Loi de finances rectificative pour 1970 et notamment son article 6-1 relatif à l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat
- Date :
- 30-12-1970
- Size :
- 7 pages
- Section :
- Legislation
- Source :
- 70-41
- Result :
- Non conformité partielle
Original text :
Add the document to a folder
()
to start annotating it.
Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 24 décembre 1970 par le Premier Ministre, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, du texte de la loi de finances rectificative pour 1970, adoptée par le Parlement ;Vu la Constitution, notamment ses articles 21, 34, 37, 38, 43, 61 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et notamment son article 18 ;1. Considérant que la Constitution attribue au Gouvernement d'une part, et au Parlement d'autre part, des compétences qui leur sont propres ;
2. Considérant que les dispositions de l'article 6-I de la loi adoptée par le Parlement et dont le texte est, avant sa promulgation, soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, prévoient que les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence national pour l'amélioration de l'habitat, créée en remplacement du Fonds national d'amélioration de l'habitat, seront fixées par un règlement d'administration publique, "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées" ;
3. Considérant que, dans la mesure où ces dispositions comportent une injonction au Gouvernement d'avoir à consulter les commissions parlementaires : alors que l'élaboration du texte d'application qu'elles prévoient, ne portant pas atteinte à des prérogatives législatives relatives à l'affectation de recettes à un compte spécial, relève exclusivement d'une procédure réglementaire - elles insèrent l'intervention d'une instance législative dans la mise en oeuvre du pouvoir réglementaire ; qu'elles méconnaissent donc le principe ci-dessus rappelé de la séparation des compétences législative et réglementaire et sont dès lors contraires à la Constitution ;
4. Considérant qu'en l'état il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise par le Premier Ministre à son examen ;Décide :
Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 6-I de la loi de finances rectificative pour 1970, soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61 de ladite Constitution, en tant que ces dispositions prévoient que le règlement d'administration publique qui fixera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, substituée au Fonds national d'amélioration de l'habitat, sera pris "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées".
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
# SAISINES:
J'ai l'honneur, en application de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de vous demander de bien vouloir soumettre à l'examen du Conseil Constitutionnel le texte de la loi de finances rectificative pour 1970, récemment adoptée par le Parlement.
J'estime, en effet, que l'article 6-I de cette loi est contraire à la Constitution, dans la mesure où il prévoit que le règlement d'administration publique qui fixera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, substituée au Fonds national d'amélioration de l'habitat, sera pris "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées".
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir demander au Conseil de se prononcer d'urgence sur la conformité de cette disposition à la Constitution.
NOTE
sur les dispositions soumises au Conseil Constitutionnel de l'article 6-I de la loi de finances rectificative pour 1970 Lors du débat sur la loi de finances rectificative pour 1970, le Parlement a eu à décider de la création d'une Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat. Un désaccord étant sur ce point survenu entre les deux assemblées, il appartint à la commission mixte paritaire, saisie par le Gouvernement de rechercher un terrain d'entente. La commission mixte élabora un texte qui fut, conformément aux dispositions de l'article 45 de la Constitution, proposé aux délibérations successives des deux assemblées et accepté par celle-ci ; ce texte qui constitue l'article 6 comporte, selon l'opinion du Gouvernement, des dispositions contraires à la Constitution.
On rappellera, tout d'abord le texte de l'article 6, 1.
"Le Fonds national d'amélioration de l'habitat est remplacé par une Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat dont les conditions de gestion et de fonctionnement seront fixées, après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées, par un règlement d'administration publique".
Les dispositions que le Gouvernement défère pour inconstitutionnalité à la censure du Conseil Constitutionnel concerne la consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées.
La présente note établira les raisons qui ont conduit le Gouvernement a estimer que de telles dispositions sont lentraires à la Constitution.
I : Il ne paraît tout d'abord pas inutile de préciser la portée exacte de l'article 6, de la loi de finances rectificative pour 1970.
A : On notera que conformément à un usage hérité de pratiques anciennes, l'article 6 prévoit que le texte règlementaire qui précisera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat revêtira la forme d'un règlement d'administration publique.
Sous l'empire des Constitutions précédentes, on pouvait considérer que le règlement d'administration publique constituait une catégorie particulière d'acte du pouvoir règlementaire. Une telle conception résultait à la fois de considérations de fond et de règles de procédure.
Quant au fond, on pouvait estimer, en effet, que le règlement d'administration publique était en fait une délégation que le pouvoir législatif donnait au pouvoir règlementaire pour prendre en ses lieu et place des dispositions qu'il n'avait pas cru nécessaire d'insérer lui-même dans la loi. Sur ce point précis, on notera qu'une telle conception n'est plus compatible avec les principes généraux de la Constitution de 1958. En effet, la délégation, si elle se produit, doit normalement s'effectuer suivant les procédures de l'article 38 et aboutir à l'intervention d'ordonnances. Le règlement d'administration publique ne peut donc plus constituer une catégorie particulière d'acte du pouvoir règlementaire. Il n'est, en fait, qu'une des modalités habituelles de l'exercice de ce pouvoir lorsque le gouvernement en application de l'article 21 de la Constitution, prend les textes propres à assurer l'exécution des lois.
Si l'on se réfère de plus aux procédures qui régissent l'examen des textes règlementaires devant le Conseil d'Etat, on s'aperçoit que, jusqu'à l'intervention des décrets du 30 juillet 1963, cette procédure était différente suivant qu'il s'agissait d'un règlement d'administration publique ou d'un décret en Conseil d'Etat. Le règlement d'administration publique devait être obligatoirement soumis à l'examen successif de la section compétente et de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat. Le décret en Conseil d'Etat était caractérisé par un examen au niveau de la section. Désormais cette distinction a perdu une partie de sa portée, le vice-Président du Conseil d'Etat pouvant décider que l'Assemblée générale ne sera pas saisie d'un texte qualifié de règlement d'administration publique alors qu'au contraire, un décret en Conseil d'Etat pourra être soumis à l'examen de l'Assemblée générale. L'ensemble de ces considérations établissent qu'il n'y a plus de distinction juridique autre que de vocabulaire entre le règlement d'administration publique et le décret. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs, à maintes reprises, formulé le souhait que l'on renonce à l'usage du terme règlement d'administration publique. Chaque fois que l'occasion lui en est donnée, il signale au Gouvernement l'opportunité de remplacer ce terme par celui de décret en Conseil d'Etat qui lui paraît seul conforme à la réalité juridique, découlant de la Constitution de 1958.
Des considérations qui précèdent, il résulte que le renvoi opéré par l'article 6-I de la loi de finances rectificative se borne à prévoir la modalité particulière selon laquelle le Premier Ministre fera usage, en l'espèce, du pouvoir règlementaire normal que l'article 21 de la Constitution lui confie.
B : Les mesures qu'il sera appelé à prendre par règlement d'administration publique pour déterminer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat relèvent entièrement du domaine de ce pouvoir règlementaire normal et n'empièteront en rien sur le domaine de la loi.
On notera, en premier lieu à cet égard, que les mesures dont il s'agit ne concerneront pas les ressources de l'agence.
Ces dernières sont en effet définies par l'article 6.III de la loi, lequel attribue notamment à l'agence le produit de la taxe additionnelle au droit de bail prévu par l'article 685.1 du code général des impôts, taxe substituée à l'ancien prélèvement sur les loyers.
Ce point essentiel est donc réglé par la loi elle-même comme d'ailleurs les règles relatives à l'exigibilité à l'assiette, la liquidation, le recouvrement de la taxe, ainsi que celles qui concernent son contrôle, les pénalités, les garanties, restitutions et prescriptions (article 6-II, avant-dernier alinéa).
C'est également la loi (article 291 du code de l'urbanisme, non modifié) qui fixe l'objet de l'activité de l'agence ("faciliter l'exécution de travaux de réparation, d'assainissement et d'amélioration des immeubles à l'usage d'habitation").
Les mesures prévues par l'article 6-I ne porteront donc que sur des points limités, essentiellement les modalités de la gestion et du fonctionnement administratif de l'agence (composition et pouvoirs des organes de direction, tenue des comptes, procédure d'octroi des subventions ).
De telles dispositions relèvent sans conteste du pouvoir règlementaire.
On notera d'abord que la loi ne confère ni la personnalité juridique ni l'autonomie financière à l'Agence. Celle-ci ne peut donc être regardée comme un établissement public. Dès lors, les dispositions de l'article 34 qui réservent à la loi le soin de fixer les règles concernant la création de catégorie d'établissements publics sont, en l'espèce, sans application. En outre, il ne paraît possible de rattacher à aucune autre disposition de l'article 34, les mesures dont l'article 6-I de la loi de finances rectificative prévoit l'adoption par règlement d'administration publique.
En second lieu on rappelera que le Fonds national d'amélioration de l'habitat n'avait pas non plus le caractère d'un établissement public (Cf. en ce sens les indications trés claires de l'exposé des motifs de l'ordonnance n 45-2532 du 26 octobre 1945). On observera aussi que l'article 292 (2ème alinéa) du code de l'urbanisme renvoyait déjà à un règlement d'administration publique le soin de prendre les mêmes mesures que désormais l'article 6-I "modalités de gestion et de fonctionnement du Fonds national d'amélioration de l'habitat").
Dès lors le futur règlement d'administration publique prévu par l'article 6-I contiendra des mesures analogues à celles qui figurent dans les textes d'application de l'article 292 du code de l'urbanisme (décret du 26 octobre 1945 modifié, JO du 27 octobre).
Le caractère réglementaire de ces dernières mesures n'a jamais été mis en doute depuis l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Elles ont été, en effet, modifiées sur avis favorable du Conseil d'Etat, par les décrets n 59-1413 du 10 décembre 1959 (JO 16 décembre) et n 62-1247 du 20 octobre 1962 (JO 26 octobre).
En tant qu'elles se bornent à renvoyer à un règlement d'administration publique le soin de fixer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, les dispositions de l'article 6-I de la loi de finances rectificative n'apparaissent donc pas criticables : et ne sont d'ailleurs pas contestées devant le Conseil Constitutionnel : au regard de la Constitution.
II : La disposition qui fait obligation au Gouvernement de procéder à la consultation des commissions des finances des Assemblées avant de prendre la réglement nécessaire au fonctionnement et à la gestion de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat est contraire au principe de séparation des pouvoirs qui constitue l'un des fondements de notre droit constitutionnel.
A : Sans doute, pourra-t-on noter que le terme même de séparation des pouvoirs n'est pas utilisé dans le texte de la Constitution du 4 octobre 1958. Cependant, si l'on se réfère à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 qui énumère les principes que le Gouvernement devait respecter en établissant le texte de la Constitution nouvelle, on constate que l'un de ces principes concernait les relations entre le "pouvoir exécutif et le pouvoir législatif". Ceux-ci devaient "être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions".
Lorsqu'il présenta le projet de Constitution au comité consultatif constitutionnel, le Général de Gaulle, alors Président du Conseil, devait d'ailleurs déclarer que le projet soumis au comité était conforme aux "règles qui ont été instituées par la loi du 3 juin 1958" et notamment au "fait que les pouvoirs publics doivent être séparés" (Avis et débats du comité consultatif constitutionnel séance du mardi 29 juillet 1958, page 35).
B : La séparation des pouvoirs constitue ainsi un véritable principe général de notre droit constitutionnel sans lequel de nombreuses dispositions précises de la Constitution ne sauraient s'expliquer. Au premier rang de ces dispositions figure l'idée même de compétence propres attribuées aux organes publics. A la règle suivant laquelle le Parlement vote la loi (article 34) correspond la mission impartie (article 21) au Premier Ministre "d'assurer l'exécution des lois" et "d'exercer le pouvoir réglementaire".
Si, en dehors des procédures fixées par la Constitution elle-même, le Gouvernement et le Parlement pouvaient intervenir dans leurs domaines respectifs, il n'y aurait évidemment plus de séparation des pouvoirs effective. On note enfin que certaines dispositions permettent au Gouvernement de suivre et de conduire le déroulement de la procédure législative, mais que, par contre la Constitution ne prévoit, aucune modalité permettant au Parlement de jouer un rôle dans l'exercice du pouvoir réglementaire.
Or, l'article 6-1 de la loi de finances rectificative pour 1970 en subordonnant l'intervention d'un réglement à la consultation des commissions a bien pour effet, en violation du principe de séparation des pouvoirs, de permettre l'intervention des Assemblées dans un domaine ne relevant pas de leurs compétences constitutionnelles.
Il est évident au surplus que si la loi avait été promulguée conformément au vote du Parlement, le Gouvernement quel que soit le caractère inconstitutionnel de la disposition en cause, eut été dans l'obligation de la respecter. La publication du règlement prévu à l'article 6, sans que les consultations rendues obligatoires aient été effectuées, aurait trés certainement constitué une illégalité sanctionnée le cas échéant par le Conseil d'Etat statuant au contentieux.
Le Conseil Constitutionnel d'ailleurs a déjà eu l'occasion de constater l'inconstitutionnalité de telles interventions. On peut déduire de ses décisions en date des 17, 18 et 24 juin 1959 concernant le règlement de l'Assemblée nationale et des 24 et 25 juin 1959 concernant le règlement du Sénat, qu'il a entendu écarter de ces règlements toute disposition qui pourrait "porter atteinte au pouvoir règlementaire du Gouvernement".
C : On notera enfin que le fait qu'une disposition, dont il est absolument certain qu'elle constitue une des bases essentielles de notre droit constitutionnel, ne figure pas de manière précise dans le texte de la Constitution, ne prive pas le Gouvernement du droit de l'invoquer pour affirmer l'inconstitutionnalité d'une disposition législative et en demander la censure au Conseil Constitutionnel. La séparation des pouvoirs constitue un véritable principe général d'ordre constitutionnel normalement applicable et qui peut donc être invoqué, lorsque l'une des autorités compétentes fait usage des procédures prévues à l'article 61 de la Constitution, de la même manière que les principes généraux du droit peuvent être invoqués à l'appui d'un recours devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux.
D'ailleurs dans sa décision du 26 juin 1969 le Conseil Constitutionnel a explicitement confirmé l'existence de tels principes généraux et en a tiré des conséquences juridiques importantes.
III : Au surplus, la disposition figurant dans l'article 6-1 contrevient directement à un certain nombre de règles précises de la Constitution concernant les compétences des pouvoirs publics. Un principe fondamental d'interprétation constitutionnelle parait devoir être, à cette occasion, rappelé. Un organe public, disposant de prérogatives que la Constitution lui accorde ne saurait sans violer la Constitution, ajouter de lui-même à ses propres prérogatives. Ce principe a d'ailleurs été explicitement reconnu à maintes reprises par le Conseil Constitutionnel. Il a ainsi décidé (décisions du 17, 18 et 24 juin 1959 relatives au réglement de l'Assemblée nationale) que celle-ci ne saurait inscrire dans son réglement des dispositions qui auraient eu pour effet de lui permettre de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par d'autres procédures que celles fixées par les articles 49 et 50. Le Conseil a également fait sienne cette théorie lorsqu'il a eu à apprécier sa propre compétence (décisions du 14 septembre 1961 et du 6 novembre 1962).
A : Les commissions du Parlement sont des organes constitutionnels dont l'existence et le rôle ne sauraient être modifiés qu'en ayant recours aux procédures de la révision constitutionnelle. L'article 43 de la Constitution prévoit l'existence des commissions spéciales ou permanentes. Le même texte définit leurs attributions en les chargeant de procéder "à l'examen des projets et des propositions de lois". Par ailleurs, l'article 44 étend cette prérogative aux amendements, le Gouvernement ayant la faculté de s'opposer à l'examen d'un texte de cette nature qui n'aurait pas été antérieurement soumis à la commission compétente.
B : Si l'on se réfère, par ailleurs, aux réglements de l'Assemblée nationale et du Sénat, on constate que ces textes, dont la légalité au regard de la Constitution a été appréciée par le Conseil Constitutionnel, reposent sur l'idée que les commissions de chacune des deux Assemblées, ont un certain nombre de prérogatives découlant normalement de la Constitution et concernant pour l'essentiel, l'examen des textes législatifs.
(Titre 10 du réglement de l'Assemblée articles 39 à 46 ; Chapitre 3, 2 du réglement du Sénat, articles 13 à 23). Par contre, aucune règle n'est prévue concernant l'examen éventuel d'un règlement.
(On peut se demander, au surplus, en l'absence de telles règles, comment devrait s'effectuer la consultation que la loi a voulu rendre obligatoire et notamment quels seraient les délais qui devraient être respectés). En donnant compétence aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat pour donner un avis sur un texte réglementaire et en faisant obligation au Gouvernement de procéder à une consultation non prévue par la Constitution, le Parlement a ajouté aux pouvoirs que les commissions parlementaires tiennent des articles 43 et 44 de la Constitution.
IV : Il est évident, de la même manière, que la disposition de l'article 6-1 a pour effet d'ajouter une condition supplémentaire, non prévue par la Constitution, à l'exercice du pouvoir réglementaire.
La Constitution a établi les modalités constitutionnelles de l'exercice de ce pouvoir, tel qu'il est attribué au Président de la République et au Premier Ministre. Ces modalités sont bien connues. Elles consistent, par exemple, dans l'obligation de soumettre à la délibération du Conseil des Ministres les ordonnances de l'article 38. Elles consistent également dans les régles prévues aux articles 19 et 22 concernant le contreseing respectivement des actes du Président de la République et des actes du Premier Ministre. Il est évident qu'en prévoyant la consultation de la commission des finances de chacune des deux Assemblées, la loi de finances rectificative ajoute une procédure supplémentaire à l'exercice du pouvoir réglementaire, non prévue par la Constitution, et dont il a été démontré au surplus, qu'elle est contraire au principe même de la séparation des pouvoirs. Elle constitue une violation directe de l'article 21 de la Constitution.
V : On notera, enfin, que dans les premières années d'application de la Constitution de 1958, le Gouvernement s'est trouvé confronté avec un problème qui n'est pas sans analogie avec la question évoquée dans la présente note.
Certaines lois antérieures à la Constitution et notamment la loi du 23 juin 1956, dite loi-cadre pour les territoires d'outre-mer, avaient prévu l'intervention de décrets pris, soit après avis des Assemblées elles-mêmes, soit après avis des commissions. Lorsque la question s'est posée, après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958, de la modification éventuelle de certains de ces décrets, le respect de la règle de la concordance des formes eut normalement exigé que les textes modificateurs soient soumis à l'avis du Parlement.
Or, cette procédure a été écartée à dessein. Il a semblé, en effet, au Gouvernement de l'époque, que l'intervention de la Constitution avait eu pour effet de rendre caduques toutes les dispositions figurant encore dans des lois en vigueur et contraires, soit aux principes généraux de cette Constitution, soit aux modalités d'exercice des pouvoirs qu'elle prévoit.
Sur ce point, d'ailleurs, le Conseil d'Etat, consulté normalement lors de l'élaboration des textes (cf notamment décret du 7 Juin 1960 relatif aux sociétés financières pour le développement économique outre-mer, JO page 5173) s'est rangé à la thèse du Gouvernement. L'intervention de la Constitution de 1958 a donc provoqué la caducité de certaines règles prises par le législateur sous l'empire des Constitutions précédentes. Par là même, la non conformité de ces règles avec la Constitution nouvelle a été implicitement affirmée.
VI : La disposition de l'article 6-1 de la loi de finances rectificative pour 1970 dont le Gouvernement demande au Conseil Constitutionnel de déclarer la non-conformité à la Constitution, apparait séparable non seulement de l'ensemble de la loi, mais aussi du reste de l'article 6-1 puisqu'aussi bien celui-ci prévoit avant l'adoption du réglement auquel il confie le soin de fixer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, la mise en oeuvre de deux procédures tout à fait distinctes : une consultation des commissions des finances des deux Assemblées du Parlement et l'avis du Conseil d'Etat dont la première présente un caractère tout à fait exceptionnel, alors que l'autre est parfaitement habituelle et est seule exigée dans la quasi-totalité des cas où la loi renvoie à un règlement d'administration publique.
Rien ne parait donc s'opposer à ce que, conformément à l'article 23 de la loi organique sur le Conseil Constitutionnel, le Président de la République promulgue la loi de finances rectificative, à l'exception de la disposition de l'article 6-1, qui serait déclarée inconstitutionnelle.
IL est demandé au Conseil Constitutionnel de bien vouloir se prononcer en ce sens.
Saisi le 24 décembre 1970 par le Premier Ministre, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, du texte de la loi de finances rectificative pour 1970, adoptée par le Parlement ;Vu la Constitution, notamment ses articles 21, 34, 37, 38, 43, 61 et 62 ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances et notamment son article 18 ;1. Considérant que la Constitution attribue au Gouvernement d'une part, et au Parlement d'autre part, des compétences qui leur sont propres ;
2. Considérant que les dispositions de l'article 6-I de la loi adoptée par le Parlement et dont le texte est, avant sa promulgation, soumis à l'examen du Conseil constitutionnel, prévoient que les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence national pour l'amélioration de l'habitat, créée en remplacement du Fonds national d'amélioration de l'habitat, seront fixées par un règlement d'administration publique, "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées" ;
3. Considérant que, dans la mesure où ces dispositions comportent une injonction au Gouvernement d'avoir à consulter les commissions parlementaires : alors que l'élaboration du texte d'application qu'elles prévoient, ne portant pas atteinte à des prérogatives législatives relatives à l'affectation de recettes à un compte spécial, relève exclusivement d'une procédure réglementaire - elles insèrent l'intervention d'une instance législative dans la mise en oeuvre du pouvoir réglementaire ; qu'elles méconnaissent donc le principe ci-dessus rappelé de la séparation des compétences législative et réglementaire et sont dès lors contraires à la Constitution ;
4. Considérant qu'en l'état il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise par le Premier Ministre à son examen ;Décide :
Article premier :
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 6-I de la loi de finances rectificative pour 1970, soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, conformément à l'article 61 de ladite Constitution, en tant que ces dispositions prévoient que le règlement d'administration publique qui fixera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, substituée au Fonds national d'amélioration de l'habitat, sera pris "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées".
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
# SAISINES:
J'ai l'honneur, en application de l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de vous demander de bien vouloir soumettre à l'examen du Conseil Constitutionnel le texte de la loi de finances rectificative pour 1970, récemment adoptée par le Parlement.
J'estime, en effet, que l'article 6-I de cette loi est contraire à la Constitution, dans la mesure où il prévoit que le règlement d'administration publique qui fixera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, substituée au Fonds national d'amélioration de l'habitat, sera pris "après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées".
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir demander au Conseil de se prononcer d'urgence sur la conformité de cette disposition à la Constitution.
NOTE
sur les dispositions soumises au Conseil Constitutionnel de l'article 6-I de la loi de finances rectificative pour 1970 Lors du débat sur la loi de finances rectificative pour 1970, le Parlement a eu à décider de la création d'une Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat. Un désaccord étant sur ce point survenu entre les deux assemblées, il appartint à la commission mixte paritaire, saisie par le Gouvernement de rechercher un terrain d'entente. La commission mixte élabora un texte qui fut, conformément aux dispositions de l'article 45 de la Constitution, proposé aux délibérations successives des deux assemblées et accepté par celle-ci ; ce texte qui constitue l'article 6 comporte, selon l'opinion du Gouvernement, des dispositions contraires à la Constitution.
On rappellera, tout d'abord le texte de l'article 6, 1.
"Le Fonds national d'amélioration de l'habitat est remplacé par une Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat dont les conditions de gestion et de fonctionnement seront fixées, après consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées, par un règlement d'administration publique".
Les dispositions que le Gouvernement défère pour inconstitutionnalité à la censure du Conseil Constitutionnel concerne la consultation de la commission des finances de chacune des deux assemblées.
La présente note établira les raisons qui ont conduit le Gouvernement a estimer que de telles dispositions sont lentraires à la Constitution.
I : Il ne paraît tout d'abord pas inutile de préciser la portée exacte de l'article 6, de la loi de finances rectificative pour 1970.
A : On notera que conformément à un usage hérité de pratiques anciennes, l'article 6 prévoit que le texte règlementaire qui précisera les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat revêtira la forme d'un règlement d'administration publique.
Sous l'empire des Constitutions précédentes, on pouvait considérer que le règlement d'administration publique constituait une catégorie particulière d'acte du pouvoir règlementaire. Une telle conception résultait à la fois de considérations de fond et de règles de procédure.
Quant au fond, on pouvait estimer, en effet, que le règlement d'administration publique était en fait une délégation que le pouvoir législatif donnait au pouvoir règlementaire pour prendre en ses lieu et place des dispositions qu'il n'avait pas cru nécessaire d'insérer lui-même dans la loi. Sur ce point précis, on notera qu'une telle conception n'est plus compatible avec les principes généraux de la Constitution de 1958. En effet, la délégation, si elle se produit, doit normalement s'effectuer suivant les procédures de l'article 38 et aboutir à l'intervention d'ordonnances. Le règlement d'administration publique ne peut donc plus constituer une catégorie particulière d'acte du pouvoir règlementaire. Il n'est, en fait, qu'une des modalités habituelles de l'exercice de ce pouvoir lorsque le gouvernement en application de l'article 21 de la Constitution, prend les textes propres à assurer l'exécution des lois.
Si l'on se réfère de plus aux procédures qui régissent l'examen des textes règlementaires devant le Conseil d'Etat, on s'aperçoit que, jusqu'à l'intervention des décrets du 30 juillet 1963, cette procédure était différente suivant qu'il s'agissait d'un règlement d'administration publique ou d'un décret en Conseil d'Etat. Le règlement d'administration publique devait être obligatoirement soumis à l'examen successif de la section compétente et de l'Assemblée générale du Conseil d'Etat. Le décret en Conseil d'Etat était caractérisé par un examen au niveau de la section. Désormais cette distinction a perdu une partie de sa portée, le vice-Président du Conseil d'Etat pouvant décider que l'Assemblée générale ne sera pas saisie d'un texte qualifié de règlement d'administration publique alors qu'au contraire, un décret en Conseil d'Etat pourra être soumis à l'examen de l'Assemblée générale. L'ensemble de ces considérations établissent qu'il n'y a plus de distinction juridique autre que de vocabulaire entre le règlement d'administration publique et le décret. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs, à maintes reprises, formulé le souhait que l'on renonce à l'usage du terme règlement d'administration publique. Chaque fois que l'occasion lui en est donnée, il signale au Gouvernement l'opportunité de remplacer ce terme par celui de décret en Conseil d'Etat qui lui paraît seul conforme à la réalité juridique, découlant de la Constitution de 1958.
Des considérations qui précèdent, il résulte que le renvoi opéré par l'article 6-I de la loi de finances rectificative se borne à prévoir la modalité particulière selon laquelle le Premier Ministre fera usage, en l'espèce, du pouvoir règlementaire normal que l'article 21 de la Constitution lui confie.
B : Les mesures qu'il sera appelé à prendre par règlement d'administration publique pour déterminer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat relèvent entièrement du domaine de ce pouvoir règlementaire normal et n'empièteront en rien sur le domaine de la loi.
On notera, en premier lieu à cet égard, que les mesures dont il s'agit ne concerneront pas les ressources de l'agence.
Ces dernières sont en effet définies par l'article 6.III de la loi, lequel attribue notamment à l'agence le produit de la taxe additionnelle au droit de bail prévu par l'article 685.1 du code général des impôts, taxe substituée à l'ancien prélèvement sur les loyers.
Ce point essentiel est donc réglé par la loi elle-même comme d'ailleurs les règles relatives à l'exigibilité à l'assiette, la liquidation, le recouvrement de la taxe, ainsi que celles qui concernent son contrôle, les pénalités, les garanties, restitutions et prescriptions (article 6-II, avant-dernier alinéa).
C'est également la loi (article 291 du code de l'urbanisme, non modifié) qui fixe l'objet de l'activité de l'agence ("faciliter l'exécution de travaux de réparation, d'assainissement et d'amélioration des immeubles à l'usage d'habitation").
Les mesures prévues par l'article 6-I ne porteront donc que sur des points limités, essentiellement les modalités de la gestion et du fonctionnement administratif de l'agence (composition et pouvoirs des organes de direction, tenue des comptes, procédure d'octroi des subventions ).
De telles dispositions relèvent sans conteste du pouvoir règlementaire.
On notera d'abord que la loi ne confère ni la personnalité juridique ni l'autonomie financière à l'Agence. Celle-ci ne peut donc être regardée comme un établissement public. Dès lors, les dispositions de l'article 34 qui réservent à la loi le soin de fixer les règles concernant la création de catégorie d'établissements publics sont, en l'espèce, sans application. En outre, il ne paraît possible de rattacher à aucune autre disposition de l'article 34, les mesures dont l'article 6-I de la loi de finances rectificative prévoit l'adoption par règlement d'administration publique.
En second lieu on rappelera que le Fonds national d'amélioration de l'habitat n'avait pas non plus le caractère d'un établissement public (Cf. en ce sens les indications trés claires de l'exposé des motifs de l'ordonnance n 45-2532 du 26 octobre 1945). On observera aussi que l'article 292 (2ème alinéa) du code de l'urbanisme renvoyait déjà à un règlement d'administration publique le soin de prendre les mêmes mesures que désormais l'article 6-I "modalités de gestion et de fonctionnement du Fonds national d'amélioration de l'habitat").
Dès lors le futur règlement d'administration publique prévu par l'article 6-I contiendra des mesures analogues à celles qui figurent dans les textes d'application de l'article 292 du code de l'urbanisme (décret du 26 octobre 1945 modifié, JO du 27 octobre).
Le caractère réglementaire de ces dernières mesures n'a jamais été mis en doute depuis l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Elles ont été, en effet, modifiées sur avis favorable du Conseil d'Etat, par les décrets n 59-1413 du 10 décembre 1959 (JO 16 décembre) et n 62-1247 du 20 octobre 1962 (JO 26 octobre).
En tant qu'elles se bornent à renvoyer à un règlement d'administration publique le soin de fixer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, les dispositions de l'article 6-I de la loi de finances rectificative n'apparaissent donc pas criticables : et ne sont d'ailleurs pas contestées devant le Conseil Constitutionnel : au regard de la Constitution.
II : La disposition qui fait obligation au Gouvernement de procéder à la consultation des commissions des finances des Assemblées avant de prendre la réglement nécessaire au fonctionnement et à la gestion de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat est contraire au principe de séparation des pouvoirs qui constitue l'un des fondements de notre droit constitutionnel.
A : Sans doute, pourra-t-on noter que le terme même de séparation des pouvoirs n'est pas utilisé dans le texte de la Constitution du 4 octobre 1958. Cependant, si l'on se réfère à la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 qui énumère les principes que le Gouvernement devait respecter en établissant le texte de la Constitution nouvelle, on constate que l'un de ces principes concernait les relations entre le "pouvoir exécutif et le pouvoir législatif". Ceux-ci devaient "être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions".
Lorsqu'il présenta le projet de Constitution au comité consultatif constitutionnel, le Général de Gaulle, alors Président du Conseil, devait d'ailleurs déclarer que le projet soumis au comité était conforme aux "règles qui ont été instituées par la loi du 3 juin 1958" et notamment au "fait que les pouvoirs publics doivent être séparés" (Avis et débats du comité consultatif constitutionnel séance du mardi 29 juillet 1958, page 35).
B : La séparation des pouvoirs constitue ainsi un véritable principe général de notre droit constitutionnel sans lequel de nombreuses dispositions précises de la Constitution ne sauraient s'expliquer. Au premier rang de ces dispositions figure l'idée même de compétence propres attribuées aux organes publics. A la règle suivant laquelle le Parlement vote la loi (article 34) correspond la mission impartie (article 21) au Premier Ministre "d'assurer l'exécution des lois" et "d'exercer le pouvoir réglementaire".
Si, en dehors des procédures fixées par la Constitution elle-même, le Gouvernement et le Parlement pouvaient intervenir dans leurs domaines respectifs, il n'y aurait évidemment plus de séparation des pouvoirs effective. On note enfin que certaines dispositions permettent au Gouvernement de suivre et de conduire le déroulement de la procédure législative, mais que, par contre la Constitution ne prévoit, aucune modalité permettant au Parlement de jouer un rôle dans l'exercice du pouvoir réglementaire.
Or, l'article 6-1 de la loi de finances rectificative pour 1970 en subordonnant l'intervention d'un réglement à la consultation des commissions a bien pour effet, en violation du principe de séparation des pouvoirs, de permettre l'intervention des Assemblées dans un domaine ne relevant pas de leurs compétences constitutionnelles.
Il est évident au surplus que si la loi avait été promulguée conformément au vote du Parlement, le Gouvernement quel que soit le caractère inconstitutionnel de la disposition en cause, eut été dans l'obligation de la respecter. La publication du règlement prévu à l'article 6, sans que les consultations rendues obligatoires aient été effectuées, aurait trés certainement constitué une illégalité sanctionnée le cas échéant par le Conseil d'Etat statuant au contentieux.
Le Conseil Constitutionnel d'ailleurs a déjà eu l'occasion de constater l'inconstitutionnalité de telles interventions. On peut déduire de ses décisions en date des 17, 18 et 24 juin 1959 concernant le règlement de l'Assemblée nationale et des 24 et 25 juin 1959 concernant le règlement du Sénat, qu'il a entendu écarter de ces règlements toute disposition qui pourrait "porter atteinte au pouvoir règlementaire du Gouvernement".
C : On notera enfin que le fait qu'une disposition, dont il est absolument certain qu'elle constitue une des bases essentielles de notre droit constitutionnel, ne figure pas de manière précise dans le texte de la Constitution, ne prive pas le Gouvernement du droit de l'invoquer pour affirmer l'inconstitutionnalité d'une disposition législative et en demander la censure au Conseil Constitutionnel. La séparation des pouvoirs constitue un véritable principe général d'ordre constitutionnel normalement applicable et qui peut donc être invoqué, lorsque l'une des autorités compétentes fait usage des procédures prévues à l'article 61 de la Constitution, de la même manière que les principes généraux du droit peuvent être invoqués à l'appui d'un recours devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux.
D'ailleurs dans sa décision du 26 juin 1969 le Conseil Constitutionnel a explicitement confirmé l'existence de tels principes généraux et en a tiré des conséquences juridiques importantes.
III : Au surplus, la disposition figurant dans l'article 6-1 contrevient directement à un certain nombre de règles précises de la Constitution concernant les compétences des pouvoirs publics. Un principe fondamental d'interprétation constitutionnelle parait devoir être, à cette occasion, rappelé. Un organe public, disposant de prérogatives que la Constitution lui accorde ne saurait sans violer la Constitution, ajouter de lui-même à ses propres prérogatives. Ce principe a d'ailleurs été explicitement reconnu à maintes reprises par le Conseil Constitutionnel. Il a ainsi décidé (décisions du 17, 18 et 24 juin 1959 relatives au réglement de l'Assemblée nationale) que celle-ci ne saurait inscrire dans son réglement des dispositions qui auraient eu pour effet de lui permettre de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par d'autres procédures que celles fixées par les articles 49 et 50. Le Conseil a également fait sienne cette théorie lorsqu'il a eu à apprécier sa propre compétence (décisions du 14 septembre 1961 et du 6 novembre 1962).
A : Les commissions du Parlement sont des organes constitutionnels dont l'existence et le rôle ne sauraient être modifiés qu'en ayant recours aux procédures de la révision constitutionnelle. L'article 43 de la Constitution prévoit l'existence des commissions spéciales ou permanentes. Le même texte définit leurs attributions en les chargeant de procéder "à l'examen des projets et des propositions de lois". Par ailleurs, l'article 44 étend cette prérogative aux amendements, le Gouvernement ayant la faculté de s'opposer à l'examen d'un texte de cette nature qui n'aurait pas été antérieurement soumis à la commission compétente.
B : Si l'on se réfère, par ailleurs, aux réglements de l'Assemblée nationale et du Sénat, on constate que ces textes, dont la légalité au regard de la Constitution a été appréciée par le Conseil Constitutionnel, reposent sur l'idée que les commissions de chacune des deux Assemblées, ont un certain nombre de prérogatives découlant normalement de la Constitution et concernant pour l'essentiel, l'examen des textes législatifs.
(Titre 10 du réglement de l'Assemblée articles 39 à 46 ; Chapitre 3, 2 du réglement du Sénat, articles 13 à 23). Par contre, aucune règle n'est prévue concernant l'examen éventuel d'un règlement.
(On peut se demander, au surplus, en l'absence de telles règles, comment devrait s'effectuer la consultation que la loi a voulu rendre obligatoire et notamment quels seraient les délais qui devraient être respectés). En donnant compétence aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat pour donner un avis sur un texte réglementaire et en faisant obligation au Gouvernement de procéder à une consultation non prévue par la Constitution, le Parlement a ajouté aux pouvoirs que les commissions parlementaires tiennent des articles 43 et 44 de la Constitution.
IV : Il est évident, de la même manière, que la disposition de l'article 6-1 a pour effet d'ajouter une condition supplémentaire, non prévue par la Constitution, à l'exercice du pouvoir réglementaire.
La Constitution a établi les modalités constitutionnelles de l'exercice de ce pouvoir, tel qu'il est attribué au Président de la République et au Premier Ministre. Ces modalités sont bien connues. Elles consistent, par exemple, dans l'obligation de soumettre à la délibération du Conseil des Ministres les ordonnances de l'article 38. Elles consistent également dans les régles prévues aux articles 19 et 22 concernant le contreseing respectivement des actes du Président de la République et des actes du Premier Ministre. Il est évident qu'en prévoyant la consultation de la commission des finances de chacune des deux Assemblées, la loi de finances rectificative ajoute une procédure supplémentaire à l'exercice du pouvoir réglementaire, non prévue par la Constitution, et dont il a été démontré au surplus, qu'elle est contraire au principe même de la séparation des pouvoirs. Elle constitue une violation directe de l'article 21 de la Constitution.
V : On notera, enfin, que dans les premières années d'application de la Constitution de 1958, le Gouvernement s'est trouvé confronté avec un problème qui n'est pas sans analogie avec la question évoquée dans la présente note.
Certaines lois antérieures à la Constitution et notamment la loi du 23 juin 1956, dite loi-cadre pour les territoires d'outre-mer, avaient prévu l'intervention de décrets pris, soit après avis des Assemblées elles-mêmes, soit après avis des commissions. Lorsque la question s'est posée, après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1958, de la modification éventuelle de certains de ces décrets, le respect de la règle de la concordance des formes eut normalement exigé que les textes modificateurs soient soumis à l'avis du Parlement.
Or, cette procédure a été écartée à dessein. Il a semblé, en effet, au Gouvernement de l'époque, que l'intervention de la Constitution avait eu pour effet de rendre caduques toutes les dispositions figurant encore dans des lois en vigueur et contraires, soit aux principes généraux de cette Constitution, soit aux modalités d'exercice des pouvoirs qu'elle prévoit.
Sur ce point, d'ailleurs, le Conseil d'Etat, consulté normalement lors de l'élaboration des textes (cf notamment décret du 7 Juin 1960 relatif aux sociétés financières pour le développement économique outre-mer, JO page 5173) s'est rangé à la thèse du Gouvernement. L'intervention de la Constitution de 1958 a donc provoqué la caducité de certaines règles prises par le législateur sous l'empire des Constitutions précédentes. Par là même, la non conformité de ces règles avec la Constitution nouvelle a été implicitement affirmée.
VI : La disposition de l'article 6-1 de la loi de finances rectificative pour 1970 dont le Gouvernement demande au Conseil Constitutionnel de déclarer la non-conformité à la Constitution, apparait séparable non seulement de l'ensemble de la loi, mais aussi du reste de l'article 6-1 puisqu'aussi bien celui-ci prévoit avant l'adoption du réglement auquel il confie le soin de fixer les conditions de gestion et de fonctionnement de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, la mise en oeuvre de deux procédures tout à fait distinctes : une consultation des commissions des finances des deux Assemblées du Parlement et l'avis du Conseil d'Etat dont la première présente un caractère tout à fait exceptionnel, alors que l'autre est parfaitement habituelle et est seule exigée dans la quasi-totalité des cas où la loi renvoie à un règlement d'administration publique.
Rien ne parait donc s'opposer à ce que, conformément à l'article 23 de la loi organique sur le Conseil Constitutionnel, le Président de la République promulgue la loi de finances rectificative, à l'exception de la disposition de l'article 6-1, qui serait déclarée inconstitutionnelle.
IL est demandé au Conseil Constitutionnel de bien vouloir se prononcer en ce sens.