir après le Conseil d'Etat et avant le conseil des ministres autoriserait le Gouvernement à bénéficier des avantages qui s'attachent à la présence d'une disposition dans le projet initial, sans s'exposer aux inconvénients qui peuvent résulter d'une appréciation critique du Conseil d'Etat. Cette facilité indue risquerait alors d'être d'autant plus tentante qu'elle porterait sur des sujets délicats, ceux-là mêmes sur lesquels l'avis est le plus indispensable.
Cinquièmement enfin, et compte tenu de ce qui précède, il n'y a aucune vertu, de la part du Gouvernement, à introduire une disposition à ce stade de la procédure plutôt qu'à l'occasion du débat : dans un cas comme dans l'autre, il lui faut bien assumer publiquement son soutien à la mesure, soit qu'il l'ait proposée lui-même, soit qu'il n'ait pas fait obstacle à son adoption, de sorte qu'il ne peut se prévaloir d'aucune clarté méritoire dans un cas par opposition à l'autre, tandis que subsiste, dans le premier, la violation de l'article 39.
16. En réalité, de même que vous avez, à propos de l'application de l'article 45, apporté les précisions, et énoncé les conditions, qui prémunissent les institutions contre un exercice abusif, après réunion de la commission mixte paritaire, du droit d'amendement de l'article 44, vous serez conduits à apporter les précisions et à énoncer les conditions qui doivent prémunir contre un exercice abusif du droit d'initiative législative postérieur à l'examen du Conseil d'Etat.
Ces précisions et conditions sont celles qui résultent de la lettre et de l'esprit mêmes de l'article 39 lequel, s'il n'impose pas au Gouvernement de s'en tenir exclusivement au texte présenté par lui ou à celui proposé par le Conseil d'Etat, lui interdit d'introduire des dispositions substantiellement nouvelles ni des modifications substantielles à des dispositions existantes qui n'ont été ni soumises au Conseil d'Etat ni évoquées devant lui.
Pour n'avoir pas respecté cette évidence et avoir, en conséquence, méconnu l'article 39 de la Constitution, la disposition en cause sera censurée.
b) Sur la violation des articles 4 de la Constitution et 4 de la Déclaration de 1789
17. Rappelons, avant toute autre chose, que les élections locales, aujourd'hui, ne sont pas moins politiques que les élections nationales, au moins en ce qu'elles déterminent ensuite les élections sénatoriales qui, elles, produisent des effets directs sur la contribution à l'exercice de la souveraineté.
Vous en avez d'ailleurs déjà jugé ainsi (décision 92-308 DC, considérants 21 à 27), de sorte que l'on ne saurait pas être moins rigoureux à l'égard des élections locales que l'on se doit de l'être à l'égard des élections nationales.
C'est d'autant plus nécessaire que les conseils régionaux, au cas présent, sont appelés à exercer des missions plus importantes encore dans l'avenir, du fait de la révision de la Constitution qui doit être ratifiée dans les semaines qui viennent.
18. Selon la première phrase du premier alinéa de l'article 4 de la Constitution, "Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage". En même temps qu'elle définit ainsi leur vocation, la Constitution consacre également un droit à leur profit, celui de concourir à l'expression du suffrage.
Ce droit, quoi qu'il leur soit acquis, n'est cependant pas absolu et inconditionnel.
Premièrement, les formations politiques elles-mêmes doivent respecter les exigences démocratiques énoncées par la Constitution, ainsi que toutes les dispositions législatives et réglementaires qui s'imposent à elles.
Deuxièmement, d'autres considérations, issues de la Constitution elle-même ou dérivées des objectifs qu'elle poursuit, peuvent conduire à atténuer la portée de ce droit, notamment en soumettant les partis politiques à des contraintes résultant des lois électorales et, en particulier, des modes de scrutin.
19. Toutefois, ce dernier aspect ne signifie pas que le législateur puisse imposer n'importe quel type de contrainte. En effet, en ce domaine comme en tous autres, il est tenu au respect d'un principe fondamental, premier même, celui de la liberté telle que la définit l'article 4 de la Déclaration de 1789. Ainsi, la liberté, celle des formations politiques comme, a fortiori, celle des électeurs eux-mêmes, ne peut être restreinte que si, et dans la mesure où, des impératifs d'intérêt général peuvent l'exiger ou, à tout le moins, le rendre objectivement souhaitable.
De ce fait, ce que vous-mêmes aviez affirmé à propos du découpage des circonscriptions, selon lequel ce dernier ne doit "procéder d'aucun arbitraire" (Décision 86-208 DC, considérant n° 24), va ainsi, en réalité, bien au-delà du seul problème de la délimitation des circonscriptions.
A ce double titre, ne peut manquer d'encourir la censure un dispositif qui bride tellement la liberté des électeurs et des partis qu'il aboutirait à entraver leurs choix au point d'en dénaturer le sens.
20. Pour autant, nous ne méconnaissons nullement les limites qui s'imposent à votre propre contrôle. Vous les avez énoncées dans les termes les plus clairs en affirmant que :
"la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas... manifestement inappropriées à l'objectif visé..." (décision 98-407 DC, considérant n° 4).
Aussi, à la lecture de ce considérant, une loi électorale ne peut être utilement contestée devant vous que si ses modalités sont manifestement inappropriées à l'objectif que le législateur s'est assigné.
Mais elle peut également être contestée, quoi que le considérant précité, ni aucun autre, n'ait eu l'occasion de le préciser explicitement, si, en amont, les objectifs que le législateur s'est assignés sont eux-mêmes contraires à la Constitution parce qu'imposant des restrictions graves sans pouvoir se prévaloir du moindre fondement constitutionnel qui peut seul les rendre légitimes.
Ces deux vices possibles sont ici l'un et l'autre présents en ce que, d'une part, l'objectif allégué est inconstitutionnel dans son principe même et que, d'autre part, le dispositif adopté serait rendu inconstitutionnel par ses effets.
21. S'agissant en premier lieu du principe même de l'objectif que s'est assigné le législateur, nul ne conteste plus que le mode de scrutin qui s'est appliqué à tous les scrutins régionaux qui se sont déroulés au suffrage universel produisait des effets très dommageables. C'est si vrai qu'il a été profondément modifié par la majorité précédente et que l'actuelle majorité, loin de vouloir, comme elle l'avait fait en 1986 à propos des élections législatives, effacer les changements opérés, entend au contraire en conserver l'apport majeur.
22. Cet apport, issu de la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999, consistait à introduire une prime majoritaire au profit de la liste arrivée en tête, s'inspirant en cela du système appliqué aux élections municipales et qui n'a plus à démontrer ses qualités.
Cette prime était à la fois nécessaire et suffisante pour prémunir contre les situations les plus désolantes dans lesquelles, faute d'une majorité claire, les conseils régionaux ne pouvaient fonctionner correctement, ou seulement au prix, exorbitant, d'alliances que récusent toutes les formations républicaines.
Or, sur ce plan, la loi qui vous est déférée ne change rien, ni le principe de la prime, ni son niveau, fixé à 25 % des sièges. C'est si vrai que l'article L. 338 du code électoral, qui l'a instituée, ne fait l'objet d'aucune modification.
23. De ce simple constat, il résulte que doivent être purement et simplement écartées du débat les affirmations, pourtant répétées avec constance et complaisance, selon lesquelles le propos des auteurs du texte serait de permettre "la constitution sans ambiguïtés de majorités capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques" (p. 1 de l'exposé des motifs du projet de loi), ou encore de revenir sur un texte, celui de 1999, dans lequel "l'objectif de stabilité des majorités est sacrifié au nom de contingences politiques immédiates" (sic) (Rapport de M. Jérôme Bignon, n° 605, p 11). Et M. Patrice Gélard, rapporteur devant le Sénat, est même allé jusqu'à affirmer : "L'impératif premier devant présider à la réforme des élections régionales consiste à permettre l'émergence de majorités de gestion, soudées et stables" (n° 192, p. 41) (il est à signaler que l'objectif de lutte contre l'abstention a aussi été évoqué dans le débat, il ne l'a été que très timidement et sera traité ici le moment venu, infra, 73).
L'existence d'une majorité est déjà assurée par le droit désormais applicable, issu de la loi de 1999, et, comme le nouveau texte n'y change rien, ces déclarations réitérées ne peuvent donc éviter d'être mensongères qu'à condition d'être abusives ou ambiguës.
24. Ces déclarations sont abusives lorsqu'elles affirment, comme l'a fait le rapporteur devant le Sénat (séance du 4 mars 2003), que "la prime de 25 % permet de dégager des majorités si ne demeurent en lice que deux ou trois listes au deuxième tour. Au-delà rien n'est moins sûr !"
Cette proposition est arithmétiquement inexacte. Ce qui ruinerait l'existence d'une majorité ne serait pas la présence de plus de trois listes mais le fait qu'aucune d'elles, quel que soit leur nombre, ne dépasse un tiers des suffrages exprimés au second tour.
Si, en effet, une liste dépasse le tiers des suffrages exprimés, les sièges qu'elle obtient ainsi, enrichis du quart de l'ensemble, suffisent à lui assurer une majorité.
25. Surtout, arithmétiquement inexacte, la proposition est matériellement controuvée. Il est aisé de constater, en effet, qu'en prenant les résultats des élections régionales de 1998, pourtant les plus atomisées que l'on ait connues, la conjugaison du seuil d'éligibilité à 5% et de la prime de 25 % des sièges eût suffi à assurer une majorité claire dans la totalité des régions à la seule exception de la Lorraine. Il va donc de soi que ce qui eût été acquis dans toutes les régions sauf une dans un tour unique, serait obtenu beaucoup plus facilement encore, dans toutes sans exception, avec un scrutin à deux tours.
C'est d'ailleurs si vrai que dans les annexes présentées par les deux rapports parlementaires (p. 142 du Rapport de M. Bignon et p. 177 du Rapport de M. Gélard), qui font pourtant comme si quatre listes pouvaient avoir atteint chacune plus de 10 % des électeurs inscrits au premier tour, ce qui semble fort peu plausible, ni l'une ni l'autre ne va jusqu'à imaginer qu'aucune liste n'atteindrait le tiers des suffrages exprimés.
Au demeurant, si l'objectif poursuivi était d'obtenir une majorité en tout état de cause et que les modalités actuelles de maintien au second tour n'y suffisaient pas, celles adoptées par la loi seraient encore insuffisantes à le garantir quoi qu'il arrive, et elles ne seraient donc pas appropriées à l'objectif puisque l'on pourrait imaginer bien des hypothèses arithmétiques - qui ne seraient pas moins plausibles que celles évoquées par le rapporteur devant le Sénat - dans lesquelles ce ne serait pas le cas.
26. Ces déclarations (supra, 23), si elles n'étaient ni mensongères ni abusives, seraient alors ambiguës.
L'on ne manquerait pas, en effet, d'objecter, pour tenter de les défendre en jouant sur les mots, qu'elles portent non sur l'existence de majorités, déjà garantie, mais sur les caractéristiques de ces majorités, c'est-à-dire "sans ambiguïtés", "capables d'assumer la responsabilité des décisions publiques", "stables", "de gestion, soudées".
27. Ceci appelle trois observations.
La première consiste à souligner que c'est à ceux qui se présentent ensemble devant les électeurs de choisir le mode de fonctionnement majoritaire qui a leurs faveurs. Les uns peuvent le vouloir caporaliste, les autres être plus ouverts à la concertation, et c'est en connaissance de ces caractéristiques que les électeurs font leur choix démocratique.
La deuxième observation, qui découle de la première, est que si l'intérêt des électeurs est que leur soient donnés les moyens de désigner eux-mêmes une majorité stable, ce à quoi la loi de 1999 a pourvu, il n'est nullement de l'intérêt des électeurs que le mode de scrutin prétende imposer un modèle de fonctionnement majoritaire, à l'exclusion de tous les autres, ce qui aurait pour effet immédiat et premier de restreindre sensiblement l'éventail des choix de pratiques majoritaires aujourd'hui offerts au suffrage universel. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'une majorité a des pratiques autres que celles de l'UMP que, de ce seul fait, elle cesserait d'être stable ou soudée ou capable d'assumer la responsabilité de décisions publiques et que les électeurs devraient être privés de la possibilité de la désigner, en toute connaissance de cause.
La troisième observation, qui à son tour découle des deux précédentes, est que le législateur franchirait un pas de plus, sans précédent, en fondant un mode de scrutin non sur la volonté, objective et légitime, d'aboutir à l'émergence d'une majorité, mais sur le choix, subjectif, des caractéristiques qu'une telle majorité doit présenter pour obéir au goût des auteurs du texte.
28. Cette dernière remarque a une portée juridique directe. Dans votre décision sur ce qui allait devenir la loi de 1999, en effet, vous n'avez pas manqué de juger légitime l'objectif "qui est de favoriser la constitution d'une majorité dans les conseils régionaux" (décision 98-407 DC, considérant n° 4) et de juger appropriés les moyens mis en oeuvre à cette fin.
29. Au cas présent, les moyens mis en oeuvre ne peuvent être appropriés à cette fin, puisqu'elle est déjà atteinte et qu'ils lui sont étrangers.
Quant à l'autre finalité qui semble susceptible d'être poursuivie - celle consistant à favoriser des majorités présentant les caractéristiques précédemment décrites (supra, 26) - il est tout sauf assuré qu'il puisse s'agir d'un objectif légitime.
30. Celui-ci ne résulte d'aucun principe ou d'aucune règle de valeur constitutionnelle.
Même étendu par la révision constitutionnelle adoptée en termes identiques par les deux assemblées, le principe de libre administration des collectivités locales peut certes, au nom de l'effectivité, soutenir les efforts du législateur en faveur de l'émergence de majorités claires. Mais il ne peut en aucun cas aller jusqu'à permettre d'imposer un certain type de majorité de préférence à un autre.
Ainsi, c'est dans son principe même que l'objectif que s'est assigné le législateur est soit inexistant soit inconstitutionnel.
Il est inexistant s'il vise à atteindre un résultat déjà acquis par l'existence de la prime qui demeure inchangée. Il est inconstitutionnel s'il tend à limiter la liberté des électeurs et des partis à seule fin d'imposer arbitrairement un certain type déterminé de majorité, ce qu'aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle ne permet de justifier.
31. S'agissant, en second lieu, des effets que produirait le dispositif adopté, ils seraient intrinsèquement attentatoires au principe de liberté et disproportionnés avec n'importe quel objectif (a fortiori avec un objectif dont on vient de voir que lui-même ne peut se prévaloir d'aucune justification admissible).
L'effet le plus immédiat du seuil fixé à 10 % des électeurs inscrits sera le plus souvent, puisque c'est son objet même, de ne laisser subsister que deux listes au second tour, tandis que seules des situations exceptionnelles permettront d'en voir concourir davantage. Ceci alimente plusieurs séries d'observations.
32. La première observation consiste à relever cette étrangeté qui fait que le devenir des listes présentes au premier tour dépendra, comme on l'a déjà mentionné (supra, 8), non du choix des électeurs mais de celui des abstentionnistes.
Ceci est pour le moins discutable au regard de la première phrase du premier alinéa de l'article 4 de la Constitution, qui assigne aux formations politiques le soin de concourir à l'expression du suffrage et non celui d'assumer sa non-expression, que tous regrettent, dans laquelle tous ont sans doute une part de responsabilité, mais qui ne justifie nullement que certains en soient seuls pénalisés, alors surtout que d'autres en tireraient profit en nombre d'élus.
33. A cette première observation, il a été répondu à plusieurs reprises au cours des débats que ce dispositif se bornait à reprendre un seuil existant pour les élections cantonales. Mais cette objection, et c'est la seconde observation, est dénuée de toute pertinence.
La différence majeure, ici, n'est pas celle qui oppose les scrutins majoritaires par rapport aux scrutins proportionnels, mais bien les scrutins uninominaux par rapport aux scrutins de liste.
34. Il va de soi que, dans les scrutins uninominaux, le pluralisme, dans lequel vous avez vu rien moins que "le fondement de la démocratie" (décision 89-271 DC, considérant n° 12), n'est pas recherché et n'est pas susceptible d'être obtenu au niveau de la circonscription, mais à celui de l'ensemble des circonscriptions qui, par addition, formeront l'assemblée délibérante. Une formation qui a perdu ici peut gagner là, et c'est grâce à cela que l'Assemblée nationale ou les conseils généraux ont bien une composition politiquement très pluraliste.
A l'inverse, dans les scrutins de liste, l'assemblée délibérante est formée en bloc, et le pluralisme ne naît que de l'élection de candidats issus de listes différentes. Ainsi, une liste absente du second tour n'aurait aucun élu au sein du conseil régional, quel que soit le score, même significatif, qu'elle a réalisé au premier ou eût réalisé au second si elle avait pu être présente.
Dans ces conditions, toute comparaison, sur ce point, entre les scrutins cantonaux (ou législatifs) et régionaux repose sur une faille du raisonnement qui rend irrecevable un argument comme celui avancé par le ministre de l'intérieur lorsqu'il a dit à propos de ce seuil "le Gouvernement s'est référé à l'exemple des élections cantonales" (Sénat, séance du 4 mars 2003).
35. Cela acquis, et c'est la troisième observation, le seuil adopté aurait comme conséquence de porter au pluralisme une atteinte d'une gravité extrême, en excluant du conseil régional toute représentation autonome de listes dont la présence, pourtant, ne menacerait nullement l'existence d'une majorité, de sorte qu'il s'agirait d'une exclusion, si l'on ose dire, purement gratuite.
L'on a vu que l'existence d'une majorité n'est pas en cause, puisqu'elle est déjà assurée par l'institution de la prime. Dès lors, non seulement il n'existe aucune utilité à restreindre à ce point les conditions de présence au second tour, mais encore le mécanisme pourrait-il produire des effets d'exclusion encore plus radicalement contraires à la liberté et au pluralisme que ce que l'on imagine a priori.
36. Pour n'en donner qu'un exemple, lors des dernières élections régionales en Alsace, le score réalisé au tour unique par la gauche aurait eu comme effet, si le présent dispositif avait existé, de l'exclure du second tour qui, alors, se fût limité à un duel entre l'actuelle UMP et le Front national.
En soi, cette situation ne serait pas nouvelle puisque, hélas, de tels duels ont déjà existé dans des scrutins uninominaux. Mais, pour un scrutin de liste, il serait sans précédent puisqu'il aboutirait à ce que le conseil régional ne soit composé que de seuls élus issus de l'UMP et du Front national, et l'on ne saurait raisonnablement envisager que la principale liste de gauche ait pu, entre les deux tours, fusionner avec l'une ou l'autre des seules listes maintenues.
Il n'est pas indifférent de rappeler que dans les élections municipales un tel résultat est rendu impossible par le fait que la principale liste de gauche (ou, le cas échéant, de droite) est toujours présente au second tour, ce qui lui permet d'avoir des élus, même si sa force locale ne lui permet pas d'emporter la majorité, acquise en tout état de cause à l'une des deux autres listes.
L'on se doit d'ajouter, parce que l'expérience récente en France et en Europe démontre que le plus inattendu, comme le plus inquiétant, peut se produire à tout moment, qu'il pourrait parfaitement arriver, dans une région, un jour, que seules deux listes populistes ou extrémistes franchissent, au hasard de circonstances particulières, le seuil de présence au second tour. Dans cette situation, aucun sursaut ne serait possible aux électeurs eux-mêmes, qui n'auraient alors de choix, et pour six ans, qu'entre les deux faces de la même catastrophe.
37. La quatrième observation tend à rappeler que le mode de scrutin en vigueur pour les élections municipales et celui résultant de la loi de 1999 pour les élections régionales, confirmé sur ce point par la loi déférée, s'analyse, techniquement, non comme un scrutin réellement proportionnel, mais comme un scrutin majoritaire garantissant la représentation des minorités.
Or, le dispositif adopté le transformerait, profondément, en un scrutin majoritaire garantissant la représentation d'une seule minorité, puisque toutes les autres seraient purement et simplement exclues de toute présence dans des assemblées comptant pourtant plusieurs dizaines de membres (de 43 à 209 en métropole).
38. L'on ne saurait ensuite, c'est la cinquième observation, passer sous silence les effets politiques du mécanisme proposé.
Il permettrait en effet aux listes sélectionnées pour le second tour d'imposer des conditions drastiques à quiconque serait prêt à fusionner avec elles, puisque ceux-ci n'auraient de choix qu'entre accepter ces conditions ou disparaître complètement, lors même qu'ils auraient pu réunir un pourcentage important des suffrages exprimés.
Il peut même se produire qu'un faible écart suffise - essentiellement dû, rappelons-le, aux abstentionnistes - à ce que l'une se qualifie et l'autre non, la seconde étant alors intégralement assujettie à la volonté de la première.
39. Certes, l'on ne manquera pas de dire que la liste sélectionnée a tout intérêt à se renforcer en vue du second tour, ne serait-ce que pour accroître ses chances d'y terminer en tête et de bénéficier de la prime, de sorte qu'il lui faudra, à cette fin, ne pas maltraiter ses partenaires potentiels.
Mais cette vision lénifiante est démentie par la réalité, car il a déjà été maintes fois établi (v., par exemple, Colette Ysmal, "Triangulaires", Dictionnaire du vote, PUF, 2001, p. 905) que des formations politiques ne conservent d'influence sur leurs électeurs que lorsqu'elles sont elles-mêmes présentes au second tour, tandis que cette influence s'évanouit avec leur disparition, de sorte que, au cas présent, une liste aurait plus à gagner à l'élimination d'un concurrent proche d'elle qu'à la fusion avec celui-ci. A plus forte raison en va-t-il ainsi lorsque le concurrent est moins proche.
40. Mérite encore d'être rappelée l'incidente qui figurait dans le considérant n° 12 de votre décision 89-237 précitée, où vous preniez soin d'indiquer, à propos du mécanisme d'aide retenu en matière financière qu'il ne devait "aboutir ni à établir un lien de dépendance d'un parti politique vis-à-vis de l'Etat, ni à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions".
Que dire, alors, d'un seuil arbitrairement élevé qui aboutit à créer, puisque c'est son objet même, un lien de dépendance artificiel de partis politiques vis-à-vis d'autres partis politiques et, ce faisant, à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions ?
41. Enfin, c'est la sixième et dernière observation sur cet aspect, vous-mêmes, en plusieurs circonstances et en particulier dans la décision précitée du 11 janvier 1990, avez censuré des seuils non à raison de leur existence même et des ruptures d'égalité qu'ils occasionnent inévitablement, mais à raison de la disproportion entre la finalité du seuil et ses effets.
Si, en matière de financement, un seuil de 5 % des suffrages exprimés a été jugé de nature à "entraver l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions" (considérant n° 14), à plus forte raison, en matière d'élections, un seuil de 10 % des électeurs inscrits doit-il être jugé de nature à entraver l'expression et, plus encore, la représentation, de courants d'idées et d'opinion qui ont déjà démontré leur importance et leur implantation.
Les modalités retenues par la loi déférée les dissuadant de se présenter sous leurs propres couleurs et, en tous cas, les obligeant, puisque c'est leur objet même, à fusionner avec un grand parti au second tour, les partis ainsi dissuadés ou empêchés de présenter leur propre liste, alors pourtant que leur maintien ne menacerait pas l'existence d'une majorité, ne pourraient pas réellement et efficacement "concourir à l'expression du suffrage" ni "exercer leur activité librement".
Ces contraintes ne se borneraient pas à entraver les partis et à réduire leurs droits. Elles restreindraient aussi les droits des électeurs, qui, sauf à s'abstenir, ce qui ne serait certes pas un progrès, seraient contraints, inutilement, à des choix réducteurs, au lieu de disposer de la pluralité des listes, et donc des programmes, présentées par celles-ci.
Ce seuil doit alors, pour reprendre vos propres termes, "être déclaré contraire aux dispositions combinées des articles (1er) et 4 de la Constitution" (ibid.).
42. A tous ces titres, il apparaît clairement que le seuil retenu produirait des effets manifestement disproportionnés avec l'objectif poursuivi.
La finalité nécessaire et légitime consiste à doter les conseils régionaux d'une majorité claire et, partant, à la fois apte à diriger la région et effectivement responsable de sa gestion devant les électeurs.
Le législateur est toujours fondé à rechercher cet objectif, mais il doit le faire en respectant le plus possible la liberté des électeurs et des formations politiques.
S'il estimait insuffisant le dispositif résultant de la loi de 1999, il pouvait, à son choix, augmenter l'importance de la prime, voire relever raisonnablement le seuil de présence au second tour.
Mais il ne pouvait, même en baptisant bipolarisation ce qui serait en réalité une sorte de bipartisme contraint, tordre l'ensemble du système politique, exclure des conseils régionaux des partis et des électeurs qui devraient y être représentés sans nuire à l'existence d'une majorité, et prétendre ramener le choix du second tour à deux termes seulement, non par l'effet naturel des préférences exprimées par les citoyens mais par l'imposition autoritaire d'un mécanisme abusif d'exclusion, qui commanderait que seules deux formations politiques détiennent la quasi-intégralité des sièges de conseillers régionaux.
43. Dès lors, parce qu'il porte une atteinte d'une extrême gravité à la liberté et au pluralisme, tant par l'inconsistance, dans leur principe même, des objectifs prétendument poursuivis, que par le caractère manifestement disproportionné des effets qui en résulteraient, le seuil fixé à 10 % du nombre des électeurs inscrits ne pourra qu'être censuré pour cette deuxième raison.
c) Sur la violation des articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789 en matière d'égalité
44. Que, dans la logique d'un scrutin majoritaire uninominal, il faille se coaliser pour espérer emporter un siège, c'est efficace sans être malsain. Que cette exigence conduise à ce que le vainqueur, même par 50,01 % des suffrages, obtienne 100 % de la représentation de la circonscription, tandis que celui qui aura plafonné à 49,99 % sera exclu de toute représentation n'a rien non plus qui puisse choquer puisque la formation qui aura perdu de justesse ici pourra gagner de justesse ailleurs.
Que, du fait de ces logiques, il puisse exister une distorsion importante entre le pourcentage des voix obtenues dans un premier tour et celui des sièges conquis au second est alors naturel puisque consubstantiel à un mode de scrutin choisi pour son efficacité.
En revanche, n'est pas acceptable le fait qu'une distorsion presque aussi importante puisse exister dans un scrutin que caractérise sa vocation à assurer la représentation des minorités au sein de l'assemblée délibérante où, par ailleurs, est garantie l'existence d'une majorité.
Dans le premier cas, le résultat est conforme à la philosophie même du mode de scrutin, au point qu'il est non pertinent d'y voir une quelconque rupture d'égalité. Dans le second cas, le résultat est opposé à la philosophie même du mode de scrutin, de sorte que doit être sanctionnée toute rupture d'égalité qui y apparaît sans être justifiée par une considération d'intérêt général qui pourrait la légitimer.
A cette lumière, le seuil de 10 % du nombre des électeurs inscrits, institué au a) du 2° de l'article 4 de la loi est, pour plusieurs motifs, contraire au principe d'égalité.
45. En premier lieu, si l'institution de la prime n'a rien qui soit contraire à la Constitution comme vous-mêmes l'avez explicitement jugé, s'il en va de même de l'existence d'un seuil à atteindre au premier tour pour avoir le droit de concourir au second, tout autre est la situation dans laquelle la prime coexiste avec un seuil abusivement élevé.
A cet égard, il n'est pas indifférent de souligner que, lors des dernières élections municipales dans les villes de plus de 100 000 habitants, seules deux d'entre elles (Grenoble et Reims) ont vu trois listes réunir plus de 10 % des électeurs inscrits au premier tour, toutes les autres n'en connaissant qu'une ou deux. De la même manière, lors du tour unique des dernières élections régionales, en 1998, seules quatre régions ont vu trois listes franchir la barre des 10 % d'électeurs inscrits (Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, PACA), alors que deux seulement atteignaient ce pourcentage dans toutes les autres.
Il ressort donc tant de l'arithmétique politique que de l'intention affichée par les auteurs du texte chaque fois qu'ils ont insisté, en parlant de bipolarisation, sur leur souhait de voir limité à deux le nombre des listes présentes au second tour, que ce serait, de très loin, le cas le plus fréquent.
Mais alors, lorsque seules deux listes restent en compétition, et que l'une obtiendra forcément la majorité des suffrages exprimés, donc celle des sièges attribués à la représentation proportionnelle, la prime perd à la fois toute utilité et, du même coup, toute légitimité.
46. Puisque le suffrage universel est toujours égal, il est inadmissible que, dans un duel devant déboucher sur une attribution de sièges proportionnellement aux suffrages recueillis par chaque liste, les électeurs et les formations de l'une des deux, celle arrivée en tête, obtiennent un quart d'élus en plus, alors qu'ils détiennent déjà la majorité. Il ne s'agit plus alors d'un mécanisme pour assurer une majorité, mais d'une pure et simple libéralité offerte au vainqueur et que rien ne peut justifier.
En d'autres termes, dès lors que le relèvement du seuil vise explicitement à ce que seules subsistent deux listes au second tour, le législateur aurait dû, pour respecter le principe d'égalité, ne prévoir la prime que pour les seuls cas dans lesquels, malgré ses efforts, plus de deux listes sont présentes au tour décisif (qu'il s'agisse alors du premier ou du second tour).
En conséquence, il vous faudra déclarer ce nouveau seuil contraire au principe d'égalité, sauf à ce que vous préfériez constater que c'est la prime elle-même qui y est devenue contraire, à l'occasion de la nouvelle loi qui en modifie la portée, faute d'avoir été limitée aux seuls cas dans lesquels plus de deux listes seraient en compétition.
47. En deuxième lieu, le principe d'égalité entre les électeurs est rompu à nouveau en ceci qu'ils pourront être privés, ou non, de toute représentation pour des causes qui leur seraient totalement étrangères.
Ainsi, dans deux régions différentes, une liste représentant la même formation peut avoir réalisé exactement le même score (voire le même nombre de voix), par exemple 16 % des suffrages exprimés. Dans une région, parce qu'il y aura eu 35 % d'abstention, la liste aura atteint 10 % des électeurs inscrits et pourra se maintenir au second tour, cependant que, dans la région voisine, et seulement parce qu'il y aura eu 40 % d'abstention, la liste sera exclue du second tour.
Dès lors, si aucune fusion n'est politiquement possible, la seconde liste sera exclue non seulement du second tour mais, surtout, exclue du conseil régional, qui plus est pour six ans.
48. Certes, il s'agit là d'un effet qui est inséparable de toute logique de seuil et il pourrait se produire de manière équivalente avec n'importe quel seuil, y compris celui aujourd'hui en vigueur.
Mais il est tout aussi indiscutable que tant la plausibilité que la gravité de la rupture d'égalité s'élèvent au fur et à mesure que s'élèvent les seuils eux-mêmes.
Dès lors, sachant que le nouveau seuil, situé à un niveau exceptionnellement élevé, ne correspond à aucune nécessité tangible, bien au contraire, sa fixation à 10 % des électeurs inscrits procède ici d'une simple volonté partisane, qui se traduit par une erreur manifeste dans l'appréciation de ce que peut autoriser le respect du principe d'égalité.
49. En troisième lieu, une liste ayant recueilli 5,1 % des exprimés, parce que pouvant alors fusionner avec une autre, aurait grâce à cela des élus au conseil régional, tandis qu'une autre, qui aurait recueilli presque quatre fois plus de suffrages (par exemple 19,8 %, alors que l'abstention s'est élevée à 50 %), n'aurait aucun élu, faute d'avoir pu ni se maintenir ni fusionner.
Celle-ci serait alors exclue de toute représentation non à raison du choix des électeurs, non afin de préserver l'émergence d'une majorité, acquise par ailleurs, mais seulement parce qu'elle ne serait politiquement compatible avec aucune des deux listes maintenues.
La rupture d'égalité, dont seraient ensemble victimes ses électeurs et ses candidats, serait alors aussi violente qu'insusceptible d'être justifiée par l'objet de la loi.
50. Ainsi, contraire tant à l'article 39 de la Constitution par sa procédure d'insertion dans le texte, qu'aux principes de liberté et d'égalité tels qu'ils résultent de la Constitution et de la Déclaration de 1789, le seuil de 10 % du nombre des électeurs inscrits qu'une liste doit atteindre au premier tour pour avoir le droit de concourir au second sera immanquablement annulé.
51. Cette censure ne compromet pas l'ensemble de la loi, ni même du titre.
Théoriquement, elle pourrait porter soit sur les mots "10 % du nombre des électeurs inscrits", soit seulement sur les mots "du nombre des électeurs inscrits". Dans le premier cas, le seuil résultant de votre décision serait le seuil actuel ("5 % du total des suffrages exprimés"), dans le second, il se trouverait situé à 10 % des suffrages exprimés, ce qui non seulement est plus conforme aux volontés du législateur, mais encore reprendrait le texte du véritable projet, c'est-à-dire tel qu'il avait été soumis au Conseil d'Etat.
Mais surtout le Parlement, dans l'un et l'autre cas, disposera de tout le temps nécessaire pour définir et adopter rapidement un nouveau seuil qui, cette fois-ci, soit conforme à la Constitution.
2° - Sur le seuil autorisant une liste à fusionner avec une autre
52. La loi déférée le porte de 3 % à 5 % des suffrages exprimés. Il vise à exclure de toute représentation au sein du conseil régional les listes qui auront obtenu entre 3 et 5 % des suffrages exprimés.
S'il est vrai que le Parlement dispose d'un pouvoir d'appréciation et de décision large, il est également vrai, de nouveau, qu'il ne peut en user que dans le respect des règles constitutionnelles au nombre desquelles la liberté figure en place éminente.
Or l'atteinte ainsi portée à la liberté des listes souhaitant fusionner, et de leurs électeurs, ne peut, ici non plus, se réclamer d'aucune nécessité objective.
Sans qu'il soit besoin ni, partant, souhaitable, de refaire la démonstration précédente (supra, 24 et suiv.), l'unique motif qui préside au relèvement de ce seuil n'est nullement l'émergence d'une majorité, puisqu'il est sans effet sur ce point, mais seulement la formation d'une majorité fonctionnant sur le modèle monolithique qui a les faveurs de l'actuel gouvernement.
53. Au-delà de cette motivation, pour le moins discutable et fragile, c'est à chacune des listes présentes au second tour de se donner la configuration politique de son choix. Si elle souhaite intégrer quelques candidats issus de listes ayant réuni entre 3 et 5 % des suffrages exprimés, cela ne concerne qu'elle, les listes concernées, et les électeurs de l'une et des autres.
L'existence de la majorité est assurée par ailleurs, quant à sa solidité, il n'y a aucun motif objectif qui permette de penser (au contraire) que les partenaires issus d'une liste ayant recueilli entre 3 et 5 % des suffrages seraient moins solidaires que ceux ayant obtenu plus de 5 %.
Enfin, quand surgiraient des problèmes de division, d'une part, le Président de la région a reçu de la loi les moyens d'y faire face, d'autre part, ces divisions éventuelles recevraient s'il y a lieu la seule sanction légitime, celle infligée par les électeurs eux-mêmes lors du scrutin suivant.
54. Pour ces raisons, et sans qu'il y ait lieu à prolonger inutilement l'argumentation, sur laquelle les soussignés se permettent de renvoyer aux développements qui précèdent, ce seuil aussi méritera d'être déclaré contraire à la Constitution.
3° - Sur les dispositions particulières relatives à la Corse
55. Le gouvernement, suivi en cela par sa majorité, a fait le choix de maintenir, pour l'Assemblée de Corse, le mode de scrutin actuel. Quelque opinion que ce choix puisse susciter, il n'est pas en lui-même discutable en termes constitutionnels.
En revanche, il est un aspect qui rendra pourtant sa censure inéluctable, et c'est naturellement l'omission concernant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
56. L'on sait que la législation en vigueur est antérieure à l'insertion, dans la Constitution, du principe aujourd'hui proclamé par le cinquième alinéa de l'article 3 de la Constitution.
Malgré cela, la loi de 1999 avait anticipé. Celle qui vous est déférée pousse ce principe à son aboutissement logique en ce qui concerne les régions.
Dès lors, ne pas faire de même pour la Corse est à la fois contraire au cinquième alinéa de l'article 3 et au principe d'égalité puisque les femmes, en Corse, bénéficieraient de capacités d'accès aux mandats électoraux moindres que celles légitimement aménagées pour la totalité des autres femmes vivant dans les régions françaises.
57. Aucune considération, ni de droit ni même d'opportunité ne peut, sauf à résonner comme une insulte aux femmes désireuses de briguer un mandat en Corse, justifier une telle violation simultanée du plus ancien et du plus récent de nos principes constitutionnels.
De nouveau, il pourra être aisément et rapidement remédié à cette censure inévitable, ce qui rend d'autant plus certain qu'elle sera prononcée.
II - Sur le mode de scrutin applicable aux élections européennes
58. Le principe de la réforme consiste à effacer l'actuelle circonscription unique au profit de huit grandes circonscriptions que l'on a appelées "super-régionales".
Deux objectifs sont théoriquement poursuivis : d'une part, rapprocher l'électeur et l'élu, d'autre part, représenter notre pays dans sa diversité géographique.
Cette dualité n'est que théorique car le second de ces objectifs est en réalité peu présent, et il convient donc de commencer par l'écarter.
59. Dès l'exposé des motifs de la loi (p. 6), le Gouvernement lui-même tempère fortement l'importance de cette considération en écrivant :
"Certes, les responsables de la constitution des listes ont soin, ne serait-ce que dans le souci de rassembler le maximum de voix des courants d'opinion qui leur sont favorables, de faire figurer sur les listes soumises aux suffrages des électeurs des candidats originaires de zones aussi diverses que possible".
Ainsi, les auteurs du texte montrent eux-mêmes que le problème qu'ils posent se règle de lui-même, du moins pour l'essentiel (car ils évoquent ensuite à juste titre le fait que cette diversité peut néanmoins ne pas toujours se retrouver parmi les élus).
60. Au-delà de cette première considération, l'on est en droit de s'interroger sur la pertinence même de l'objectif. L'on ne voit pas bien, en effet, à quel titre les élections européennes devraient refléter la diversité géographique de notre pays plus qu'elles ne le font naturellement par la composition des listes actuelles.
Il existe à cette fin, et il arrive même que certains le regrettent, un Comité des régions institué par le traité d'Union européenne, qui a justement vocation à représenter la diversité géographique de chacun des Etats membres. En outre, nul n'ignore la place qu'occupent les politiques régionales dans les préoccupations et le budget européens.
Dès lors, et sans même parler des conditions mises en oeuvre pour atteindre ce pseudo-objectif, son existence même ne saurait être fondée sur aucune considération issue ni du droit constitutionnel ni du droit communautaire, pas plus que sur une nécessité de fait dont la réalité serait attestée.
Pour le dire autrement, la représentation de la diversité géographique à l'occasion des élections européennes, au-delà de ce qui se fait déjà spontanément, n'est pas à ce point impérative qu'elle puisse rendre légitimes des entraves significatives à la liberté et à la sincérité du scrutin.
61. Dès lors, ne subsiste en réalité, parmi les deux motivations avancées par le Gouvernement et constamment reprises dans les débats, que la première d'entre elles, le souci de rapprocher l'électeur de l'élu.
Mais celle-ci, à son tour, appelle quelques remarques liminaires.
62. La première de ces remarques consiste à relever que cette proximité, si elle peut être bienvenue, n'est nullement une exigence de caractère constitutionnel.
Vous-mêmes avez reconnu, ce que personne ne conteste, l'utilité qui peut s'attacher à "assurer un lien étroit entre l'élu d'une circonscription et les électeurs" (décision 86-208 DC, considérant n° 22), mais vous ne l'avez fait que pour préciser aussitôt que ce souci ne pouvait être pris en compte, au détriment du principe d'égalité, que pour des aménagements marginaux.
63. La deuxième remarque tend à observer que la taille des "super-régions" rend illusoire toute idée de lien réel entre les candidats, donc les élus, et les électeurs (rappelons que, en métropole, les circonscriptions iront de plus de 4 millions à plus de 10 millions d'habitants).
Non seulement la distance restera considérable entre les uns et les autres, non seulement les premiers pourront venir d'une région autre que celle de la plus grande majorité des seconds et être parfaitement inconnus de ces derniers, mais encore y a-t-il lieu de relever qu'il n'existe aucun organe de communication, ni écrit ni audiovisuel, dont le périmètre corresponde à celui des "super-régions", de sorte que l'espérance même de campagnes localisées est matériellement illusoire.
A cela, on peut encore ajouter que, autant les électeurs peuvent se reconnaître sans difficulté dans une circonscription unique nationale ou, à l'inverse, dans des circonscriptions de communes, de cantons ou d'arrondissements, autant l'on peine à concevoir que puissent avoir un sentiment d'appartenance commune et distinctive l'électeur de Bonifacio ou de Menton avec celui Bourg en Bresse, l'électeur de Perpignan avec celui de Bordeaux, l'électeur d'Avranches avec celui de Laon, pour s'en tenir à ces quelques exemples.
64. La troisième remarque vise à souligner les contradictions du discours gouvernemental. Dans le même exposé des motifs, traitant des circonscriptions régionales actuelles pour l'élection des conseillers régionaux, le Gouvernement lui reproche de "supprimer l'ancrage territorial des élus régionaux et de distendre le lien entre les élus et les citoyens" (p. 4), puis, en venant aux circonscriptions européennes, il mentionne "l'ancrage territorial des élus et (...) leur rapprochement avec les citoyens" (p. 7).
Ainsi, dans un cas, la dimension régionale est jugée trop vaste pour permettre un ancrage territorial et simultanément, dans l'autre cas, la dimension "super-régionale", beaucoup plus vaste encore, est présentée comme assurant un tel ancrage. Comprenne qui pourra.
De fait, parler de proximité à propos de circonscriptions hétérogènes comptant plusieurs millions d'habitants, dont chaque élu sera supposé représenter près de 800 000 d'entre eux, est tout simplement une plaisanterie, que l'on ne peut pas même juger aimable.
65. La quatrième et dernière remarque préliminaire est pour observer que le Gouvernement a profité de l'engagement de sa responsabilité pour supprimer les articles 13 et 14 du projet initial. De fait, ceux-ci, qui prétendaient opérer une répartition régionale des sièges dans chaque "super-région", étaient à ce point amphigouriques qu'ils n'eussent certainement pas satisfait aux exigences d'intelligibilité de la loi, et le Gouvernement a fini, même tardivement, par en prendre conscience.
Au moins ces articles tentaient-ils, toutefois, de donner un peu de substance, certes légère, à l'objectif affiché de rapprochement entre élus et électeurs. Leur suppression aboutit ainsi à ce que cet objectif, comme il vient d'être établi, n'est plus du tout susceptible d'être atteint.
En d'autres termes, l'on est passé d'un texte totalement inintelligible, mais partiellement efficace au regard de l'objectif invoqué, à un texte partiellement intelligible, mais totalement inefficace au regard de l'objectif invoqué. L'on ne sait ce qui, constitutionnellement, est le pis.
66. Toujours est-il que, à la lumière des remarques qui précèdent, le dispositif adopté est lui aussi contraire à la Constitution parce qu'attentatoire tant au principe de parité qu'au principe de liberté et au principe d'égalité.
Les normes de référence ici concernées étant les mêmes que celles déjà mises à l'épreuve par le mode de scrutin régional, l'on se permettra donc de ne pas rappeler ce qui a déjà été écrit à propos de la liberté (supra, 17 à 19) et de l'égalité (supra, 44).
Toutefois, le Conseil constitutionnel n'aura peut-être pas même besoin d'examiner les moyens fondés sur ces principes, puisqu'il en est un, premier dans l'ordre logique, qui suffit à entraîner la censure de l'ensemble du titre II de la loi.
a) En ce qui concerne la violation du principe d'universalité
67. Le découpage adopté par le législateur a pour premier effet de priver du droit de vote les citoyens français résidant hors des frontières de l'Union européenne.
Ceux-ci ont participé à ce scrutin, depuis sa création, soit en votant auprès des consulats, soit, plus rarement, en demeurant inscrits sur la liste où ils étaient inscrits lorsqu'ils résidaient encore en France. Dans le second cas, ils ne seront pas spécialement affectés par la réforme.
Dans le premier, en revanche, sont concernés (selon les données obtenues auprès de la Maison des Français de l'étranger) 245 074 électeurs (pour la dernière élection présidentielle) inscrits auprès des consulats extérieurs aux frontières de l'Union, qui, quoi que vivant souvent depuis longtemps à l'étranger, ne se sentent pas moins, voire au contraire, citoyens français et citoyens européens. La loi déférée priverait purement et simplement beaucoup d'entre eux du droit de vote aux élections européennes.
Nombreux sont ceux, en effet, qui ne relèvent d'aucune des catégories de l'article L. 12 du code électoral (il suffit de songer aux Français nés et résidant dans des pays - par exemple les anciennes colonies ou encore la Suisse - où leurs propres parents avaient eux-mêmes passé leur vie), sans pour autant cesser d'être citoyens.
Il eût été aisé de prévoir, au moins pour ces cas, la possibilité d'un mécanisme de rattachement, résultant, dans des conditions objectives, du décret prévu à l'article 15 de la loi déférée. Mais le législateur ne pouvait s'en tenir à l'abrogation pure et simple, qui résulte de l'article 28 de la loi qui vous est soumise, de l'article 23 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 19977.
68. Quelle que soit la conception du peuple qu'il s'agit de représenter au Parlement européen, soit peuple de France, soit fraction française du peuple de l'Europe et citoyens européens résidant en France, nos concitoyens établis à l'étranger y appartiennent tous, sans exception.
Tous, sans exception, sont membres de plein droit de l'universalité du collège électoral et nul ne peut les en exclure, à aucun titre.
Dès lors, tout mode de scrutin qui prive certains d'entre eux, quel que soit leur nombre, non seulement de toute représentation mais, plus inacceptable encore, de tout suffrage porte atteinte au plus sacré de nos principes démocratiques, celui selon lequel le suffrage est universel, comme l'énonce solennellement l'article 3 de la Constitution.
Au demeurant, le Gouvernement lui-même en a pris conscience qui, devant le Sénat, a pris l'engagement de traiter ce "problème délicat" (séance du 11 mars 2003) par une loi à venir. Mais cet engagement souligne l'inconstitutionnalité bien plus qu'il ne l'efface : c'est par la loi déférée qu'elle est créée aujourd'hui, c'est dans la loi déférée qu'elle doit être aujourd'hui sanctionnée. Ceci, de surcroît, obligera le Gouvernement à matérialiser les intentions qu'il a affichées et, ainsi, le secondera dans ses efforts qui seraient louables s'ils n'étaient si tardifs.
Dans ces conditions, la censure immanquable de l'article 28 de la loi déférée ne saurait suffire, puisqu'elle rétablirait certes le droit de vote des citoyens concernés, mais ne les autoriserait pas à l'exercer, faute qu'aient été prises les dispositions permettant de les rattacher à l'une ou l'autre des huit circonscriptions.
C'est ainsi l'ensemble du titre II de la loi qui se trouve affecté, et c'est donc l'ensemble de ce titre qui doit être déclaré contraire à la Constitution pour ce premier motif.
b) Sur la violation du principe de parité
69. Du seul fait que l'actuelle circonscription unique nationale serait divisée en huit, le nombre d'élus obtenus par chaque liste en présence sera considérablement réduit.
En conséquence, nombreuses seront celles qui n'obtiendront qu'un seul siège ou, si elles font mieux, un nombre impair de sièges. Il en résultera nécessairement un déséquilibre important entre hommes et femmes, en termes d'élus, alors que l'article 7 de la loi n° 2000.295 du 6 juin 2000, modifiant le premier alinéa de l'article 9 de la loi précitée de 1977, a déjà établi le système selon lequel "chaque liste est composé alternativement d'un candidat de chaque sexe".
De ce fait, l'écart de parité maximum est aujourd'hui de un pour chaque liste obtenant des élus (et seulement s'il y a un nombre impair d'élus, par exemple, trois hommes et deux femmes, si la tête de liste est occupée par un homme). Lorsqu'il n'y a de listes que nationales, seules, à l'expérience, moins d'une dizaine de listes obtiennent des élus(e)s, de sorte que l'écart de parité total porte sur moins d'une dizaine des sièges.
Au contraire, avec huit circonscriptions, l'on peut aisément imaginer qu'environ une vingtaine de listes pourront obtenir des élu(e)s (les deux listes principales en obtenant dans chacune des circonscriptions et quelques listes moyennes parvenant à en obtenir un ici ou là). En conséquence, l'écart de parité actuel pourra être, ipso facto, multiplié par deux, voire davantage.
70. Cette démonstration, difficilement réfutable, suffit à établir que loin qu'elle "favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs", comme l'exige pourtant de manière formelle le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution, la loi régresse brutalement par rapport au droit existant.
Si le pouvoir constituant a pris la peine d'opérer cette révision, par la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999, c'est justement pour que le législateur ordinaire, non seulement améliore la situation chaque fois que pertinent mais, surtout, ne fasse rien qui puisse la dégrader.
Peu importe alors que cette dégradation ne soit pas l'objet poursuivi par les auteurs du texte. Il suffit que ce soit l'effet de sa décision pour que cette dernière soit contraire à la Constitution.
L'on pourra répondre que cela signifierait l'impossibilité totale de découper des circonscriptions pour les élections européennes, à quoi l'on répliquera que c'est effectivement le plus probable, pour cause de parité principalement mais pas seulement (infra, 79), et que si d'aucuns peuvent le regretter, ils ne peuvent plus l'ignorer : la révision constitutionnelle de 1999 oblige, y compris parfois à renoncer à des mesures dont on n'avait pas jusqu'alors perçu l'inconstitutionnalité nouvelle.
C'est donc l'ensemble du titre II que s'en trouve affecté et sera déclaré contraire à l'article 3 de la Constitution.
c) Sur la violation des principes de liberté et de pluralisme
71. C'est de la liberté des électeurs eux-mêmes qu'il s'agit ici au premier chef.
En 2004, la France élira 78 membres du Parlement européen. Deux d'entre eux le seront dans la circonscription d'outre-mer. Les autres circonscriptions auront entre 6 (Massif central-Centre) et 14 (Ile-de-France) élus.
Ainsi, même à s'en tenir à la métropole, où le seuil d'éligibilité est aujourd'hui de 5 %, il s'élèvera, au minimum, à 7,1 % dans la plus grande circonscription (100 : 14) et à 16,6 % dans la moins vaste (100 : 6).
De ce seul fait, certaines listes aujourd'hui représentées au Parlement en seront désormais exclues, tandis que d'autres verront leurs effectifs actuels notablement amputés lors même, dans l'un et l'autre cas, qu'ils feraient en 2004 les mêmes scores qu'en 1999, et ce indépendamment de l'abaissement de 87 à 78 du nombre des élus français.
72. Face à cette situation, les électeurs, qui sont les destinataires premiers d'un mode de scrutin et doivent en comprendre la logique, n'auront de choix, pour un nombre très important d'entre eux, qu'entre voter selon leurs convictions, au risque de perdre toute chance d'être représentés, ou choisir d'être représentés mais à condition de voter pour une liste autre que celle qui aurait leur préférence.
Tous, parce qu'ils ont une expérience démocratique élevée, connaissent la notion de vote utile, de sorte que tous, lorsque leur préférence ne les porte pas naturellement vers l'une des grandes listes en présence, seront confrontés à ce dilemme.
73. Ainsi, c'est un véritable marché de dupe qui leur serait imposé, puisqu'il leur faudrait sacrifier la proximité politique réelle sur l'autel d'une proximité géographique irréelle, troquer leurs convictions politiques contre un pseudo-avantage territorial.
Présenter ainsi - et cette présentation est indiscutable - les termes de l'échange que la loi prétend opérer autoritairement, c'est sinon le disqualifier - pas encore - du moins établir qu'il est intrinsèquement attentatoire à la liberté des électeurs, et qu'il est d'ailleurs fait avant tout pour cela, tant il est clair que les arrière-pensées partisanes l'inspirent seules.
Mais cette atteinte objective à la liberté démocratique des électeurs, ainsi qu'à celle des partis qui les représentent, et donc au pluralisme, pourrait, on le sait, être admise, à défaut d'être approuvée, si elle pouvait se réclamer d'une justification d'intérêt général.
Il n'en est rien.
74. Dans le débat, plusieurs arguments ont été avancés, en plus de celui de la proximité géographique dont on a déjà mesuré l'inconsistance. Sont ainsi apparus tour à tour le rôle croissant du Parlement européen, l'anonymat des élus français (qui apprécieront), l'ampleur de l'abstention.
Reprenons-les dans l'ordre inverse.
75. L'ampleur de l'abstention est à la fois spectaculaire et préoccupante. Toutefois, l'on voit mal comment il serait possible de lutter efficacement contre elle en adoptant un mode de scrutin décourageant pour les soutiens des petites et moyennes listes sans être en rien mobilisateur pour ceux des grandes.
L'abstention, et les soussignés ne l'écrivent qu'à regret, doit tout au système politique et rien au mode de scrutin, comme le prouvent ses progrès hélas continus dans des élections qui toutes, pourtant, obéissent aux règles et aux mécanismes les plus divers.
Le phénomène n'est nullement propre aux élections européennes, même si c'est à cette occasion qu'il est le plus visible, ce qui suffit à exclure qu'il puisse être dû au(x) mode(s) de scrutin. De plus, on l'aura compris, ceci vaut, en tant que de besoin, pour le mode de scrutin régional aussi (supra, 23).
76. L'anonymat des élus français est doublement relatif.
Il l'est une première fois en ceci que figurent sur les listes nationales actuelles des dirigeants importants, souvent très connus à l'échelle nationale ou, à défaut, locale, de sorte que l'on voit mal comment la ventilation entre huit méga-circonscriptions ferait surgir des personnalités moins "anonymes".
Il l'est une seconde fois en ceci que, dans les scrutins de liste existants, même au niveau municipal, a fortiori au niveau départemental ou régional, les électeurs connaissent, souvent, la tête de liste, parfois, mais déjà beaucoup plus rarement, quelques uns des colistiers, et jamais l'ensemble des candidats, fût-ce simplement de nom. Et encore cette observation vaut-elle pour des niveaux géographiques effectivement anciens et assez proches. A plus forte raison vaudrait-elle pour un échelon qui ne correspondrait à aucune pratique ou tradition et demeurerait extrêmement éloigné.
A ce double titre, nul ne peut sérieusement être convaincu par l'argument du gain de notoriété des candidats, donc des élus, que provoquerait le découpage adopté.
77. Le troisième argument, celui tiré de l'accroissement du rôle du Parlement européen, est le seul qui, dans un premier temps, pourrait être convaincant.
En effet, ce qui est souhaitable dans une assemblée délibérative nationale - l'existence d'une majorité, la lutte contre l'atomisation de la représentation, etc. - ne cesse pas de l'être au niveau européen.
A cette évidence peuvent s'ajouter encore deux considérations. Premièrement, il est de l'intérêt de la France de pouvoir peser dans l'enceinte européenne et, à cette fin, d'avoir une présence forte dans les divers groupes parlementaires qui s'y forment. Deuxièmement, même si elle n'a pas les moyens, seule, d'y favoriser la bipolarisation, elle peut choisir de commencer par y apporter sa propre contribution, en espérant que son exemple inspirera ses partenaires.
Si pertinents que puissent être ces arguments, l'on va vite découvrir qu'ils ne résistent pas à l'examen.
78. S'agissant, tout d'abord, de la présence française dans les divers groupes parlementaires, elle est le reflet de la diversité des opinions nationales, et rien ne permet d'affirmer que la France perde à cette variété, dans laquelle elle est rejointe par d'autres nationalités, faute de quoi il serait impossible de réunir les effectifs nécessaires à la formation d'un groupe.
Dès lors, l'on peut être fondé à penser que la France gagne davantage à être représentée dans de nombreux groupes qu'à l'être un peu plus dans quelques-uns uns seulement.
L'on conviendra aisément que les deux thèses ont leurs mérites, et que l'on peut plaider aussi raisonnablement pour l'une que pour l'autre, le choix étant alors affaire de priorités.
Mais justement parce que les deux thèses sont défendables, cela exclut que l'une d'elles soit à ce point dirimante qu'elle puisse justifier que, en son nom, soit gravement entravée la liberté de choix des électeurs.
79. S'agissant ensuite de la formation de majorités au sein du Parlement européen, l'objectif n'a nul lieu d'être poursuivi puisqu'il est déjà atteint.
Depuis qu'il est élu au suffrage universel direct, en effet, le Parlement européen a toujours eu une majorité ample, solide, formée des principaux groupes parlementaires.
Que ces groupes dessinent ainsi une majorité aux contours politiques très différents de ce qui existe en France ne fait aucun doute.
Mais il ne fait aucun doute non plus, premièrement, que cette majorité existe bien et, grâce à un esprit de compromis qui l'honore, fonctionne globalement sans problèmes graves ; deuxièmement, qu'il est naturel que les clivages politiques européens puissent être différents, justement parce qu'européens, des clivages politiques nationaux ; troisièmement, que la France n'a ni capacité ni légitimité à prétendre imposer à l'Europe les frontières politiques de son choix, reproduisant à l'identique les siennes propres.
80. Dans ces conditions, aucune des motivations avancées par les auteurs de la loi n'offre une justification suffisante, ni même significative, à l'atteinte portée à la liberté des électeurs et au pluralisme des élections. Ne subsistent donc que cette atteinte que rien, partant, ne vient rendre légitime ou simplement justifiable.
81. A cela, on ne manquera pas d'objecter que cette démonstration s'opposerait de la même manière à tout découpage, quelles qu'en soient les délimitations.
C'est exact et il est temps d'en prendre conscience, quitte à ce que ce soit, pour certains, à regret. En plus du principe de parité (supra, 70), s'opposent à toute division soit le droit communautaire soit d'autres considérations constitutionnelles.
D'un côté, en effet, cette démonstration ne s'opposerait pas à ce que soient découpées 78 circonscriptions uninominales (dont au moins une pour les Français établis hors des frontières européennes), mais cela se heurterait au principe européen qui privilégie la représentation proportionnelle.
De l'autre côté, cette démonstration s'oppose effectivement à tout découpage qui aboutit arithmétiquement à relever le seuil d'éligibilité, sans motif légitime.
L'on en revient toujours ainsi à l'essentiel : l'objet de ces élections est de donner une représentation politique des citoyens concernés, nullement une représentation géographique, et cette seconde préoccupation ne saurait en aucun cas être recherchée ou satisfaite au détriment, si peu que ce serait, de la première.
82. En réalité, chacun sait que la représentation proportionnelle nationale pénalise avant tout les grands partis de gouvernement, où qu'ils se situent. C'est un désagrément que tous ont connu et c'est celui que la majorité souhaite s'épargner, ou limiter, par cette réforme qui n'obéit en vérité qu'à cet objectif.
Mais chacun sait aussi, en premier lieu, que toutes les autres élections - municipales, cantonales, régionales, législatives, sénatoriales et présidentielle - favorisent, pour des raisons facilement compréhensibles, les grandes formations au détriment des moins grandes et qu'il n'est donc pas inconvenant qu'il en aille autrement dans un seul scrutin, qui se différencie ainsi des six autres ; en second lieu, que la diversité de représentation qui en sort, même infidèle également à sa manière, présente des avantages réels, en termes d'expression brute du pluralisme, faisant contrepoids à ses inconvénients ; en troisième lieu que, en tout état de cause, épargner une mauvaise soirée, tous les cinq ans, aux dirigeants en fonction est un motif trivial à une réforme de cette gravité.
A ce deuxième titre, donc, elle sera déclarée contraire à la Constitution parce qu'attentatoire aux principes de liberté et de pluralisme.
d) Sur la violation du principe d'égalité
83. Elle résulte à la fois du principe même du découpage et de ses conséquences.
84. S'agissant, en premier lieu, du principe il consiste, divisant les 78 sièges actuellement disponibles en huit circonscriptions, non seulement à isoler les Européens jusqu'ici réunis dans un même corps électoral en France, mais encore à les faire bénéficier dans des conditions inégales de la règle commune de la représentation proportionnelle.
Celle-ci disparaît purement et simplement pour l'outre-mer, avec deux sièges qui ne permettent qu'un scrutin doublement inéquitable : une première fois en ceci qu'il devient majoritaire alors qu'il est proportionnel pour tous les autres ; une deuxième fois en ceci qu'il est, de surcroît, très injustement majoritaire, puisqu'une liste qui aura réuni un peu moins d'un tiers des suffrages exprimés n'aura aucun élu, tandis que si l'une réunit un peu plus d'un tiers et l'autre un peu moins des deux tiers, elles auront chacune un élu, le même nombre donc alors que la première aura réuni deux fois moins de suffrages que la seconde.
Au-delà, les Français ne retireront pas tous le même bénéfice de la représentation proportionnelle, puisque les effets de celle-ci diminuent avec le nombre de sièges à pourvoir. Même dans la région la mieux dotée, elle ne jouera que sur 14 sièges. Dans les autres, elle ne jouera que sur 6 sièges (Massif central-Centre), 10 sièges (Ouest, Sud-Ouest), 11 sièges (Est), 12 sièges (Nord-Ouest) ou 13 sièges (Sud-Est).
Dans tous les cas, l'on est fort loin de la proportionnalité qu'offre la circonscription unique avec ses 78 sièges, mais surtout on aboutit à ce que les électeurs voient leurs possibilités se restreindre les uns par rapport aux autres, au fur et à mesure que s'abaisse le nombre de sièges à pourvoir.
85. S'agissant, en second lieu, des effets de ce découpage, ils sont d'aboutir à des écarts de représentativité importants.
Ainsi, la circonscription Est compte, selon le recensement de 1999, 8 114 010 habitants et aura 11 élus, soit une moyenne de 737 637 habitants par siège.
L'outre-mer, avec 1 667 436 habitants et deux sièges établira sa moyenne à 833 718 habitants par siège.
Enfin, si l'on voulait s'en tenir à la seule métropole quoi que l'on ne voie pas bien ici à quel titre, le Sud-Est, avec 10 411 754 habitants et 13 élus aurait une moyenne par siège de 800 904 habitants.
Donc, un élu de l'Est représentera en moyenne 60 000 habitants de moins qu'un élu de du Sud-Est et près de 100 000 habitants de moins qu'un élu d'outre-mer.
Il résulte de ce constat que n'est pas respecté le principe, dont vous-mêmes avez rappelé l'importance, selon lequel un découpage doit s'opérer sur "des bases essentiellement démographiques" (décision 86-208 DC précitée, considérant n° 21).
86. Certes, en même temps que vous énonciez ce principe, vous indiquiez que le législateur pouvait atténuer cette règle fondamentale à la double condition que ce fût "dans une mesure limitée" et pour "tenir compte d'impératifs d'intérêt général" (ibid.).
Du même coup, vous aviez également admis l'existence d'écarts de population pouvant aller jusqu'à 20 % par rapport à la moyenne (ibid., considérant n° 23).
Dès lors, qui tentera de défendre le dispositif observera que, d'une part, l'écart de moyenne par siège d'une circonscription à l'autre est toujours inférieur à 20 %, d'autre part, qu'il se situe au niveau le plus faible qu'il était possible d'atteindre en respectant la continuité territoriale des huit circonscriptions.
87. De cela, on ne disconviendra nullement, mais on ne se contentera pas davantage, pour deux raisons essentielles.
Premièrement, le niveau de distorsion que vous avez admis pour le scrutin législatif n'est pas transposable au scrutin européen. Dans le premier cas, force était de découper des circonscriptions dans un espace étroit, avec des contraintes géographiques permanentes et des contraintes topographiques parfois importantes, de sorte que ces difficultés rendaient légitime l'admission d'un niveau de distorsion, 20 %, en lui-même élevé. Ces caractéristiques ne se retrouvent absolument pas pour le scrutin européen, en conséquence de quoi le niveau de distorsion tolérable doit être sensiblement plus bas.
Deuxièmement, seul le choix, compréhensible mais nullement impératif, de ne pas diviser les régions dans les huit circonscriptions fait que ce découpage est, peut-être, le moins mauvais possible à ce titre. Mais, puisque ces huit circonscriptions ne correspondent de toutes façons à rien d'existant, ne vivront, mal, que le jour du scrutin, réuniront des électeurs qui n'ont souvent rien en commun, tout plaidait pour les former à partir des départements plutôt que des régions, moyennant quoi il eût été aisé de parvenir à un équilibre démographique, donc démocratique, rigoureux.
88. Ainsi, les conditions posées par votre décision précitée ne sont pas remplies ici. Seule, pour cette élection, la circonscription nationale unique garantit un équilibre démographique absolu, étendu même aux Français expatriés, tandis que tout découpage le rompt sans utilité, et le rompt d'autant plus gravement qu'il choisit arbitrairement de ne regrouper que des régions plutôt que des départements.
Où la voix de chaque Français et de chaque citoyen de l'Union vivant en France était exactement égale à celle de tous les autres, le découpage aura pour effet que certaines pèseront sensiblement plus, ce qui est la définition même de la rupture d'égalité.
Sur ce moyen aussi, donc, le titre II devrait être censuré s'il ne l'avait pas déjà été sur l'un des deux fondements précédents.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.